Avec un taux de suicide de 34 pour 100.000 (étude INSERM, 2002D’après les auteurs de cette étude, l’enquête de l’INSERM citée ici n’existerait pas. Le chiffre a été souvent diffusé mais l’INSERM a démenti avoir réalisé un tel travail. Le taux de suicide chez les enseignants apparait également une donnée absente au ministère.), le monde enseignant affiche un pourcentage plus élevé que celui de France Telecom ou de la police et pourtant bien moins médiatisé à l’exception de quelques cas hélas particulièrement violents. Sans aller jusqu’à cette issue extrême, nombre de nos collègues vivent des situations difficiles où la hiérarchie, loin de les appuyer, a plutôt le réflexe de passer sous silence les problèmes, voire de retourner la faute envers les demandeurs pour se dédouaner et ne pas faire de vagues.

C’est à partir de ce postulat que Daniel Arnaud, philosophe, écrivain et enseignant à Ajaccio, propose une lecture de notre système scolaire et du harcèlement qui peut y régner. Plus qu’une poignée de vrais tyrans frustrés en mal de pouvoir, l’auteur montre que c’est le mammouth dans sa globalité qui est responsable des situations décrites dans l’ouvrage pour une raison qui apparaît assez binaire : l’enseignant est pris entre deux « maîtres », le pouvoir et le savoir. Servir les deux semble incompatible puisque le pouvoir ferait en sorte de ne pas transmettre des savoirs susceptibles de le rendre illégitime. Dès lors, les situations de conflit, de blocage, de parole trop libérée peuvent avoir des conséquences d’autant plus lourdes sur le plan psychologique que l’individu est difficilement licenciable.

L’analyse s’arrête sur les différents acteurs de la communauté enseignante : les élèves perturbateurs qui ne sont pas nécessairement inquiétés ; les méthodes pédagogiques qui les auraient trop mis « au cœur des savoirs » ; les directions qui veulent garder une certaine image en augmentant les moyennes et en minimisant la visibilité des incidents ; les syndicats pas toujours vaillants ; voire les enseignants eux-mêmes, finalement complices par moments, lorsqu’ils veulent arrondir leurs emplois du temps ou placer leur progéniture dans les bons établissements.

Mais c’est surtout la hiérarchie qui concentre l’essentiel du propos. Partant du principe que l’on ne désavoue jamais un supérieur, Daniel Arnaud relate des cas de figures où des collègues sans histoires se sont vus, après une première étape de déni (qui souvent reste la seule si le plaignant n’insiste pas), réprimés (mais sans jamais de confrontation directe) voire même enfin détruits par insistance pseudo-psychanalitique (« faire taire en enfermant un individu dans une version falsifiée de la réalité, pourtant érigée en version officielle »).

Un garde-fou existe pourtant de par le BO n°10 du 8 mars 2007 mais Daniel Arnaud se demande si l’administration en fait une publicité suffisante ? Des formations sur le sujet devraient être prévues. Mais c’est sans doute une réforme plus générale de la fonction publique, et enseignante donc, qui semble urgente à mener. L’auteur l’imagine plus honnête, plus déontologique avec un devoir de réserve assoupli et une écoute attentive de syndicats prêts à briser l’omerta.

Un sujet délicat que l’on ne peut que comprendre pleinement en le vivant de l’intérieur. Malgré un plan un peu complexe et quelques coquilles par endroits, le propos de Daniel Arnaud passe plutôt bien avec de nombreux exemples argumentés avec quelques bonus comme des lettres syndicales types et des conseils de stratégies individuelles. On pourra toutefois regretter que l’étude ne porte que sur le monde du secondaire puisque celui du primaire est tout autant concerné (voir notamment l’affaire Jacques Risso sur cette rentrée 2013). La refondation globale de notre système, pourtant affichée, est un préalable bien plus urgent que la seule question des rythmes qui concentre aujourd’hui toute l’attention.