« Cet atlas permet d’appréhender l’histoire des immigrations sur le temps long. […] Les 120 cartes et infographies éclairent cette question dans sa complexité et sa diversité. » Elles sont réalisées par la géographe-cartographe Aurélie BOISSIÈRE et sont commentées par les historiens Pascal BLANCHARD et Yvan GASTAUT, ainsi que le géographe Hadrien DUBUCS.

Cet atlas s’attache à inscrire les immigrations dans le temps long de l’histoire de France et à montrer au lecteur que « les mobilités humaines ne sont pas seulement faites de souffrance et de désarroi, elles peuvent être envisagées comme le résultat d’un désir de mouvement, source de richesse. » Dans cette histoire longue, 2015 apparaît comme une année-charnière qui a commencé et s’est achevée par des attentats à Paris et a vu l’Europe être confrontée à une « crise migratoire » qui ont ravivé dans le débat public la « question de l’immigration » doublée d’enjeux autour des mémoires. « Cet ouvrage voudrait contribuer à apaiser, à éclairer et à dénouer les tensions associées à l’histoire des migrations ».

Le pluriel de l’immigration

L’immigration s’écrit au pluriel, car elle est diverse, et elle a contribué à construire la France dans toutes ses dimensions. La France apparaît comme un pays d’accueil alors qu’il faut la voir davantage comme un pays marqué par la densité des circulations de personnes qui transitent, s’installent, quittent puis parfois reviennent sur notre territoire. Elle reste un petit pays d’immigration à l’échelle mondiale avec des spécificités qui tiennent à son passé colonial et à son rayonnement économique et culturel. Sujet à débat, l’intégration des migrants, définie comme le processus par lequel ils (et leurs descendants) trouvent leur place dans la société, est difficile à appréhender scientifiquement, Aussi, les savants comme les acteurs politiques et l’opinion publique ont longtemps méconnu l’émigration française, dont la mesure reste encore un défi.

Une longue histoire

L’époque contemporaine est marquée par une intensification des circulations de populations en Europe. La figure de l’immigré apparaît au XIXe siècle. L’arrivée en France de travailleurs immigrés, la plupart européens, provoque des formes originales de brassage. Les profils de migrants se diversifient au XXe siècle : coloniaux, ultramarins, réfugiés, minorités,… Au final, ces migrations semblent constituer à court terme un coût nul ou modéré et à moyen et long terme un gain économique incontestable.

Les visages de la France

En France, comme ailleurs en Europe et dans le monde, les dernières décennies ont été celles d’une complexification sans précédent des mouvements migratoires, échappant à toute catégorisation simpliste. On peut remarquer par exemple une féminisation et un vieillissement de la population immigrée, ainsi qu’une diversification des profils socio-professionnels, dont les sportifs, les artistes, les étudiants ou les « cols blancs ».

Héritages et enjeux contemporains

« Les immigrations fabriquent la France. Elles contribuent à en façonner les paysages urbains et à en enrichir les réalités sociales et culturelles. […] Le visage actuel de la France est le produit des strates successives de notre histoire migratoire dans lesquelles les frontières entre soi et l’autre sont sans cesse recomposées, parfois occultées, souvent instrumentalisées ».  En France, les immigrés se concentrent dans les grandes agglomérations et au sein de celles-ci davantage dans les villes-centres et les banlieues que dans le couronnes périurbaines. La moyenne nationale de 5,5 millions d’immigrés soit 7% des habitants, cache également de fortes inégalités régionales.

Par ailleurs, le parcours social des immigrés et de leurs enfants au sein de la société française est révélateur de nombreux blocages dans le marché du travail comme dans le système éducatif. 2015 est un tournant dans l’histoire des immigrations en France et semble imposer la fin du mythe de la France « terre d’accueil », renforçant les débats sur le « fantasme de la délinquance immigrée » ou la place des religions dans la société laïque française. La question de la gestion de l’immigration qui se pose depuis le milieu des années 1970 dans le jeu politique, est également un débat récurrent opposant droite et gauche.

On apprécie la lecture de cet atlas, dans lequel cartes ou infographies se marient avec des textes précis. Il s’agit bien d’un atlas historique montrant les évolutions sur le temps long de manière factuelle, tout en évitant les polémiques infructueuses. De nombreux documents et informations seront utiles aux enseignants du secondaire en histoire, comme en géographie, et donc à leurs élèves. L’atlas se conclut sur les défis et enjeux de la suite du XXIème siècle : « la décennie 2020-2030 sera confrontée à ce paradoxe d’un village planétaire qui n’empêche pas les « séparatismes » d’un monde qui se joue des frontières et qui est pourtant incapable de décréter la libre circulation des individus. »

Nicolas Prévost

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Recension de Jean-Pierre Costille

L’histoire des immigrations est au cœur du récit national. Elle est aussi au centre des débats de la présidentielle. Autant dire que la parution de cette deuxième édition de l’ « Atlas des immigrations en France » revêt une grande importance. Dès l’introduction les trois auteurs insistent sur l’importance du pluriel, sur la nécessité d’inscrire cette histoire dans un temps long. Ils positionnent clairement cet ouvrage comme un outil d’analyse pour une question brûlante, bref il s’agit d’éclairer le débat sur les immigrations qui font la France. Quatre thèmes structurent l’ensemble avec des documents iconographique variés réalisés par Aurélie Boissière.

Le pluriel de l’immigration

Depuis les années 70, l’histoire de l’immigration s’inscrit dans un cadre nouveau : il est européen et mondial. Auparavant la France a été une terre d’immigration et d’émigration. Il faut insister sur la notion de circulation. La France possède des caractéristiques migratoires communes avec les autres pays développés mais elle a aussi ses spécificités liées notamment à son passé colonial ou à son rayonnement économique. Les auteurs proposent ensuite de dézoomer pour donner les chiffres mondiaux. La France se caractérise notamment par la géographie de son histoire coloniale qui a pour conséquence que 60 % des immigrés sont originaires d’Afrique. Il faut aussi avoir en tête des évolutions récentes comme le fait que la France accorde des visas professionnels selon un tableau des métiers.

Définir

Dans la première partie les auteurs reviennent entre autres sur la question cruciale des définitions. Elle est essentielle si on veut bien cerner les phénomènes. Pendant longtemps l’immigré n’avait pas de définition administrative et juridique. Le Haut conseil à l’intégration propose en 1991 une définition « officielle » de l’immigré : une personne née étrangère à l’étranger et résidant en France. A partir de la Première Guerre mondiale il faut ajouter la figure et donc la définition du réfugié.

Quelques chiffres de référence

Un des paradoxes c’est que même aujourd’hui on sait mieux mesurer les entrées sur le territoire national que les sorties. On peut estimer qu’il y a entre 2 et 3 millions de Français hors de France aujourd’hui. La France c’est 250 000 entrées par an soit la moitié de celles de l’Allemagne. La France est aussi souvent un espace de transit, une étape avant de gagner le Royaume-Uni. Enfin, il est parfois difficile d’avoir un débat serein sur l’intégration. En effet, deux orientations polarisent le débat : l’assimilation et le multiculturalisme. Le plus important aussi serait de convoquer le pragmatisme. On peut se demander si avoir des statistiques ethniques serait un bon instrument pour lutter contre les discriminations.

 Une longue histoire

Dans la deuxième partie, les auteurs réinsèrent la question des immigrations dans l’histoire. En deux siècles, la France est devenue un pays mosaïque. On commence par l’immigré au XIXème qui à l’époque est incarné par les Belges, les Italiens ou les Polonais. La sidérurgie est alors un important employeur, Paris s’affirme comme une ville cosmopolite et le rejet est déjà à l’œuvre. Au XXème siècle, on passe de flux européens à des flux mondialisés. Le glissement se fait peu à peu et d’une question économique on passe à une question de société. L’atlas détaille les migrations venues d’Europe par nationalités avec un focus par exemple sur la communauté arménienne. On trouvera également une double page sur les coloniaux et rapatriés entre 1830 et 1975.

Une mosaïque élargie

C’est presque un million de personnes qui sont rentrées en métropole dans le contexte de la décolonisation. Le bilan est donc celui d’une mosaïque élargie. Ce panel qui s’agrandit s’explique aussi par des évènements comme l’arrivée de Yougoslaves dans les années 50 ou encore de Chiliens durant la dictature de Pinochet. On peut souligner un graphique sur la xénophobie selon les origines où apparaissent comme catégories les gens du voyage, les musulmans ou encore les homosexuels. Les auteurs reviennent sur les mots de vocabulaire et précisent la signification de réfugiés, clandestins, sans papiers et apatrides. On a également une carte sur les principales routes de l’immigration clandestine entre 2008 et 2014. La partie se termine sur un bilan économique de l’immigration qui souligne que le cout est nul ou modéré à court terme pour l’accueil et est synonyme de gain à long et moyen terme pour le pays.

Les visages de la France

Il est indéniable qu’en Europe et dans le monde les dernières décennies ont été l’objet d’une complexification des mouvements migratoires qui va de pair avec une très grande diversification des populations immigrées. Aujourd’hui on constate aussi une féminisation et un vieillissement alors que l’immigration était essentiellement masculine durant les Trente Glorieuses. Les motifs familiaux représentent 45 % des entrées et les profils socio-professionnels se diversifient. Les étudiants constituent un tiers des entrées et les nouveaux arrivants sont de plus en plus diplômés. L’atlas propose ensuite une approche plus ciblée sur les sportifs, les artistes, qui se révèle très intéressante avec des informations chiffrées particulièrement frappantes. Le paysage associatif se révèle très diversifié. La question du retour est abordée et montre la faible efficacité des politiques d’aide au retour. On notera que les transferts de fonds à destination du pays d’origine peuvent représenter jusqu’à 7 % du PIB si l’on prend le cas du Maroc. Les informations sont actualisées avec une synthèse sur les nouveaux migrants-réfugiés et l’appel de l’Europe entre 2005 et 2021.

Héritages et enjeux contemporains

« Le visage actuel de la France est le produit des strates successives de notre histoire migratoire dans lesquelles les frontières entre soi et l’autre sont sans cesse recomposées, parfois occultées, souvent instrumentalisées ». Le livre propose une approche géographique en soulignant l’importance des grandes agglomérations mais souligne là aussi l’importance des différences selon le territoire. On peut noter un document original sur politique et diversité (2005-2016) qui permet de situer politiquement les personnes en précisant leur origine. Le constat reste tout de même que l’espace du politique peine à s’ouvrir à la diversité des origines. Le niveau de qualification des immigrés augmente régulièrement et si on constate une mobilité il faut aussi se rendre compte que le point de départ initial  est parfois plus bas. Le logement est évoqué avec notamment les bidonvilles qui apparaissent comme des legs des Trente Glorieuses. Si l’on veut une approche autre que comptable on pourra lire ou relire « Le Gone du Chaaba » d’Azouz Begag.

Institutions et lieux de la diversité

Les auteurs posent la question de l’intégration en soulignant que la police et l’armée sont des lieux peu concernés pour l’intégration des immigrés. En revanche, il y a l’école qui peut se révéler à la fois un lieu d’exclusion ou d’intégration. Malgré tout, elle reste LE lieu d’intégration (les majuscules sont des auteurs). Sur un sujet plus léger on peut signaler l’omniprésence des cuisines du monde en France. Le panorama aborde la question de la famille où on passe de la mixité au métissage. Pour aller au-delà des amalgames, une double page revient sur le triptyque violence, terrorisme et immigration utilisé par certains politiques. On dispose aussi d’une carte qui recense les lieux de mémoire liés à l’immigration. Les musées se révèlent être un bon indicateur de la volonté de transmission d’une thématique sociétale. A cet égard, l’ouverture du musée national de l’histoire de l’immigration en 2007 a marqué un tournant. Les auteurs questionnent enfin l’idée d’une autre rupture qu’aurait constitué l’année 2015.

En conclusion, il est clair que les années de la décennie 2020 vont représenter des nouveaux enjeux et des nouveaux défis. Pour bien les aborder, il conviendrait d’essayer d’éviter les fantasmes que génère la question de l’immigration. La figure du migrant est en pleine mutation. Ainsi, par exemple, la « tradition » des migrations post-coloniales va se diluer. D’autres facteurs comme l’écologie prendront encore plus de poids. «  En matière d’immigration, la connaissance est à portée de main et pourtant l’ignorance reste de mise ». Gageons que cet atlas très complet et aux multiples facettes pourra faire mentir cette constatation.

Jean-Pierre Costille