Jean-Marc Bagnol : un professeur du secondaire sortant du rang

Jean-Marc Bagnol est docteur de l’Université Paul-Valéry Montpellier III (histoire contemporaine) mais aussi Professeur certifié dans l’enseignement secondaire, actuellement en poste au collège Jean Jaurès de Saint-Chinian (Hérault). Il a soutenu sa thèse de doctorat le 23 novembre 2007 sur Les députés héraultais et la viticulture dans l’entre-deux-guerres : organes de décision, relais de pouvoir, législation (mention très honorable avec les félicitations du jury à l’unanimité).

Le Midi viticole au Parlement : un ouvrage comblant un vide historiographique

L’ouvrage présenté est la version publiée de la thèse de Jean-Marc Bagnol. Cette étude comble un vide dans le domaine de l’histoire vitivinicole contemporaine comme dans celui de l’histoire politique française entre 1919 et 1939. Ce livre revient sur l’action décisive des élus de l’Hérault en matière de législation vitivinicole au Parlement pendant l’entre-deux-guerres. L’auteur ne se contente pas d’une approche unilatérale et cloisonnée du sujet mais varie les échelles d’analyse pour comprendre les modes d’action de ces élus du vin. En outre, cet ouvrage envisage la vigne et le vin non pas comme une fin en soi, mais comme une entrée d’analyse vers une histoire des politiques parlementaires de la fin de la IIIe République. Très complet, avec ses nombreuses cartes tableaux, graphiques, ou schémas qui, dans le corps du texte comme en annexe, viennent illustrer et synthétiser avec clarté la réflexion. Quant aux annexes, elles contiennent une chronologie, un lexique, une présentation biographique des députés de l’Hérault de la période ainsi qu’une liste des sources utilisées. Seule manque une bibliographie proprement dite que l’auteur justifie par une contrainte éditoriale.

Dans une première partie, l’auteur situe les élus dans leur circonscription. Ainsi, après une étude prosopographique de ces députés, il évoque leur ancrage local. Dans le Midi, la vitiviniculture s’impose comme thème majeur des débats. Ensuite, Jean-Marc Bagnol parvient avec succès à situer les élus de l’Hérault dans l’hémicycle, à décrire leurs méthodes et les arguments qu’ils avancent pour la défense des intérêts viticoles du Midi. Afin d’illustrer la position des élus du Midi et les interactions existant avec les députés des autres régions viticoles, l’ouvrage revient avec bonheur sur l’étude du vote de la loi du 4 juillet 1931 (statut de la viticulture). Une partie de ce chapitre tente alors de situer politiquement les parlementaires héraultais et de dégager les orientations en matière de législation vitivinicole. Malheureusement, si l’exercice permet d’expliquer certains choix, on peut, cependant, regretter que l’auteur n’ait pas produit une analyse plus approfondie des courants politiques au sein des partis et des alliances électorales d’occasion.

En parcourant la deuxième partie consacrée au lobbying viticole, le lecteur perçoit les multiples leviers institutionnels, politiques et professionnels de l’action pour la défense des intérêts viticoles des administrés du Midi. Le chapitre I est consacrée à la Commission des Boissons de la Chambre des députés, « centre névralgique de la prise de décision viticole », selon l’auteur.

Le lobbying viticole

Sont évoquées sa composition et ses actions – en particulier celles des élus héraultais. L’auteur effectue une étude quantitative précise, met en avant les compétences techniques et évoque rapports, propositions de lois et arbitrages de la Commission. Une fois de plus, l’auteur intègre les jeux d’échelles et s’appuie sur de nombreuses archives. Le chapitre II, quant à lui, est consacré « aux multiples organismes de pression ». Parmi lesquels nous trouvons au niveau parlementaire : le Groupe viticole de la Chambre des députés et le « Parlement de la viticulture, en l’occurrence, le CIV (Commission interministérielle de la viticultures) ; par ailleurs, l’OIV (Office international du vin), le CNPV (Comité national de propagande en faveur du vin), les médecins amis du vin (sic) ou « le bon vin réhabilité », etc. Dans le chapitre III, sont évoqués avec précision les liens et réseaux locaux en rapport avec les actions nationales des élus dont, en premier chef, Édouard Barthe. Ce personnage rythme les pages de l’ouvrage, tant son action et ses fonctions font de lui l’élu incontournable de la vigne et du vin dans le Midi, en France et dans le monde (présidence de l’Office international de la vigne). Avec Barthe essentiellement, l’ouvrage cerne les relais de pouvoir organisés autour des députés du Midi. Sont ainsi pointés les liens entre les députés et les syndicats locaux. On y apprend l’importance des désaccords entre la puissante Confédération générale du Midi et Barthe ; ce qui conduit ce dernier à créer la Ligue des petits et moyens viticulteurs (LPMV), syndicat sur mesure capable de le soutenir localement. Ces réseaux s’appuient sur des organes de presse ou des associations de propagande. En conclusion de cette deuxième partie, Jean-Marc Bagnol propose une étude très intéressante de l’album de souscription rédigé lors du Jubilé d’Édouard Barthe en 1937. L’auteur reconstitue méthodiquement les réseaux de pouvoir gravitant autour d’Édouard Barthe et en pointe les évolutions.

En dernier ressort, dans la troisième et dernière partie, l’auteur étudie en profondeur les différentes lois vitivinicoles de l’entre-deux-guerres en distinguant 3 périodes inégales : 1919-1930 (chapitre I : Le temps des mesures ponctuelles), 1930-1931 (chapitre II : Pour une politique globale du vin face à la crise) et enfin 1933-1939 (chapitre III : Le renforcement des mesures entre urgente nécessité et grand dessein). Ces textes sont bien souvent portés par les élus du Midi, Barthe en tête (blocage, rendements, distillations, régime des alcools, carburant national, etc.). Analysant les débats parlementaires, les archives de la Commission interministérielle de la viticulture (CIV) ou encore celles de la Commission des Boissons, Jean-Marc Bagnol met en exergue les discussions et controverses liées aux textes cherchant à endiguer les récurrentes crises de surproduction des années 1930. L’auteur montre l’interventionnisme d’État dans ces périodes. Il insiste sur le rôle décisif du Parlement mais note le poids croissant du gouvernement (CIV) dans le processus décisionnel et son application concrète (décret-loi du 30 juillet 1935).

Députés du Midi

Cet ouvrage le prouve : les députés du Midi et Barthe jouent un rôle fondamental dans cette lutte contre les crises vitivinicoles de l’entre-deux-guerres. Ils agissent au cœur des réseaux efficients de la République. Porte-parole des viticulteurs héraultais dans les années 1920, ils développent ensuite les bases d’une politique plus globale d’interventionnisme anti-crise. Parfois divisés, ces élus participent fortement à la définition des lois visant à assainir, échelonner et financer le marché des vins, à définir ses normes de production et de commercialisation.

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage pionnier très fourni s’appuie sur un nombre considérable d’archives, et convie les lecteurs à se pencher sur les rapports entre le local et le national. Il aide également à mieux comprendre les lieux de pouvoirs et de décisions des parlementaires sous la IIIe République, grâce à son étude inédite de la Commission des Boissons. Il évoque, enfin, avec pertinence et nouveauté, les problématiques d’interactions entre acteurs de la viticulture et monde politique. Cette étude n’est pas seulement nécessaire à l’appréhension de l’histoire vitivinicole française, elle s’inscrit dans une démarche d’analyse plus générale applicable à d’autres vignobles et d’autres terrains.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)