Compte-rendu rédigé par Gérard Buono, Lycée Soult Mazamet, Tarn
« Abrégé », c’est vraiment le mot : s’il y a 80 pages environ (format de poche), c’est en fait organisé en 25 courtes propositions. A chaque fois, deux feuillets environ d’une trentaine de lignes, en assez gros caractères pour que la lecture en soit très rapide. Le tout est organisé en 4 parties :
– Le XIX° siècle : les indépendances
– Le XX° siècle
– Un aujourd’hui difficile
– Quelles perspectives pour l’espace latino-américain ?
Et une conclusion d’ensemble titrée « Les oligarchies batailleuses ».
On peut prendre cette concision comme une qualité : bonne synthèse (la quatrième de couverture annonce bien la couleur en évoquant une « analyse synthétique », un « essentiel de géopolitique ») , énoncé ramassé de réflexions intenses et allant droit au but. L’ambition affirmée est de « dépasser le clivage entre sociologie et géopolitique », et « d’explorer les motivations socio-économiques à la source des postures géopolitiques ». L’idée de « mettre sur la table » des axes de réflexion peut être stimulante.
On peut aussi penser qu’il y a quelque facilité à proposer de traiter de thèmes aussi complexes en si peu d’espace : « la balkanisation de l’Amérique du Sud », « la permanence des tensions territoriales », « la bi-océanité », « les organisations régionales », « Du vide au trop plein », « Guérillas et révoltes », etc. Sur chacun de ces thèmes, les questions sont posées avec une pertinence certaine, et elles attirent l’attention. Mais en si peu d’espace, les réponses proposées sont seulement ébauchées, très allusives et nécessairement décevantes.
Un exemple : « Chapitre 3 : L’espace mexicain ». C’est, en moins de deux courtes pages, une série de rappels, certes utiles mais très allusifs, des pertes territoriales entre la fin de l’empire espagnol et l’échec du Second Empire français, avec l’énoncé des amputations du territoire de l’Etat mexicain depuis son indépendance, au sud comme au nord. Mais pas la moindre allusion à d’autres dimensions dudit « espace mexicain ». Ni l’altitude, ni l’étagement, ni la tropicalité, ni l’aridité, ni la double façade océanique, ni la césure de l’isthme de Tehuantepec, ni les modes d’organisation spatiale précoloniaux, ni même la question de la distance, etc. On reste vraiment sur sa faim, avec la sensation d’avoir un résumé de notes, du type pense-bête « alla Wikipedia ». Et à une forme de réflexion plus proche de la géostratégie (ou de la géopolitique des militaires ?) que de la géopolitique des géographes. Et cela contraste fortement avec des remarques très excitantes, au détour de telle ou telle page. Je pense à la Mésopotamie du sud (Plata – Parana) -chap 6-, ou à la lente différenciation de l’Europe -chap 8-, ou au rêve antarctique -chap 18-.
Neuf cartes en annexes, toutes très rudimentaires : simple appui pour la localisation, avec parfois quelques figurés élémentaires de complément.
Exemple, la carte 8, « La mondialisation du Brésil » ; un fond simple (l’Amérique Latine du Rio Bravo à la Terre de feu, avec les Etats et leurs frontières), sur lequel sont tracées une série de flèches (trait noir tout aussi simple, toutes les flèches de même épaisseur), au point de départ aléatoire (certaines semblent partir de la région de Brasilia, d’autre du littoral du Sudeste, d’autres d’un hypothétique pôle émetteur situé entre Fortaleza et Belem, d’autres encore d’Amazonie,…) et qui se terminent dans le Pacifique, les Caraïbes ou l’Atlantique… Et une légende elliptique : Flèche A1 : Projection vers l’Europe, Flèche B1 et B2 : vers le Paraguay et l’Uruguay, Flèche C : vers le plateau guyanais, etc. Vraiment trop rudimentaire pour ne pas regretter que des efforts plus importants en cartographie soient consentis par de tels spécialistes en géopolitique.
Les jugements sur le fond sont un peu vains, puisque le propre même de l’ouvrage est d’être fragmentaire et de multiplier les points d’entrée sur la vaste question de l’Amérique latine, en effectuant un relevé des problématiques, sans chercher à affirmer de réponses systématiques. On peut dire que l’intitulé de la conclusion générale (« les oligarchies batailleuses ») n’est pas totalement convaincant. La place accordée aux Etats-Unis et à leur rôle dans la géopolitique du continent ne semble pas à sa juste mesure. L’ouvrage est cependant à même d’évoquer des évolutions très récentes, comme les nombreux changements politiques intervenus ces dernières années : les explications de la poussée politique de la gauche (très « plurielle » ?) semblent un peu courtes (ou réduites à la formule un peu commode et passe-partout de « populisme anti-américain »),
Le livre finit par évoquer le vieux pull-over à défaire : des fils dépassent, qu’on a envie de tirer pour voir ce qu’il y a au bout. Mais la pelote ne pourra se faire qu’en allant chercher ailleurs les compléments d’information ou la réflexion approfondie nécessaires. C’est finalement peut-être un grand mérite de susciter cela.
Sans doute que la présence du thème de l’Amérique latine aux concours (on sait les éditions Ellipses sont très attentives à cette demande) explique-t-elle (et justifie ?) la parution d’un ouvrage de ce type. Son format et sa clarté (son prix ? 10 Euros) ne sont pas des atouts négligeables, même si la réflexion est plus stimulante que rassasiante.
Venant après la lecture du récent et très dense tome de « Géopolitique des Amériques » de chez Nathan (voir CR sur le site des Clionautes), je suis resté sur ma faim. On s’étonne qu’un auteur aussi prolifique, et intéressant (je pense par exemple à l’excellent « Le désir de territoire », conçu sous les mêmes formes, chez le même éditeur,mais traitant des zones d’ombre de la planète géopolitique, moins largement parcourues), et son directeur de collection (Aymeric Chauprade, dont le roboratif « Géopolitique », chez Ellipses aussi, près de 1000 pages, fait référence et est devenu un usuel de base) ne cherchent pas à se concentrer sur des publications vraiment nouvelles et utiles.
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