Cet ouvrage est le fruit du travail de trois sociologues, Leslie Belton-Chevallier, Nicolas Oppenchaim et Stéphanie Vincent-Geslin. Pensé comme un manuel, il a pour ambition de faire le point sur les dernières avancées scientifiques en termes de mobilités géographiques. L’ouvrage défend l’idée que ces mobilités spatiales « constituent un analyseur fécond de notre société, qui viennent éclairer d’un jour nouveau différents champs constitués de la sociologie, tels que celui de stratification sociale, de la sociologie du travail, de la sociologie urbaine ou de la socialisation » (p.11).

            Le manuel est constitué de six chapitres. Ainsi, dans un premier temps, les mobilités spatiales sont replacées dans leur contexte épistémologique et historiographique. Dans un deuxième temps, les auteurs se demandent si nous n’assistons pas aujourd’hui à une explosion des mobilités ce qui occasionnerait une multitude d’effets. Ce dernier point qui constitue le troisième chapitre. Parmi ces effets, ceux sur le monde du travail, sur les inégalités sociales et sur la socialisation sont abordés dans les trois chapitres qui suivent.

            Chaque chapitre débute par un petit encart « point-clé » qui résume le contenu essentiel du chapitre. Il se termine par un exemple de terrain, illustrant un des points développés dans le chapitre, ainsi que par un deuxième encart, appelé « Pour aller plus loin », composé de quelques indications bibliographiques ainsi que de quelques pistes de recherches possibles dans le champ. Il est à noter un ajout très appréciable, autant qu’original et vivant, nous voulons parler de l’insertion de flash-code renvoyant à des entretiens audiovisuels avec quelques spécialistes tels que les sociologues Pierre Lannoy, Cécile Vignal, Anne-Catherine Wagner, Vincent Kaufmann, Jean-Yves Authier, l’urbaniste Jean-Pierre Orfeuil et les géographes Laurent Cailly et Michel Lussault. L’ouvrage comporte également un glossaire dont les mots qui le composent sont indiqués en caractères gras et en orange dans le corps du texte.

            Dans le premier chapitre, le manuel revient sur l’émergence du concept de « mobilités spatiales » chez les sociologues et notamment au sein de l’École de Chicago, dans les années 1920-1930, autour d’Ernest W. Burgess ou de Robert E. Park. « Ces sociologues perçoivent la ville comme une mosaïque d’aires urbaines différenciées, dont chacune remplit une fonction propre, en particulier dans l’accueil de citadins aux trajectoires résidentielles et migratoire variées, et contribue à façonner l’état d’esprit et le comportement de ses habitants » (p.17). Pour Burgess, la mobilité est un déplacement qui « implique changement, expérience nouvelle, stimulation » (1921). Cependant, ce sont les mobilités sociales qui sont mises en avant, celles qui sont définies par des changements sociaux horizontaux ou verticaux. L’étude des mobilités quotidiennes, quant à elle, va prendre de l’importance à la fin des années 1970 avec l’augmentation des migrations et des mobilités résidentielles. Elle se situe alors à la croisée de quatre grands axes de recherches : la sociologie urbaine, la sociologie du travail, la socio-économie des transports et l’étude des migrations et mobilités résidentielles.

Le colloque de Royaumont en 1979 va ainsi redéfinir la mobilité : « la mobilité n’est plus considérée comme un flux, ni comme un déplacement mais comme une demande dérivée de la réalisation d’un programme d’activités » (Brevet, 2011). L’ouvrage de Michel Bonnet et Dominique Desjeux, en 2000, Les Territoires de la mobilité, marque un tournant important dans le champ de la recherche. Il croise les analyses de géographes, d’urbanistes et de sociologues. Les travaux de John Urry, Sociology Beyond Societies : Mobilities for the Twenty-First Century (2000), argumentent pour une refonte totale de la sociologie à l’aune des transformations occasionnées par la mobilité généralisée. Le sociologue parle même de « tournant de la mobilité » et déploie de nouvelles thématiques et de nouveaux outils en s’intéressant, par exemple, aux pratiques de mobilité socio-spatiales des individus et des objets dans l’espace géographique ou virtuel.

            Le troisième s’intéresse plus particulièrement à ce « tournant des mobilités » depuis les années 1980 qui a vu se développer des mobilités non humaines (marchandises, symboles, idées…). C’est pourtant avec la première Révolution industrielle que les déplacements s’accélèrent. Les auteurs de l’ouvrage distinguent alors deux types de mobilités : les mobilités spatiales irréversibles (les migrations, p.e.) et les mobilités spatiales réversibles (tourisme, vie quotidienne…). Aves les Trente Glorieuses, les migrations, les voyages et les déplacements du quotidien se sont multipliés. En 1974, par exemple, en France, la distance moyenne parcourue par jour était de 18 km ; en 2008, cette distance était de 31 km (71% d’augmentation en 30 ans). À la fin du XXe siècle, d’autres formes de mobilités spatiales sont apparues telles que celles occasionnées par le déploiement des TIC. Patricia Mokhtarian a identifié, en 2002, 4 types de relations possibles entre déplacements et usages des TIC : la substitution (remplacement des déplacements physiques), la modification, la complémentarité et la neutralité.

            En quoi la multiplication des mobilités géographiques impacte-t-elle les sociétés ? C’est à cette réponse que se propose de répondre les auteurs dans les trois derniers chapitres du manuel. Ainsi pour John Urry, la mobilité favorise à la fois l’individualisation des pratiques citadines, une pluri-centration et la diversification des lieux de vie. Les déplacements féminins demeurent très différents des déplacements masculins. Généralement, les femmes travaillent moins loin que leurs homologues masculins. Finalement, les mobilités spatiales, qu’elles soient liées au travail p.e., ont des effets différents selon les catégories de population ou de territoires considérés. Certains auteurs comme John Urry ou Vincent Kaufmann ont introduit le concept de capital de mobilité au début des années 2000, en même temps que certains géographes comme Jacques Lévy et Michel Lussault parlait de capital spatial. La capacité à être mobile, comme la capacité à maîtriser l’espace ou à faire avec, participe de la hiérarchisation de l’espace social.

            Pour conclure, le manuel interroge la capacité des mobilités à socialiser les individus. En 2009, Thierry Ramadier précisait que la mobilité ne consistait pas uniquement à se déplacer mais aussi plus souvent à se replacer, à s’habituer à des espaces structurés autrement que ceux qu’on a l’habitude de fréquenter. Dans une des capsules vidéo indiquées en lien à la fin de ce dernier chapitre, Michel Lussault souligne l’importance des « Mobility Studies » dans la redéfinition de la notion de « territoire ». Il y voit un changement de paradigme qui reposerait sur la mise en tension de trois données systémiques : ce qu’il nomme les « ancrages » (les lieux, les aires, les territoires), les mobilités et les connexions télécommunicationnelles. « Tout bouge tout le temps et partout ». Pour Vincent Kaufmann, la famille constitue la principale sphère de socialisation à la mobilité. Les individus y acquièrent des dispositions durables et structurantes. Cette socialisation qui commence dans le cadre familial, se développe dans le quartier et à l’école, est un processus continu d’acquisition de façons d’agir y compris à l’âge adulte. Les effets socialisants de la mobilité quotidienne sont particulièrement importants à l’adolescence à en juger par les travaux de Nicolas Oppenchaim et Julian Devaux (2012). Les expériences vécues dans la mobilité à cet âge ont des effets durables. Les ados doivent apprendre à résoudre des tensions de la civilité ordinaire caractérisant les espaces publics.

            En bref, ce manuel est extrêmement bien conçu. Il permet de faire le point de manière rapide sur les recherches en sciences sociales de ces 40 dernières années sur un notion complexe qu’est les mobilités. La construction de l’ouvrage invite à la fois à la mise au point, au questionnement et propose de multiples axes de recherches encore inabouties. La présence des capsules vidéo est très appréciables et constitue un véritablement enrichissement de l’ouvrage.