Editions Pierre de Taillac, 10 février 2017.1917/18. Essai sur une imposture historique

Dans ce petit livre de 100 pages, Dominique Lormier a pour but de démontrer de manière très argumentée que l’arrivée des Américains dans la Grande Guerre a eu un impact beaucoup plus faible que les chars français ou la contre-attaque victorieuse mais oubliée des Italiens sur le front austro-hongrois.

C’est un défi et un comble pour un franco-américain comme moi de rédiger ce compte-rendu, mais mon côté protestant, critique et iconoclaste sera satisfait néanmoins !

L’auteur s’attache à démontrer sa thèse en quatre parties :
I/ Les Anglais sont sauvés par les Français en mars-avril 1918, lors des terribles contre attaques allemandes, sans aucune aide US.
II/ Les Américains jouent un petit rôle dans la deuxième bataille de la Marne de mai à juillet 1918.
III/ Des combats limités de l’armée US d’août à novembre 1918.
IV/ Une éclatante victoire italienne méconnue contre les Austro-hongrois (24 octobre-4 novembre 1918, Vittorio Veneto).

D’abord quelques chiffres : les soldats US entrent en guerre sur le front avec 2 divisions en mars 1918 (50.000 hommes); ils atteignent 6 divisions en juillet 1918 (150.000 hommes) et enfin 16 divisions, soit 400.000 hommes de septembre à novembre 1918.
Ils auront 53402 tués au combat (63.114 meurent dans des accidents ou malades, surtout de la grippe espagnole), soit moins que tous les alliés sauf les Belges.
Enfin sur 850 km de front, la France en tient 500 km, les Britanniques 250 km et les États-Unis seulement 50 km, comme les Belges.

Ensuite une remarque essentielle, l’invention par Renault d’une superbe arme de guerre : le char Renault FT-17;le général allemand Von Boehn déclare : «Bien plus que l’engagement ponctuel de quelques divisions américaines, le char Français Renault FT-17 fut l’une des causes principales de notre défaite de 1918.»
Attention, à l’été 1918, la France a 2600 chars, les anglais 610 et les allemands seulement 50 !

Dernier élément clé, on sous-estime et ridiculise trop souvent les Italiens; or leur offensive d’octobre/novembre 1918 est cruciale. Elle aboutit à la capitulation austro-hongroise du 4/11 qui forcera les Allemands à capituler le 11/11. Ici, citation du maréchal Hindenburg
: «Beaucoup plus que l’engagement de quelques divisions américaines sur le front occidental, ce fut la défaite de notre allié austro-hongrois contre l’Italie qui nous poussa à conclure aussi rapidement un armistice avec les Alliés. La perte de 61 divisions austro-hongroises était pour nous un désastre irrémédiable.»
L’auteur rappelle aussi que les Italiens ont eu 1.4 millions de morts et blessés lors des 11 attaques d’Isonzo, soit plus que les 1.2 millions de la Somme pour l’histoire britannique; ou les 843.000 de Verdun pour la légende française.

La conclusion de cet essai brillant est que la phrase : «l’Oncle Sam met KO le Kaiser» est une belle propagande mais que la réalité c’est qu’on a «survendu» l’aide US en 1918, pour des raisons politiques, surtout remonter le moral de la population civile française et britannique; et impressionner l’ennemi sur la puissance américaine, en filmant toutes les arrivées des sammies dans les port français.
Enfin la confusion avec 1941-1945, les images d’Il faut sauver le soldat Ryan sur juin 1944 et un américano-centrisme forcené ont amené ce mythe du sauveur américain, très contestable en 1918.
Même en 1939-1945, 75% des forces japonaises sont fixées par les Chinois, et 75% des forces allemandes par les Soviétiques; et pourtant on dirait que le D-Day et Eisenhower, plus les bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki ont fait tout le travail. C’est oublier les 20 millions de morts soviétiques et les millions de morts chinois. Le Jour le plus Long tourné en 1962 était plus honnête, il montrait l’apport essentiel des Canadiens et Britanniques en Normandie (ce qu’oublie totalement Spielberg). Serions nous tous les victimes d’un softpower US qui héroïse le hard power de l’armée américaine ??