Les dernières élections présidentielles de 2017 ont déjoué tous les pronostics des pseudo-experts de tous poils et brouillé (ou clarifié ?) encore davantage le paysage politique français. La « surprise Macron » et sa destinée fulgurante ont généré nombre de commentaires et d’analyses de divers spécialistes dont la hauteur de vue n’est pas forcément la qualité première.
Ici dans ce petit essai, c’est le philosophe engagé dans la citéRégis Debray est un philosophe engagé à gauche voire à l’extrême gauche. Il a en effet soutenu le NPA à sa création en 2007-2009 puis le Front de gauche en 2009 puis J. L Mélenchon en 2017., Régis Debray qui tente de percer le mystère Macron et d’en interpréter la place et le rôle dans l’histoire politique et socio-culturelle française.
Régis Debray, écrivain prolifique, philosophe et haut fonctionnaire, a consacré ses travaux à la religion et à la croyance dans la société avant de les élargir à la transmission de l’information à laquelle il consacre une revue Médium et une théorie, la médiologieLa médiologie, néologisme crée par Régis Debray en 1979, se veut une science qui étudie les relations entre techniques, notamment de la transmission, et culture au sens large à savoir religion, art, politique et idéologie..
Dans cet ouvrage, il tente d’en appliquer le filtre au « moment Macron » afin de mettre en avant les caractéristiques de ce « nouveau pouvoir » émergeant selon lui en France avec l’élection du dernier président ; un nouveau pouvoir fondé sur une morale protestante et un mode de fonctionnement plutôt horizontal inspiré de la société numérique.

Une révolution générationnelle, l’ère du jeunisme et du management

Régis Debray voit avant tout dans le « moment Macron » une révolution générationnelle qui rompt avec les traditions et les pratiques des anciens.
Cette génération de trentenaires qui a subitement pris le pouvoir en France au printemps 2017 n’est pas une surprise selon lui, mais une évolution naturelle annoncée depuis les années 2000 par les nouvelles pratiques de la communication permises par les innovations technologiques : ordinateur, internet, smartphone.
Ces nouveautés se sont ainsi traduites dans le monde politique resté jusque-là quelque peu hermétique aux changements. Aujourd’hui, le personnel politique qui vient de faire irruption dans l’hémicycle est à l’image de ce nouveau monde : jeune, dynamique, ouvert sur le monde, entreprenant et créatif, talentueux, adepte des nouvelles technologies, photogénique.

De ce changement de génération, Régis Debray voit poindre un changement civilisationnel touchant en premier lieu à la manière de gouverner. Ainsi, l’idée de contrat librement négocié est au cœur de cette nouvelle gouvernance selon Debray et ce à toutes les échelles, de l’entreprise à l’Europe, d’où le renouveau de l’idée fédéraleDebray reprend ici la thèse de son ouvrage précédent sur l’influence américaine en France . Cette gouvernance se fonde sur des valeurs qui, loin de nous être étrangères, n’en sont pas pour autant nouvelles pour un pays comme la France. Comme un vent soufflé d’Amérique, elles font la part belle à la liberté, au talent et à l’individualisme et s’opposent culturellement, selon lui, à celles d’une France percluse de rigidités politiques, sociales et économiquesRégis Debray, Le nouveau pouvoir, Le Cerf, 2017, p. 20 .

Une révolution morale, l’ère de la transparence, la mort de la politique ?

Ce changement opéré dans le recrutement du personnel politique puisé désormais en partie dans la société civile et en particulier dans le privé, possède néanmoins son revers, selon Régis Debray. Et ce revers, bien connu aux Etats-Unis, est celui du conflit d’intérêt voire de la corruption.
C’est pourquoi ce mouvement s’accompagne d’une exigence de transparence et de probité à l’égard des gouvernants. Il prend la forme notamment d’un renouveau du journalisme d’investigation ouvrant la voie ou mettant la pression, au choix, à une Justice plus indépendante dans les faits. C’est un changement sociétal important pour Debray qui y voit avant tout l’influence des pays d’Europe du Nord, de la Suisse ou de la Nouvelle Zélande, pays prospères et protestants…
Ce changement est également la marque de la montée de l’individualisme et de la médiatisation tendance people-voyeurisme sans cesse croissante qui oblige le personnel politique a se tenir sur ses gardes et à devoir toujours se justifier afin de conserver sa crédibilité.
Or, pour Debray, cette tendance à la transparence totale va l’encontre même du « métier » d’homme politique qui se doit, le plus souvent, de cacher ses réelles intentions afin de couronner de succès sa stratégie : « Ou ce stratège fait bien son métier et il insulte la morale. Ou il investit dans la morale et il insulte le métier.»Op. Cit., p. 36.

Une révolution culturelle, la revanche du protestantisme ?

On en vient ici au cœur de la thèse de Régis Debray, l’avènement du président Macron cacherait une évolution ou plutôt un début de révolution qui avancerait à pas feutrés, l’éthique protestante. Bien évidement, il n’est point question ici de religion mais de culture issue du protestantisme. Selon Debray, cette culture (néo-)protestante se caractériserait par quelques valeurs fondamentales promues en son temps par la Réforme telles la volonté et une certaine exigence individuelle, la sincérité, la probité et la quête de la richesse.
Cette « matrice culturelle » comme il l’appelleOp. Cit., p. 53. a favorisé, d’après lui et d’autres auteurs plus illustresOp. Cit., p. 54., l’essor du capitalisme marchand, du multiculturalisme, de la parité, de la désintermédiation et de l’abolition des hiérarchies, ainsi que la mobilité géographique comme sociale.
Cette capacité d’ouverture au progrès et à l’autre s’est incarnée le mieux Outre-Atlantique, devenu selon Debray, l’archétype de la modernité.

Derrière cette quasi apologie du protestantisme, en tant qu’objet culturel, Debray dresse en creux le procès du catholicisme français mais aussi celui de la monarchie qui pèse encore très lourd, culturellement s’entend, dans nos mœurs et modes de pensée.

Une révolution philosophique, le retour ou la mort de l’idéologie en politique ?

Paul Ricoeur, philosophe du symbole, a enseigné au début à la faculté de théologie protestante de Paris pour finir sa carrière à l’université de Chicago, comme un trait d’union symbolique, selon Debray, entre le protestantisme et sa terre d’accueilOp. Cit., p. 75..
Disciple autoproclamé du philosophe, le président Macron semble avoir retiré de son enseignement le goût du compromis « austère et fragile, entre intransigeance et compromission. En clair : le marché, oui, mais pas trop sauvage. Le chef d’entreprise, oui, le patron-voyou, non.»Op. Cit., p. 85.
Néanmoins Debray s’interroge sur cet art du compromis et de la négociation dont Ricoeur disait qu’il n’est pas dans l’esprit françaisOp. Cit., p. 86. . En effet, dans une époque où l’heure est à « l’émiettement » comme il dit, où chacun est coincé et se complait dans sa bulle informatique, la difficulté consiste, pour les gouvernants à créer de la transcendance et de la totalité.

Conclusion, une intuition plus qu’une pensée

Disons-le d’emblée pour clore cette présentation, que la lecture de ce petit ouvrage n’est pas aisée. Cette difficulté ne tient pas tant au fond, qui n’est pas de nature philosophique, qu’à la forme. En effet, le propos mené tambour-battant sur un ton mi-ironique mi-sarcastique est truffé voire même parasité d’une infinité d’allusions, de références, traits humoristiques ou ironiques souvent peu utiles à la compréhension et ne faisant qu’alourdir le propos. Et trop souvent le bon mot ou la rime l’emporte sur l’idée et la pensée.
Passant outre la forme empreinte par moments d’une certaine désinvolture, on retiendra donc essentiellement de ce petit essai, sa thèse ou plutôt cette intuition, qui tente de replacer ce « moment Macron » dans une perspective temporelle et socio-culturelle plus longue que celle des experts politiques de plateaux.
Malgré tout, il appartiendra aux historiens, avec le recul nécessaire, de conforter, nuancer ou invalider la thèse de Debray.