Publiés il y a plus d’un siècle, les Mémoires du premier secrétaire du cabinet de Napoléon sont incontournables pour quiconque s’intéresse à l’homme Napoléon et au fonctionnement de l’Empire.

D’une construction originale, ces Mémoires dépeignent le quotidien de l’Empereur et fait pénétrer le lecteur dans ses différents bureaux de travail, de pouvoir et de vie (Louvre, châteaux, bivouacs) et propose, à la fin de l’ouvrage, un portrait du souverain à l’âge de 40 ans. Sous la plume du baron Fain, Napoléon parle, dicte, commande, agit, mange vite et dort peu. Tout ce que compte l’Empire de dignitaires, de ministres, de maréchaux, courtisans et grands commis forment à ses côtés une fresque de personnages croqués par l’auteur.

Archiviste paléographe, docteur en histoire, Charles-Eloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France. Spécialiste de l’époque révolutionnaire et impériale, il faut saluer ici le travail de recomposition et dépoussiérage réalisé à partir de l’ouvrage publié en 1908 et en l’absence du manuscrit original.

Agathe-Jean-François, baron Fain (1778 – 1836), a été le premier secrétaire de Napoléon puis de Louis-Philippe. On ne sait pas grande chose de Fain. Il rentre comme simple secrétaire à la Convention après la chute de l’Incorruptible. C’est un jeune homme discret et travailleur. Il y fréquent les différentes commissions administratives, dont celle chargée des questions militaires. Il y croisa, peut-être, un certain Bonaparte qui fréquentait, aussi, le bureau de topographie, pièce maîtresse pour la direction des armées de la République. Après l’instauration du Directoire, il progresse dans sa carrière, dirige une quinzaine de personnes. Sa commission traite de la correspondance générale. Aussi, au lendemain du coup d’Etat du 18 Brumaire, Fain entre au service de Napoléon. Il s’y fait remarquer par son zèle et entre, dès 1803, aux Tuileries et entre au service du secrétaire d’Etat Hugues-Bernard Maret. Ainsi, Fain se rapproche par touches successives du pouvoir. Son ministre de tutelle lui confie des dossiers sensibles sur lesquels il parvient à réaliser les objectifs qu’on lui a assignés.

Cette carrière administrative ne pouvait être complète sans un baptême du feu. Il accompagna son ministre en 1805 lors de la première campagne d’Autriche. C’est durant cet événement qu’il fut initié franc-maçon à la Loge impériale des Francs-chevaliers. Il y côtoie des maréchaux, des ministres, et même l’impératrice Joséphine. S’il ne fut guère un maçon actif, cette loge lui ouvrit certainement quelques portes. Il fit montre d’un grand courage lors de cette campagne militaire, fit fonctionner son secrétariat à l’arrière des fourgons de l’armée, entre munitions, blessés et cadavres. Promu chevalier de la Légion d’honneur, il n’eut pas le temps d’en profiter et fut aussitôt réaffecté aux Tuileries.

Le cabinet de l’Empereur

Qu’était-ce donc que ce fameux « cabinet » ? Lieu de vie mais également organe chargé d’accompagner l’Empereur dans son travail quotidien. Alors Premier consul, Bonaparte n’avait qu’une maîtrise incomplète des rouages institutionnels été administratifs. Son cabinet s’était constitué progressivement, avec quelques fidèles serviteurs, dont Bourrienne, son secrétaire. Bref, un embryon d’administration dévouée mais écrasée par la tâche. Bonaparte souhaita professionnaliser ce cabinet qui, dès après la proclamation de l’Empire, devint un organe dépendant de la Maison de l’empereur, placé sous la tutelle du grand chambellan, poste confié, jusqu’en 1809 à Talleyrand. Ce grand officier de la cour et son successeur héritèrent donc d’une équipe de secrétaires triés sur le volet qui permettaient, ainsi, à Napoléon de gouverner. Sur les 295 qui servaient le grand chambellan en 1812, 27 étaient au service de Napoléon. Cachés aux yeux de la Cour, ils représentaient un véritable îlot du secret vivant en parallèle de celle-ci tout en participant à son fonctionnement.

Rôle des secrétaires

Même s’il voulait être au centre de tout, Napoléon ne travaillait jamais seul. Hommes-lige de l’Empereur, ces derniers, grassement rétribués devaient supporter une vie quasi monacale, travaillant nuit et jour au rythme de leur maître. Les rotations horaires leur permettaient de souffler et de se relayer sur de nombreux dossiers sensibles, comme les opérations de la police parallèle, la gestion du Trésor public ou bien encore la rémunération des anciennes gloires révolutionnaires comme Barrère ou les sœurs de Robespierre. A son arrivée, Fain travailla avec Claude-François Ménéval qui avait pris la suite de Bourrienne, écarté pour malversations financières. Napoléon disposait également d’un secrétaire de cabinet, titre honorifique et qui servit de tremplin à de futurs ministre, tel Henri-Jacques-Guillaume Clarke, futur ministre de la Guerre. Enfin, pour assister les deux secrétaires, deux gardes du portefeuille se relayaient pour trier la très volumineuse correspondance, surveiller les différents dossiers, veiller à chauffer les bureaux, entretenaient l’éclairage et servaient également d’huissiers.

Le cabinet fonctionnait en parallèle avec la secrétairerie d’Etat (équivalent du secrétariat général du gouvernement qui siège à l’hôtel de Matignon) dont le chef avait le rôle de coordonner le travail, organiser les réunions de travail, de transmettre les dossiers en cours. Ainsi, des semaines de travail étaient nécessaires avant que Napoléon entende parler d’une affaire. Les bureaux du ministre étudiaient la question à fond et lui présentait alors un rapport sur lequel l’Empereur n’avait plus qu’à valider ou modifier. Ce va-et-vient donnait naissance à une nouvelle série d’ordres, comme la rédaction d’un décret. Le ministre secrétaire d’Etat, Maret puis Pierre Daru à partir de 1811 était un rouage essentiel du gouvernement.

Un bourreau de travail

Les Mémoires de Fain confirment que Napoléon était un travailleur infatigable, conditionné par les impératifs du pouvoir et par la tâche écrasante de l’administration solitaire d’une armée et d’un Etat gigantesques. Non seulement il dormait peu, mais il se levait aussi pendant la nuit pour travailler. Aussi, ses secrétaires se partageaient la nuit en quartier de service et il y en avait toujours un de jour et de nuit prêt à écrire sous la dictée. La prose était rapide et il fallait tout le talent de ses secrétaires pour prendre à la volée le flot de paroles de leur maître. Ils devaient ensuite mettre au net ses dictées et les relire. Il arrivait parfois que des ministres, convoqués pour une audience, devenaient aussi secrétaire. Peu on réussit à remplir cet exercice périlleux et il fallait toute l’expérience de Ménéval puis Fain pour transcrire l’écriture de l’Empereur.

Campagnes militaires

Même durant les conflits militaires, le travail des secrétaires ne s’arrêtait pas. Napoléon continuait de travailler aux affaires intérieures de la France grâce aux estafettes qui faisaient de constants allers et retours depuis Paris. La pièce d’une pauvre maison d’un village devaient le quartier-général et les questions civiles se mêlaient aux questions militaires. Le cabinet s’installait en premier, sommairement, mais avec tout le matériel nécessaire : livres, cartes, bibliothèque, outils de topographie, papiers. Les secrétaires, qui ne suffisaient plus, les aides de camp secondaient, quand il ne s’agit pas des ministres eux-mêmes ! C’est ainsi qu’il fait la campagne de Russie, logé à la même enseigne que les soldats, la campagne d’Allemagne, celle de France où il mit au net dans la nuit du 6 avril 1814 l’abdication de l’Empereur. Retiré sur ses terres sous Louis XVIII il reprit du service durant les Cent-Jours. Il fut présent à Waterloo, et assista à la seconde abdication de Napoléon à l’Elysée. Il entama sa traversée du désert sur sa propriété de Brétigny-sur-Orge où de nombreux personnages de l’Empire avaient élu domicile aux alentours.

Mémoires

Dans les dernières années de sa vie, Fain se lança dans l’écriture et produit plusieurs ouvrages historiques tout en rédigeant, en parallèle, ses Mémoires, description minutieuse du quotidien laborieux de Napoléon au sommet de sa puissance. Son témoignage est donc incontournable pour qui souhaite chercher à comprendre l’histoire de l’Empire. Ses Mémoires doivent être mise à part parmi la myriade des autobiographies plus ou moins fantaisistes ou mensongères mises en circulation depuis les années 1820. Sincère dans sa démarche, la rédaction de Fain s’insère dans un contexte des lendemains de l’Empire, époque où, justement, la construction d’une mémoire napoléonienne et d’une puissante légende se firent jour. Les autobiographies de Ménéval et de Fain ont souvent été comparées, le texte de ce dernier recueillant parfois un meilleur avis du public tandis que son concurrent était accusé de plagiat. Ménéval publia cependant son livre en 1845, bien après la mort de Fain. De ces deux Mémoires, ce sont celles de Fain qui semblent les plus réfléchies quant au portrait au quotidien de Napoléon. D’ailleurs, il ne s’agit pas à proprement parler de Mémoires mais plutôt d’un témoignage sur Napoléon destiné avant tout au cercle des enfants et petits-enfants. Finalement, c’est l’arrière-petit-fils du secrétaire de Napoléon qui présenta, au début du XXe siècle aux éditions Plon, destinées dans les témoignages des périodes révolutionnaires.

 

Pour les Clionautes

Bertrand Lamon