Deux grands temps structurent cet ouvrage synthétique d’une centaine de pages. Le premier, dans lequel l’auteur analyse l’ascension du Hezbollah depuis sa formation jusqu’à sa constitution en véritable nébuleuse politique, militaire profondément enracinée au Liban par son action sociale. Puis, un second temps, dans lequel il traite du positionnement du Hezbollah face aux enjeux majeurs qui concernent aujourd’hui le Proche et le Moyen Orient : lutte contre Israël, conséquences des printemps arabes et conflit syrien.
Par son contenu, l’ouvrage concerne donc principalement les enseignants ayant en charge les classes de terminale. Mais il s’adresse aussi au lecteur soucieux de mieux comprendre les tensions qui agitent actuellement cette partie du globe.
LE HEZBOLLAH : FORMATION ET CONSTRUCTION DE LA DOCTRINE
a. La naissance du Hezbollah, est à replacer dans le contexte de la marginalisation dont sont victimes les chiites du Liban. Une marginalisation géographique, dans des régions où la pauvreté est importante, sociale et politique sous l’effet de la répartition confessionnelle des fonctions de gouvernement depuis le Pacte National de 1943. L’imam libanais Moussa-al-Sadr donne corps à cette colère, à la fin des années 1950, dans un mouvement politique nommé Amal, initialement non-confessionnel, dont le but était la défense du Sud-Liban, la remise en cause du Pacte National et la réforme pacifique de l’état sur le modèle de la révolution iranienne de 1979.
Les invasions israéliennes entre 1978 et 1982, difficilement vécues par les chiites, majoritaires au Sud-Liban, précipitent la naissance du Hezbollah à la suite d’un schisme interne à Amal. Le « parti de Dieu » ainsi formé sous la houlette de Hassan Nasrallah, renforcé par des éléments venus d’Iran et d’Irak, se donne pour mission de canaliser un mouvement diffus et de se renforcer dans la lutte militaire contre Israël.
b. Dès lors, le Hezbollah forge une idéologie dont D. Leroy met en lumière trois facettes. C’est d’abord une idéologie religieuse fondée sur le crédo est chiite, l’assimilation de l’imamat et le leadership politique (issue du khomeinisme) et enfin le jihad, élément central d’une doctrine religieuse où le sentiment de lutte contre l’injustice est un élément moteur.
Ce discours se politise nettement à partir de 1985. Dans sa recherche d’une 3e voie entre le matérialisme marxiste et la démocratie libérale occidentale, trois objectifs guideront alors le parti: la lutte contre les « ennemis de l’islam », la défense des thèses de la révolution islamique iranienne, la promotion d’un régime théocratique au Liban. Israël est ainsi présenté comme « l’entité sioniste » à abattre tandis que l’Occident et ses alliés (Etats-Unis, France, OTAN, régimes arabes corrompus) font l’objet d’accusations d’impérialisme et de sionisme.
Avec la fin de la guerre civile au Liban (1990), le Hezbollah est amené à donner à son discours un caractère plus national et concret que D. Leroy décrit par le terme d’« islamo-nationalisme ». Il met sur pied son projet de « société résistante » : lutte contre la pauvreté et la corruption, réforme de l’état, promotion des libertés publiques et du dialogue interconfessionnel, état de droit réformé… C’est aussi le temps où, malgré sa défiance, il se lance dans la vie politique nationale. Il détient aujourd’hui deux portefeuilles ministériels et compense sa faible présence au Parlement par une excellente implantation locale.
c. Parallèlement, le parti se constitue en véritable nébuleuse. Sa branche armée s’étoffe et se professionnalise. Les attentats et les prises d’otage des années 1980 et 90 semblent loin car on parle désormais de la force paramilitaire la plus puissante du Proche-Orient, capable de mener des opérations de guérilla comme de guerre conventionnelle. Ses hommes, de toutes tendances confessionnelles, bien formés, aguerris dans la lutte contre Tsahal puis contre les groupes djihadistes syriens, disposent d’un armement moderne. Les succès obtenus en 2000 puis 2006 contre Israël montrent l’importance acquise par le Hezbollah sur le terrain militaire.
Enfin, D. Leroy met en évidence comment le Hezbollah est devenu un « état dans un non-Etat » par le biais de ses institutions sociales adressées à toute la population mais davantage tournées vers les chiites. Il s’occupe en effet de reconstruction dans les zones bombardées, de santé publique, promeut ses martyres et prend en charge leurs familles, conduit une politique scolaire, fournit du micro-crédit… A bien des Libanais, il offre une alternative à la misère et l’exode rural tout en les fidélisant au parti, ce qui explique l’approbation tacite de l’Etat. Cette bienfaisance fait d’ailleurs l’objet d’une propagande ciblée du Hezbollah par des moyens traditionnels mais aussi modernes (sa chaîne de TV et de radio, Internet) voire inattendus (rap islamique, jeux vidéo, musée du Hezbollah à ciel ouvert)
Cette activité suppose des financements que le parti trouve auprès des subsides iraniens, par l’impôt islamique, l’aumône légale, les différents trafics auxquels il se livre (notamment les stupéfiants) mais aussi en investissant dans les secteurs les plus modernes de l’économie : immobilier, tourisme, agriculture…
LE HEZBOLLAH FACE AUX TENSIONS REGIONALES ET AUX ENJEUX INTERNATIONAUX
Si l’assise du Hezbollah, et son projet, est donc solide au Liban, son positionnement international est davantage fluctuant et pragmatique. Afin d’y voir plus clair, D. Leroy plante d’abord le décor des relations établies par le Hezbollah avec ses trois alliés du « front du refus » (a), l’Iran, la Syrie et le Hamas. Puis, il étudie l’attitude du parti durant les printemps arabes (b) avant de se concentrer sur le conflit syrien (c).
a. L’inféodation du Hezbollah à l’Iran s’explique par sa filiation doctrinale historique avec le khomeinisme mais elle n’est pas seulement religieuse. Son projet de « société résistante » n’aurait pu se concrétiser sans l’aide polymorphe de Téhéran. Il en découle une allégeance ancienne au service des projets régionaux de l’Iran bien mise en évidence au moment de l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 ou, plus récemment, lors de tensions entre l’Iran et Israël.
En revanche, ses relations sont plus ambigües avec le Hamas et le dossier palestinien en général. Si le discours du parti se veut résolument antisioniste et si la cause palestinienne a été soutenue militairement depuis la 1ere Intifada, le Hezbollah avance aujourd’hui prudemment car il est méfiant à l’égard d’un Hamas qui a fait allégeance aux Frères musulmans sunnites en 2011 avant de faire volte-face et, surtout, parce qu’il souhaite contenir la présence problématique de réfugiés palestiniens, majoritairement sunnites, sur son propre sol.
Enfin, son lien avec la Syrie tient du pacte stratégique. Les relations n’ont pas toujours été bonnes avec ce voisin, influent de longue date au Liban et désireux d’avoir la mainmise sur sa communauté chiite. Elles se réchauffent à partir de l’accession de Nasrallah à la direction du parti en 1992, moment où Afiz el Assad comprend le parti qu’il pourra tirer du Hezbollah dans sa lutte contre Israël. Mais c’est sous Bachar el Assad qu’elles franchissent un cap. La Syrie devient l’un des principaux chemin de transit des armes du Hezbollah mais aussi un possible point de repli vers le Nord en temps de guerre. Par ailleurs, aux yeux du Hezbollah, le pays a toujours été constant dans son hostilité envers Israël.
b. En ce qui concerne les « printemps arabes », le Liban en a été relativement préservé, notamment grâce à la répartition confessionnelle des fonctions gouvernementales. Il a cependant choisi de soutenir deux de ses alliés traditionnels confronté au phénomène, la Syrie et l’Iran, alors que les révoltes s’accordaient avec l’idée de résistance défendue par les hezbollahis. Dès lors, la position du Hezbollah vis-à-vis des pays embrasés a été dictée par trois questions essentielles : 1. Quelle est la relation de l’état concerné à Israël ? 2. Quelle est la situation des droits civils ? 3. Quel impact la contestation aura-t-elle sur les relations sunno-chiites ?
Au nom de cette grille de lecture, le parti a soutenu les insurgés tunisiens libyens ou égyptiens mais s’est rangé inversement, et non sans débats en interne, en faveur du régime de Damas. La perspective d’une Syrie post-Assad soumise à l’influence saoudienne, a sans doute joué dans ce choix, d’autant que le pays reste son principal pourvoyeur d’armes avec l’Iran.
c. La poursuite du conflit syrien et son changement de nature ont donc fatalement amené le Hezbollah à intensifier son engagement. Formation de troupes, conseil militaire, opérations de combat avec le soutien de troupes irakiennes font partie des services qu’il fournit aux forces loyalistes. Bien loin de la défense des lieux saints chiites de Syrie présentée comme son motif initial, il s’agit désormais de lutter contre les troupes salafistes financées par Riyad, Jabhat-al-Nusra et Daech au premier chef, tout en maintenant ses positions à la frontière syro-libanaise et vis-à-vis d’Israël. Cet investissement coûteux s’est néanmoins révélé payant puisqu’il a permis l’émergence d’une force multilatérale composée d’éléments syriens, libanais, irakiens et iraniens venant renforcer « l’axe du refus » dont le Hezbollah se veut le champion.
D. Leroy expose avec précision la manière dont le parti a bâti sa propagande pour cautionner son intervention. Le Hezbollah s’est rangé à la thèse du caractère non légitime de la révolution syrienne et l’a présentée comme un complot occidental fomenté de l’extérieur afin de faire front à la critique l’accusant de fouler au pied ses aspirations révolutionnaires. De même, il a su tirer parti des atrocités commises par Daech ou Jabhat-al-Nusra pour faire apparaître son intervention non comme un conflit entre communautés musulmanes mais comme une lutte « civilisationnelle » contre la « menace takfiriste ». Enfin, le souci légaliste est au cœur de ce discours puisque le Hezbollah en revient sans cesse au caractère légal de sa lutte, mise au service d’un régime Assad lui-même légalement élu.
En définitive, D. Leroy démontre que l’avenir du Hezbollah n’est pas intrinsèquement lié à celui du régime en place en Syrie. Le remplacement d’Assad l’affaiblirait sans aucun doute à l’échelle régionale mais ne remettrait pas en cause son enracinement au Liban. En revanche, les printemps arabes, ainsi que la faiblesse étatique en Irak ou au Liban, ont offert un terreau au développement du salafisme et de nombreux mouvements djihadistes encouragés par l’Arabie Saoudite. De telle sorte qu’Assad est paradoxalement passé du statut de président à abattre à celui de dernier rempart contre ces derniers. Le Hezbollah est donc confronté à la menace d’une escalade sectaire qui le détournerait de sa lutte contre Israël.
Pourtant, l’auteur conclut son propos en soulignant que si les dynamiques belliqueuses post « printemps arabes » sont perçues comme strictement confessionnelles dans le monde occidental, alors elles sont surtout structurées par la soif de pouvoir politique dont la matrice principale est la rivalité entre Riyad et Téhéran. Le Hezbollah devra continuer son numéro d’équilibriste entre les différentes facettes de son identité (chiite, arabe, musulmane, libanaise….) pour assurer sa survie.