Historien danois de la photographie, Gunner Byskov travaille à l’école des médias de Viborg. Possédant des originaux de photomontages de Marinus Jacob Kjelgaard, un photographe d’origine danoise immigré à Paris et travaillant pour le journal Marianne, l’auteur a réalisé cet album qui regroupe une soixantaine de ces photomontages qu’il analyse et contextualise. Cet ouvrage paru en 2008, est réédité à l’occasion d’une exposition Marinus, photomontages satiriques 1932-1940, présentée au Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère – Maison des Droits de l’homme, du 15 juin au 21 octobre 2019. Il est traduit du danois par Marc Auchet.

La préface de l’album rend hommage à celui qu’on appelait tout simplement Marinus (1884-1964). On trouvera en fin ouvrage une biographie très précise d’un homme qui cherchera toujours à cacher ses anciennes activités tout en restant photographe pour survivre. En effet, celui qui s’est attaqué de front aux dictatures des années 30 par ses photos caricaturales, est tombé dans l’oubli jusqu’au début des années 1970. Quand les nazis sont entrés dans Paris en juin 1940, ils n’ont pas manqué de perquisitionner les locaux de l’hebdomadaire Marianne fondé par Gaston Gallimard en octobre 1932, « pour lutter contre les idées toutes faites et les pouvoirs établis ». Les Allemands visaient l’homme qui avait de semaine en semaine réalisé de grands photomontages publiés en première page du journal afin de dénoncer la folie meurtrière d’Hitler et de ses sbires. Marinus est demeuré introuvable et il put écrire à sa famille qu’il a fallu un miracle pour qu’il échappât à ses détracteurs. Bien des camarades de presse parisiens sont morts à Buchenwald, pourtant « beaucoup moins coupables » que lui.

Il faut dire que les œuvres présentées dans cet ouvrage ont de quoi surprendre (en témoigne, l’illustration de couverture où Hitler joue avec le monde et le coiffe d’un casque à pointe allemand). Elles sont mal connues par les professeurs d’histoire non spécialistes et semblent peu introduites dans les manuels scolaires. Mussolini, Hitler ou Staline sont mis dans des situations insolites qui dénoncent leur politique sous les yeux des dirigeants des démocraties européennes aveuglés et impuissants. Marinus allie une culture « classique » et « populaire », surtout cinématographique, pour créer ses images chocs. Il détourne Les bergers d’Arcadie de Nicolas Poussin en 1938 pour montrer que les dirigeants français entraînent la France à sa perte sous les yeux d’une Marianne éplorée, tandis qu’Hitler se retrouve en août 1933 grimé en King Kong, perché sur le bâtiment de la SDN, serrant dans sa main une jeune femme allongée tenant une banderole, allégorie de la SDN. Trois jours plus tard, Hitler annonce son retrait de la Société des Nations. Hitler et Mussolini jouent la domination du monde aux échecs sous les yeux des démocrates perplexes. Mussolini traverse les Alpes sur les pas de Napoléon (tableau de Jacques Louis David) et la Joconde prend les traits de Staline.

Pendant huit ans, Marinus occupe un emploi fixe au journal Marianne et confectionne 253 photomontages dont la plupart figure en première page, ce qui devient une identité graphique pour cet hebdomadaire. Le magazine Life publie en 1938, sept photomontages de Marinus et déclare que « le photomontage peut servir à exprimer la satire la plus violente mais ces images françaises font preuve d’un humour stupéfiant ». Il ne faut cependant ne pas s’y tromper. Derrière ces images transformées se cachent une réflexion sérieuse et visionnaire.

Ce livre sera un allié précieux pour pimenter les leçons du secondaire sur les années 30. Les photomontages de Marinus s’inscriront en contrepoint des affiches de propagande des régimes totalitaires souvent étudiées. Si certaines sont d’un humour irrésistible, d’autres seront à manier avec prudence tant la charge émotionnelle et notre connaissance de leur histoire immédiate sont terrifiantes.