Agrégé de géographie, Denis Eckert est directeur de recherche au CNRS. Il travaille au Centre Interdisciplinaire d’Etudes Urbaines (LISST – Cieu, Université de Toulouse II – Le Mirail). Il est spécialiste de la Russie, de ses dynamiques territoriales, des grandes métropoles et de la problématique de l’accessibilité. Il a participé à L’Atlas de la Russie et des pays proches, publié par Reclus – La Documentation Française en 1995. Il a ensuite publié La Russie, en 1999 dans la collection Dominos, chez Flammarion ainsi qu’un ouvrage collectif en russe portant sur Les grandes villes face aux défis de la mondialisation en 2003. Le livre qui nous occupe a connu une première version en 2004.
Dans le cadre de l’actualité des concours de 2008, Denis Eckert a retravaillé son précédent ouvrage dans le but de l’actualiser. Les deux premiers chapitres (La Russie et le monde et le Pays en politique) sont ceux qui ont connu le plus de remaniement et cela s’en ressent. Ils manquent de cohérence avec le reste de l’ouvrage. Des coquilles parsèment ces deux chapitres et des cartes faites à la « va – vite » les illustrent (cartes muettes, légende incomplète…). L’urgence de l’actualité du concours explique sans doute ces défauts. Le livre prend un autre élan à partir du troisième chapitre, au grand plaisir du lecteur. Le fil de la réflexion se déroule alors parfaitement et fait que la lecture de cet ouvrage devient très agréable voire passionnante.
L’ouvrage de Denis Eckert s’organise autour de trois idées.
La pérennité d’une conception autoritaire de l’Etat, malgré les tentatives de démocratisation.
Les observateurs internationaux ont cru, en 1991, que la Russie s’acheminait avec la démocratie. Pourtant, très rapidement, des dérives sont apparues : confiscation de la richesse nationale par un petit nombre de personnes liées au pouvoir, mise en place d’une démocratie électorale de façade, arrestations arbitraires. L’arrivée de Vladimir Poutine en 1999 accentue ces derniers aspects auxquels s’ajoutent le contrôle des médias, la mise en place de conditions de plus en plus restrictives pour l’éligibilité et une nouvelle carte électorale. De même, après avoir tenter de mettre sur pied une coopération internationale dans le cadre de la CEI, d’avoir essayé de s’insérer au marché européen, la Russie a reculé sur ces points après l’affaire Ioukos (2003) qui a fait fuir les investisseurs. Si elle ne fait pas partie de l’OMC, elle tente de s’affirmer par le biais du groupe de Shanghai.
La polarisation de l’espace
L’espace de cet Etat continent est un frein à la mobilité (même si cette affirmation n’est pas valable dans des conditions similaires en Amérique du Nord). La mobilité des Russes est plus faible que celle des habitants du Nord. Le manque d’infrastructures joue pour beaucoup. Celles-ci sont concentrées vers les grands foyers de population et les bassins de ressources énergétiques. L’accès au territoire est donc segmenté. Cette tendance est d’autant plus marquée que les réseaux ont été désorganisés à la suite de l’éclatement de l’URSS. Malgré la privatisation engagée dans les années 1990, le contrôle étatique sur les infrastructures s’est maintenu. C’est ainsi que l’Etat a contrôlé la mise en place d’oléoducs et de gazoducs contournant les pays de l’ « Etranger proche » financés par des capitaux privés (y compris étrangers) et publics. Globalement, l’auteur estime que les réseaux de transport se sont améliorés. Les Russes ont abandonné l’idée d’un « front pionnier » pour concentrer leurs efforts et investissements dans les régions peuplées. Les réseaux de transport sont donc en phase de restructuration. Cette dernière ne profite pas à la périphérie. Le document qui illustre le chapitre 3 (une des particularités de la collection Carré de Hachette) est particulièrement bienvenu. Denis Eckert a choisi de proposer une sélection d’extraits du texte du géographe russe Boris Rodoman autour de l’idée d’accessibilité des lieux (2002). Rodoman distingue 3 zones dans l’espace russe : les zones capitales, la Province (il faut entendre par là la zone située dans un rayon de 2 km au plus des gares) et la périphérie profonde (soit le reste, constituant le territoire enclavé). Cette vision montre bien l’importance des réseaux dans la polarisation de l’espace.
Le constat de la rapidité des évolutions et de la capacité des populations à s’y adapter.
Entre 1991 (date du début du rude apprentissage de l’économie de marché) et 1999 – 2000 (après le krach financier de 1998 lié au fait que l’Etat était en défaut de paiement), la situation économique de la Russie était particulièrement grave. La renationalisation des secteurs clé de l’économie engagée depuis a été un signe fort pour les oligarques qui s’étaient enrichis lors de la privatisation. Loin d’avoir disparu, ce groupe subsiste à la condition implicite de soutenir le pouvoir en place. La structure des exportations russes fait ressembler le pays à un PVD (80% de la valeur de celles-ci est constitué par les hydrocarbures et les métaux). Paradoxalement, le passage à l’économie de marché s’est traduit dans l’agriculture par le maintien quasi-total des exploitations collectives avec, toutefois, l’essor des lopins individuels (domaine par excellence de l’économie informelle qui utilise les ressources matérielles de l’exploitation collective). Le secteur agricole montre ainsi la capacité des populations à s’adapter à la situation.
La situation démographique du pays est largement développée par Denis Eckert. Si l’inflexion des courbes démographiques est spectaculaire, l’auteur nuance toutefois la gravité du phénomène. Il réfute l’équation simpliste : éclatement de l’Etat et du système soviétique + crise économique = crise démographique. La Russie, à l’instar de nombreux pays de l’Union Européenne, connaît une baisse de la natalité. La réduction de l’espérance de vie, essentiellement masculine, était déjà en germe dans les années qui ont précédé la chute du régime communiste. Le système sanitaire soviétique n’était pas en mesure de prendre en charge correctement les pathologies et les comportements responsables d’une forte mortalité de certaines classes d’âge (âge moyen) : morts violentes, risques cardio-vasculaires, alcoolisme.
C’est donc à un modèle politique et de société non identifié que l’on a affaire lorsque l’on étudie la Russie. Difficile pour les observateurs de mettre ce pays dans une case : pays autoritaire ouvert sur le monde, système libéral avec une forte présence de l’Etat… Le choix de l’étude de ce pays aux concours est bien inspiré. L’actualité éditoriale qui l’accompagne est donc particulièrement bienvenue pour comprendre les grands moments politiques qui vont ponctuer le calendrier russe : élections législatives et présidentielles. La lecture de l’ouvrage de Denis Eckert s’inscrit dans cette actualité et permettra aussi aux enseignants du secondaire de dépoussiérer leurs cours de géographie de la Russie. L’auteur du livre recommande, par ailleurs, la lecture de deux autres ouvrages écrits par ses collègues (Jean Radvanyi La nouvelle Russie, 2007 et Violette Rey Les Russes de Gorbatchev à Poutine, 2006) pour mieux comprendre les différentes étapes de la mutation de cet Etat entre un « avant » et un « après ».
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