Jean-Luc Leleu est un jeune chercheur du CNRS qui a soutenu sa thèse de doctorat en 2005, laquelle lui a valu le prix d’Histoire militaire du ministère de la Défense en 2006. Il est aujourd’hui Ingénieur de recherches au Centre de Recherche d’Histoire Quantitative (CNRS-Université de Caen).

Dès l’introduction, l’auteur explique ses choix qui peuvent parfois, au fil de la lecture, désarçonner. Ses commentaires et questionnements sont donc bienvenus. Il se place clairement dans l’héritage de Bernd Wegner, auteur de recherches sur les officiers de la Waffen-SS et particulièrement dans le cadre d’une thèse soutenue à Hambourg en 1980, dans laquelle Wegner soulignait les particularités de ces « soldats politiques ». Cependant, Jean-Luc Leleu revendique une approche plus sociologique et un regard enrichi par l’historiographie profondément renouvelée des dernières décennies. L’ensemble de son très dense ouvrage veut répondre à une double question : comment expliquer l’importance en temps de guerre de ces troupes paramilitaires restreintes ? comment cette organisation xénophobe a-t-elle pu tant s’ouvrir aux populations non-germaniques ?

Un recrutement paradoxal

Pour y répondre, l’auteur a divisé son propos en six parties. La première consiste à étudier « l’expansionnisme militaire de la SS ». Jean-Luc Leleu l’explique en partie par le changement de position de Hitler au printemps 1942 : d’un corps idéologique d’élite restreint, le Führer envisage alors de passer à un groupe élargi se substituant, si besoin est, à une Wehrmarcht insuffisamment acquises aux thèses nazies. L’auteur attribue cette évolution à une succession de « crises de confiance (…) envers le commandement de l’armée » (p.33), qui s’expliquent autant par la part prise par la SS dans la guerre à l’Est que par le fantasme d’une armée régulière qui serait trop réservée envers le régime. Le point d’orgue de cette évolution est l’attribution à la SS le 15 juillet 1944 de la formation des nouvelles recrues de l’armée, ce qui revenait jusqu’alors à l’armée de réserve. A cet élargissement progressif des fonctions de la SS entre 1942 et 1944 répond une « ouverture » du recrutement à l’étranger, d’abord à des individus considérés comme germaniques. Il a pour cela fallu glisser de l’idée d’une élite raciale à celle d’une élite idéologique, perceptible dès le printemps 1943.
La question du recrutement occupe l’essentiel de la deuxième partie, intitulée « la ressource humaine ». Alors que la SS était en perte de vitesse à la veille du conflit, Gotlob Berger a su assurer un recrutement efficace très rapidement dès le début de la guerre, profitant des imperfections du service de recrutement de la Wehrmacht. Il fit de la Jeunesse hitlérienne et du Service du travail de véritables viviers dans lesquels il pouvait aisément puiser. Parmi d’autres méthodes, en 1943, la SS mit à disposition de la Jeunesse hitlérienne son unité de radiologie afin de dépister la tuberculose chez les jeunes de 16 ans, ce qui permit de « se constituer en toute discrétion un gigantesque fichier dans lequel allaient être répertoriés tous les individus potentiellement intéressants » (p.162). Par l’analyse que l’auteur fait du recrutement par région, il apparaît que celui-ci était particulièrement efficace dans les régions à dominante rurale alors que les régions industrielles fournissaient un nombre plus restreint de soldats. De leur côté, « les avantages matériels ont représenté au fil du temps l’une des principales motivations des volontaires étrangers » (p.259).
Dans un troisième temps, l’auteur étudie « l’outil militaire SS », au sein duquel les unités motorisées et blindées semblent dominer. Ainsi, les unités motorisées paraissent-elles suréquipées alors que la question de l’équipement et du ravitaillement constitue une question cruciale et obsédante.
La quatrième partie propose une approche plus psychologique du sujet, en traitant des « conditionnement et motivations » des troupes. L’auteur y invite à revisiter « le mythe du soldat SS fanatisé à l’extrême » (p.413). L’endoctrinement s’exerçait au moyen des réponses à deux questions fondamentales : pourquoi cette guerre ? pourquoi l’Allemagne nazie doit la gagner ? A compter de 1943, le combat patriotique entre en compte, alors qu’il était jusqu’alors essentiellement idéologique pour les SS, même si les deux aspects se confondent souvent. Cela se traduit en particulier par la plus grande fréquence de « figures historiques du patrimoine politique et militaire allemand » (p.432) comme patronymes des divisions SS. L’endoctrinement fut assez efficace pour qu’un officier d’intendance aille jusqu’à classer les véhicules par marque en vue de réaliser une pureté raciale du parc automobile (p.439). Le contrôle des mariages et de la natalité n’échappe pas à ce conditionnement mental, par le biais en particulier des « permissions spéciales » qui visent à permettre aux soldats SS de rejoindre leurs épouses au moment le « plus propice du cycle menstruel de la femme » (p.458).

Ascq et l’Orient

La cinquième partie permet de comprendre l’évolution de la Waffen SS dans la guerre. De troupes surtout utilisées dans une optique motorisée pendant la Blitzkrieg, la SS est devenue à partir de 1942 une réserve stratégique à disposition exclusive de Hitler. Jean-Luc Leleu remet en cause l’image glorifiante d’armée du feu (Feuerwehr), de pompiers du front intervenant pour sauver les « opérations en crise » (p.557). Le décret Sperrle pris en février 1944 marque un réel renforcement de la violence au sein des troupes SS, un commandant d’unité ne pouvant désormais plus être poursuivi pour trop grande sévérité. Ainsi, dès avril 1944, les hommes de la 12e division SS se vengeaient contre la population d’Ascq après le déraillement de leur train et en massacrèrent 86 habitants. Le front oriental se révélant particulièrement difficile, les « troupes de moindre qualité » furent destinées aux opérations sur le front occidental (p.629).
L’auteur achève son ouvrage par une sixième partie consacrée aux « valeur militaire et comportements ». C’est l’occasion pour le chercheur de remettre en cause le mythe élitiste de la valeur militaire des SS. A l’épreuve du front, la disparité de niveau se révèle, comme l’illustre le cas de la 12e division SS pendant la bataille de Normandie. Quant au cas d’Oradour, Jean-Luc Leleu y voit le résultat d’un cheminement intellectuel inabouti et « la transposition circonstancielle de méthodes préalablement appliquées à l’est par la division Das Reich » (p.785). La violence arbitraire expérimentée à l’est a ainsi pu déboucher culturellement et techniquement sur les répressions envers les civils à l’ouest. La peur de la mise en place d’une république autonome dans le Massif Central autant que la mort d’un commandant de bataillon ont servi de prétextes au crime d’Oradour.
L’ouvrage de Jean-Luc Leleu a incontestablement les défauts de ses qualités : très pointu et maîtrisant parfaitement son sujet, l’auteur laisse parfois de côté le lecteur amateur et néglige en particulier les mises en place introductives. Cependant, une fois entré dans ce travail très technique, le lecteur y trouvera des informations d’une très grande richesse placées dans une perspective d’étude enrichissante. On pourra particulièrement apprécier l’appareil de notes (plus de 250 pages à lui seul !) et les 40 pages de bibliographie. Surtout, l’ouvrage est enrichi de 43 annexes très précises sur des thèmes aussi variées que l’origine géographique des troupes SS, les appartenances confessionnelles représentées ou la répartition des pertes. Avec profit, le livre de Jean-Luc Leleu pourra rejoindre les étagères des C.D.I. de lycées ou les bibliothèques de tout passionné d’histoire militaire.

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