Éditions signes et balisesSi le prix Nobel de littérature a été attribué à la Biélorusse Svetlana Alexievitch, nous sommes heureux, à la Cliothèque, de signaler la parution cet automne de l’ouvrage d’un autre Biélorusse, écrivain mais aussi plasticien et photographe chez un de nos éditeurs, partenaire des Clionautes.
Ce petit ouvrage est un très beau rappel historique sur l’existence de ce pays que l’on ne connaît, depuis l’implosion de l’Union soviétique, que par ses liens avec la Russie de Vladimir Poutine qui s’appuie sur son président, Alexandre Loukachenko, en fonction depuis le 20 juillet 1994 pour reconstituer l’empire. En matière de régime autoritaire, la Biélorussie semble faire tâche en Europe, l’actuel numéro un Biélorusse ayant été régulièrement réélu depuis 2001, au terme d’un scrutin pour le moins contestable et contesté. Le dernier en date a eu lieu le 11 octobre dernier, dans l’indifférence générale de tous les observateurs.
Arthur Klinau, né en 1965, a passé une partie de sa vie en république socialiste soviétique de Biélorussie. Peu de personnes le savent mais au moment de la constitution de l’organisation des Nations unies, l’Union soviétique avait pu obtenir que la Biélorussie et l’Ukraine disposent également d’un siège à l’assemblée générale. Au XIXe siècle, lorsque le mouvement des nationalités bouleversait l’Europe, les Biélorusses étaient présentés comme les « petits–russes », différents des grands, localisés en Moscovie.
Le pays a d’ailleurs perdu son nom historique qui existait depuis le XIVe siècle et en 1840 un décret du tsar avait privé le pays de son nom spécifique. Les noms de Lituanie et de Biélorussie était interdits et on parlait alors de région du Nord-Ouest.
L’auteur présente avec un réalisme étonnant la trajectoire de ce pays en partant de la ville où il a vu le jour et ou le modèle soviétique a voulu construire le cadre dans lequel l’homme nouveau, l’omo soviéticus pouvait s’épanouir.
La cité du Soleil
C’est dans cette ville de Minsk que la cité du soleil, cette réalisation architecturale a été édifiée, et l’accueil encore toujours le voyageur qui vient d’Europe occidentale. La cité du soleil de Minsk et la porte d’entrée de cette cité du bonheur. Photographe l’auteur illustre son ouvrage avec des prises de vue en noir et blanc qui montre à la fois le caractère monumental de cette architecture et en même temps leur aspect délabré. Dans le nouveau Minsk, celui édifié pendant la période stalinienne, ont pu subsister des quartiers délabrés de la période antérieure. LaBiélorussie n’a pas toujours été ce territoire attaché à l’empire russe, et soviétiques ensuite. Dans la lutte entre l’empire et la France, pendant la période napoléonienne, l’aristocratie locale a pu se ranger du côté de Napoléon Bonaparte. Son échec en 1812 a pu être payé très cher par une partie de la population qui a même été privée de sa religion dominante, le christianisme uniate. La trajectoire de ce jeune homme qui a donc vécu un quart de siècle dans le paradis socialiste de la république socialiste soviétique de Biélorussie, et donc décrit avec une tendresse particulière. Il évoque les grandes réalisations du communisme qui apporterait, comment en douter alors, le bonheur et la prospérité à l’humanité tout entière. C’est donc un voyage initiatique finalement, dans lequel un jeune lecteur pourra découvrir cette situation très particulière que pouvait représenter un fragment d’Europe au cœur du monde soviétique.
Lorsqu’il raconte la démolition des vieux quartiers, dont certains avaient été ravagés pendant la seconde guerre mondiale, particulièrement par les bombardements, il décrit la convergence d’un monde nouveau, celui dans lequel on se préoccupe, pour réaliser cet idéal communiste qui apporterait « le pain et les roses », de fleurir ses allées monumentales avec des chrysanthèmes, que l’on pouvait reproduire sur des stucs de plâtre sur les façades de ces palais destinés au prolétariat.
Il faut lire ce livre, pétri de références historiques et de clins d’œil, où l’on raconte que dans cet univers fermé, dans laquelle l’architecture écrase l’individu, que la boisson et l’ivresse entre amis devient un exutoire.
Du passé faisons table rase
Les dirigeants soviétiques sont présentés comme les métaphysiciens, et pendant son enfance ce dernier s’appelait Leonid Brejnev. Dans ce système le dirigeant soviétique incarnait toutes les vertus, amour et sagesse, courage et justice, zèle et droiture. Ce pouvoir se manifestait par ses limousines noires qui traversaient des avenues vides, simplement bordées par des populations rassemblées pour l’occasion, et qui voyait une occasion d’assister à cette représentation. Les grands monuments architecturaux deviennent alors les ziggourats d’un culte mystérieux, incarnation du pouvoir.
Il y a également dans ce récit une dimension jubilatoire, et il est difficile d’imaginer ce à quoi pouvait bien danser ce jeune homme conduit par ses parents pour assister à ces fêtes païennes. Lors de ces processions, au lieu des statues de saints, on voyait approcher les tracteurs et machines-outils, de grandes fresques portées avec des représentations de locomotives rugissantes. Les fêtes patriotiques réunissaient les vétérans à la poitrine recouverte de décoration, et une fois terminée, peut-être comme une forme d’exorcisme, les réunions entre amis se noyaient dans l’alcool.
La traduction de Jacques Duvernet, spécialiste de la langue allemande, est la première qu’il a réalisée à partir du russe. Il parvient à restituer cette atmosphère, et avec les mots à retranscrire cet humour décalé, un peu désespéré, qui était sans doute la forme de résistance passive du citoyen soviétique, russe, biélorusse ou ukrainien. Une longue histoire commune les a sans doute rapprochés, avant que les convulsions de l’histoire ne les séparent.
Le Monde
En attribuant le prix Nobel de littérature à la Biélorusse Svetlana Alexievitch, qui faisait figure de grande favorite, l’académie suédoise récompense un auteur qui a la passion du réel. De livre en livre, cette écrivaine engagée, née en Ukraine en 1948, dénonce la guerre, la violence, le mensonge dont fut tissée l’histoire de l’ancien empire soviétique. Première femme de langue russe à recevoir cette récompense, elle prend la suite de Pasternak (1958), Soljenitsyne (1970) et Brodsky (1987).