CR de Catherine DIDIER FEVRE, professeur d’histoire – géographie au collège du Gâtinais en Bourgogne (Saint Valérien, 89) et au lycée Catherine et Raymond Janot à Sens.

Les éditions La Découverte publient en ce début septembre 2006 la traduction française de l’ouvrage de Mike DAVIS. Planet of slums. 2006.
La tendance catastrophique indiquée dans le sous-titre de l’ouvrage (De l’explosion urbaine au bidonville global) se confirme à la lecture des premières pages. Mike DAVIS voit la ville comme un monstre. Il utilise, pour décrire le phénomène urbain, les champs lexicaux de l’animal, de la chasse et de la médecine. La ville apparaît alors comme une sorte de pieuvre qui étendrait ses tentacules sur les campagnes environnantes, à la vitesse d’un virus. L’auteur s’effraie surtout de l’augmentation de la population urbaine pauvre dans les pays en voie de développement et impute les responsabilités de cette croissance à la mondialisation.

Chercheur indépendant difficilement classable, à la fois sociologue, ethnologue et historien, l’auteur est connu pour ses travaux sur l’urbanisme de Los Angeles (City of Quartz. La découverte, 1998) mais aussi pour ses travaux sur les origines du sous-développement (Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales. Aux origines du sous-développement. La Découverte, 2003 dont les Clionautes ont assuré un compte-rendu http://www.clionautes.org/?p=1088).
Le pire des mondes possibles a été écrit à partir de l’article Planète Bidonvilles, publié par les éditions Ab irato en 2005 (compte-rendu des Clionautes disponible à l’adresse suivante http://www.clionautes.org/spip.php ?article1024). Les ouvrages de cet auteur sont fortement marqués par son double engagement social et écologiste.
Le pire des mondes possibles s’appuie sur une bibliographie très riche, quasi-intégralement anglo-saxonne.

Le propos du livre tourne autour de la notion de bidonville. Au Sommet des Nations Unies de 2002, l’ONU désigne comme bidonville un espace se caractérisant par un surpeuplement, des logements informels ou de piètre qualité, un accès insuffisant à de l’eau saine et une forte insécurité. Mike DAVIS estime que cette définition est trop restrictive. Il propose une définition beaucoup plus large puisqu’elle inclue les camps de réfugiés ! Il considère que Gaza est le plus grand bidonville de la planète. La typologie des bidonvilles de Mike DAVIS distingue deux grandes catégories : ceux situés dans le centre métropolitain et ceux situés à la périphérie. Les bidonvilles sont répartis en deux grandes classes :
Les logements formels : vieux immeubles, immeubles construits pour les pauvres, logements publics, hôtels meublés des marchands de sommeil, location privée ou publique de cabanes.
Les logements informels : squats autorisés ou non, subdivisions pirates de terrains, ainsi que les personnes vivant dans la rue.
Dans le cas des logements informels, les opérations de « déguerpissement » sont courantes, surtout quand de grands évènements se préparent (JO, visite d’Etat) ou à titre de répression politique (une manière de punir les habitants d’un quartier ayant voté majoritairement pour l’opposition). Les bidonvilles sont le terrain d’un marché foncier invisible où des titres de propriété douteux s’échangent sans que l’on ait procédé à une viabilisation des lots.
La perspective d’une régularisation d’un quartier alimente un marché immobilier parallèle. Les prix des loyers et des terrains flambent dans les favelas à l’annonce d’une régularisation. Loger des pauvres est une affaire qui marche. Le retour sur investissement est rapide même si les logements sont dénués de tout caractère légal. Les propriétaires des cabanes, construites bien souvent sur des terrains appartenant à l’Etat, sont généralement des politiciens et des hauts fonctionnaires.

La seconde moitié du XX° siècle a vu la croissance rapide des villes du Tiers Monde et de leurs bidonvilles. Cette explosion urbaine tardive s’explique par les mesures mises en place par les régimes coloniaux, qui interdisaient aux indigènes de résider de manière permanente en ville. L’exode rural a été bloqué pendant la première moitié du XX° siècle. Il était contrôlé par une politique sévère de contrôle des flux. Ceux qui vivaient en ville étaient éloignés des blancs par une politique de ségrégation urbaine. La décolonisation ou le renversement des dictatures ou des régimes à faible croissance en Amérique Latine ont enclenché l’urbanisation. Les ruraux revendiquent alors le droit de cité. Ils s’entassent alors dans les taudis des centres des villes ou à la périphérie de celles-ci. Quelques Etats ont tenté de mettre en œuvre une politique de logements sociaux mais celle-ci a souvent été interrompue par la mise en place des PAS (Plan d’Ajustement Structurel) dans les années 80. Lorsque des logements ont été construits, ils ont surtout été réservés aux fonctionnaires. Aujourd’hui, les ONG ont pris le relais des Etats impuissants. Comme Sylvie BRUNEL, Mike DAVIS fait le constat que cela ne fait qu’accroître la dépendance, face aux donateurs et entretient un clientélisme.

Le propos du livre est l’occasion d’une vaste réflexion sur les origines de la pauvreté des habitants des bidonvilles. La pauvreté a été aggravée par la mise en place des PAS dans les années 80, par la chute du bloc communiste et par la mondialisation. Mike DAVIS est de ceux qui relativisent le poids économique du secteur informel. Il rejette ainsi la thèse de Hermano DE SOTO sur l’importance de l’informel dans le PIB des Etats. Il estime que l’on ne doit pas surestimer cette place, difficilement mesurable, dans les revenus des pauvres. La pauvreté s’est aggravée depuis la fin de la guerre froide. Les pauvres ne bénéficient plus des fonds envoyés par les deux Grands pour faire entrer les pays du Tiers Monde dans leur camp. Il ne reste donc plus que l’ONU, dans les Objectifs pour le Millénaire pour le Développement, qui croît encore en la possibilité de réduire la pauvreté de moitié d’ici 2015. Pour Mike DAVIS, « les bidonvilles sont des volcans prêts à exploser ». Ce sont des espaces très mal connus et non contrôlés par les armées des Etats. Ils constituent le terreau idéal du terrorisme et des extrémismes. La misère facilite le recrutement dans la population des enfants des rues de soldats au service de ces causes.

A l’issue de la lecture de ce livre, force est de constater que les propos de Mike DAVIS ne sont guère optimistes. La conclusion alarmiste de l’ouvrage achève ce portrait catastrophique de la ville du Tiers Monde. Peu de place est laissé au moindre espoir d’amélioration de la situation. Cette tendance affirmée au catastrophisme m’a gênée en tant qu’enseignante. Si la lecture de cet ouvrage permet, grâce au sens du récit de Mike DAVIS, de développer des exemples (bienvenus pour le chapitre sur la population mondiale en sixième ou en seconde), il ne faut pas oublier que l’auteur est un militant. Un recul certain est nécessaire avec ce texte.