Quel professeur d’histoire français ne s’est jamais retrouvé face à un élève enthousiaste, les yeux brillants, racontant , plein de fougue, sa visite au parc du Puy du Fou ? Et ce même professeur d’essayer, sans éteindre cette passion naissante pour l’histoire, d’exliquer que, non, le Puy du Fou, ce n’est pas exactement de l’histoire, voyez vous, mais plutôt du spectacle… Alors que sort la première production cinématographique estampillée Puy du Fou, dans un contexte d’instrumentalisation de l’histoire par les politiques, l’ouvrage Le Puy du faux apporte un éclairage historique bienvenu sur ce phénomène qui, ne l’oublions pas, draine chaque année plus de deux millions de spectateurs.
Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau et Mathilde Larrère, tous specialistes d’une période de l’histoire différente, nous proposent dans leur ouvrage, à la fois une visite guidée et une analyse, non seulement des contenus des spectacles, mais de l’idéologie sous jacente qui porte le fameux parc à thème. Ces quatre historiens ont comme point commun la pratique de la médiation du savoir historique et ce via les media les plus nouveaux, et le goût de la transmission de ce savoir, y compris par la culture populaire.
Il n’y a, dans le Puy du faux, aucune posture méprisante du « sachant » face à la vulgarisation, aucun jugement à l’emporte pièce sur les spectateurs qui se pressent dans le parc, mais une vrai curiosité et une authentique volonté de comprendre. Pendant trois jours ils ont visité le parc, vu et revu les spectacles, visité les échoppes, les restaurants, lu les explications, analysé les signes, dessins, pictogrammes, observé les gadgets et les goodies vendus. Cette méthode , véritable enquête de terrain, est à l’origine d’un ouvrage riche, bien écrit et enlevé, très documenté. On apprécie particulièrement le soin apporté à la documentation et à la bibliographie, chaque chapitre se concluant par une mini bibliographie intitulée « pour en savoir plus ». Les chapitres, thématiques, sont courts, ressérés, accessibles à des non spécialistes (on peut tout à fait envisager de conseiller cet ouvrage à des élèves de première ou de terminale).
Les auteurs ne nient pas la qualité visuelle des spectacles proposés, ni l’implication des très nombreux employés, le parc n’est pas un tel succès pour rien. Ils notent à la fois l’enthousiasme des spectateurs, mais aussi le recul de certains d’entre eux face à la posture idéologique du parc, que l’on retrouve également dans les « avis » donnés sur les sites internet. En revanche ils ne peuvent qu’observer et noter l’instrumentalisation idéologique de l’histoire, parfois de manière subtile, mais parfois à « gros sabots ». En effet, l’homme à l’origine du projet Philippe De Villiers se sert du parc pour promouvoir un roman national très ancré dans la droite catholique royaliste française. Les courageux Vendéens se battent contre une République cruelle et absurde, les trois ordres organisent une société idéale où domine l’aristocratie et ses valeurs, les Rois de France sont présentés comme des figures positives et l’immobilité sociale est promue. Le Puy du fou montre une histoire enracinée dans le local, comme les personnages, toujours différents mais finalement toujours les mêmes, comme si ce petit coin de Vendée était le centre de l’histoire de France, la vraie, pas celle des historiens, mais celle de Philippe de Villiers, de Stephane Bern ou de Eric Zemmour, mais aussi celle des historiens conservateurs du XIXe siècle. En effet, les auteurs rattachent le Puy du Fou à un courant de pensée de la droite française qui voit dans l’histoire un moyen de mettre en exergue la grandeur immuable de la France, en tout cas la France monarchique et catholique. Cette analyse permet de penser le Puy du Fou non pas comme un épiphénomène mais le maillon particulièrement remarquable d’une longue chaine idéologique. Ainsi, l’antimodernisme, l’antiféminisme, la méfiance pour la science, l’apologie du christianisme et de nombreux anachronismes, sont présents dans des scénographies par ailleurs fort bien mises en scène. Est mise en scène également la mythologie familiale De Villiers, face à des historiens jugés dogmatiques , et qui, selon l’homme du Puy du Fou transforment le magnifique roman national en science humaine jargonnante. Les spectacles sont répertoriés, datés et résumés dans une partie « Présentation des spectacles »
L’ouvrage se termine sur un intelligent épilogue « inventer d’autres Puy du Fou » qui imagine un Puy du Fou alternatif, non pas basé sur le roman national, mais sur des sources historiquement fiables, et l’on se prend à rêver d’un parc à thème vraiment historique. Les auteurs, dans l’introduction, disent leur ambition d’ouvrir un dialogue entre les tenants de l’histoire spectacle et les historiens, et l’on peut se demander si ce fort bon ouvrage pourra aider à la construction d’un pont entre ces deux parties, ou si ce Puy du faux ne sera vu par les zélateurs du parc que comme une attaque des historiens idéologues contre le roman national.
Isabelle Salles