La IIe République paraît semble parfois oubliée. Elle fut courte, coincée entre la Monarchie de Juillet et le Second Empire. Elle suscita pourtant des les espoirs avec l’instauration du proclamation du suffrage universel. L’auteur montre comment un homme a su s’emparer du pouvoir puis le confisquer. C’est la courte histoire de la seconde république que rapporte Marie-Hélène Baylac.
Agrégée d’histoire, ancienne élève de l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, Marie-Hélène Baylac a enseigné à l’École alsacienne, tout en étant chargée de cours à l’Université Paris XII, puis à l’École normale de Livry-Gargan. Parallèlement, elle a collaboré à de nombreuses publications comme auteur, puis comme directeur de manuels scolaires et d’encyclopédie d’histoire et de gastronomie. Depuis quelques années, elle s’intéresse à la période révolutionnaire ainsi qu’au XIXe siècle. Elle est notamment l’auteur du Sang des Bourbons (Larousse, 2009) ; Les secrets de la Révolution française ; Napoléon, Empereur de l’île d’Elbe : Avril 1814 – Février 1815 (Tallandier, 2011) ; Hortense de Beauharnais (Perrin, 2016), pour lequel elle a obtenu le Prix Spécial du Jury de la Fondation Napoléon en 2016.
L’instauration de la République
La première partie de cet ouvrage nous plonge dans une France recroquevillée sur elle-même, après dix-huit ans d’un règne, qualifié de « bourgeois », par l’opposition républicaine au roi Louis-Philippe Ier. Durant l’hiver 1847-1848, la question de la réforme électorale et parlementaire est prégnante et revient sur le devant de la scène à la veille de l’ouverture de la session parlementaire.
Homme fort du pouvoir, Guizot reste sourd à ces attentes d’une large frange de la population que le suffrage censitaire bâillonne. La majorité parlementaire ne représente pas l’image d’un pays qu’elle est censée représenter. Au sein même du parti orléaniste, une opposition dynastique exprime son souhait de parvenir à une nécessaire réforme du système électoral.
Subissant les conséquences d’une crise économique survenue deux ans plus tôt, la France va mal. La dépression et l’inflation frappent indistinctement villes et campagnes. Il faut encore nourrir cette population en plein essor démographique. Cependant, le pouvoir libéral se refuse à toute intervention étatique pour venir en aide à sa population.
La faillite du régime, empoissé par l’ampleur des scandales de malversations et de corruption électorale, ne fait qu’accentuer la rupture entre le peuple et ses représentants. L’idéal révolutionnaire, celui de 1789, est remis à l’ordre du jour. Preuve qu’il est à bout de souffle, le pouvoir suspend les cours de Michelet au Collège de France, provoquant des manifestations étudiantes. Les journaux d’opposition se font l’écho de cet « État pourri » !
Les évènements s’accélèrent durant les premiers mois de l’année 1848, quand le préfet de police interdit la tenue d’une série de banquets républicains. L’annulation, le 22 février 1848, de l’un de ces banquets, met le feu aux poudres. À la plus grande stupéfaction du pouvoir, des manifestants dressent tout un réseau de barricades dans tout le nord-est de la capitale. La troupe et la garde nationale sont appelées pour ramener l’ordre dans Paris. Contre toute attente, la garde nationale se rallie aux manifestants. Espérer ramener le calme dans la capitale, le roi prend la décision de se séparer de Guizot. Nonobstant, la révolte populaire se transforme bientôt en révolution. Le roi quitte alors les Tuileries avant d’abdiquer peu après.
À l’issue d’un bras de fer entre modérés et radicaux, après que la régence de la duchesse d’Orléans a été refusée par les députés, la République est proclamée depuis le balcon de l’Hôtel de Ville. Déjà, la majorité modérée du Gouvernement provisoire subit les exigences de la minorité socialiste et radicale, qui a largement contribué à la victoire de la révolution.
Le ralliement des autorités locales au gouvernement provisoire est quasi général. L’armée et l’Église reconnaissent elles aussi le nouveau régime comme le seul légitime.
Si dans leur ensemble, les Français se rallient à la République, ils le font moins par idéologie que par opportunisme. Rapidement, un fossé se creuse entre les conservateurs, les tenants de l’ordre et de la propriété et les communistes.
La grande déception des socialistes
Contre toute attente, la proclamation de la République ramène rapidement l’ordre en France. Bientôt sont inscrites en lettres d’or sur l’ensemble des frontons des monuments publics, la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité ! Les noms évoquant le régime déchu sont purement et simplement supprimés. Les journaux républicains fleurissent. Plusieurs centaines de clubs voient le jour dans la capitale. La France vit un rêve éveillé. Cette illusion lyrique peut-elle durer ?
Cependant, derrière ces élans enthousiastes, les masses populaires s’impatientent. La pénurie de travail conduit à de nombreuses explosions de violences. Jugés « indésirables », les étrangers sont accusés de concurrencer les Français sur le marché du travail. Bientôt, Belges, Polonais et Italiens sont obligés de quitter la France.
Le gouvernement tente d’apaiser la situation en reconnaissant aux ouvriers le droit d’association. Le nouveau pouvoir institue, par décret, « l’établissement immédiat » d’Ateliers nationaux, à destination de très nombreux chômeurs, afin de leur apporter occupation et rémunération. Ses détracteurs y voient des ateliers de charité qui ne donnent que l’apparence du travail, quand les radicaux proposent encore l’abolition du prolétariat, l’institution d’une Banque d’État et la nationalisation d’un certain nombre de secteurs de l’économie.
Souhaitant mettre en application ses idées libérales, le gouvernement entend instaurer un suffrage universel direct masculin, sans condition de cens, pour l’ensemble des Français âgés de 21 ans. Bras armé du nouveau régime, les militaires peuvent dorénavant voter. Enfin, l’esclavage est aboli. L’avènement de cette République française, émancipatrice et libérale, inquiète les chancelleries européennes, majoritairement conservatrices.
L’organisation d’élections à l’Assemblée nationale doit sortir le pays du provisoire. Alors qu’ils marchent jusqu’à l’Hôtel de Ville avec le dessein d’y renverser le gouvernement provisoire, communistes et socialistes se voient repoussés par la garde mobile et la garde nationale de Paris.
Les élections sont un véritable raz de marée conservateur. Républicains modérés et royaliste se taillent la part du lion, avec plus ou moins le même nombre d’élus dans chacun des deux camps. Communistes, radicaux et autres socialistes sont les grands vaincus de ce scrutin avec seulement 50 sièges sur 900 à pourvoir.
Triomphe du droit sur la rue
La nouvelle majorité issue des urnes met un coup d’arrêt au pouvoir révolutionnaire et provisoire, en installant un pouvoir légitime, directement désigné par la vox populi. Cependant, la question du pouvoir exécutif se pose. Légitimistes, orléanistes et républicains modérés entendent remplacer le gouvernement provisoire par un président du Conseil assisté de ministres. La République s’installe et se renforce encore après l’écrasement d’un coup d’État ourdi par les communistes et les socialistes. Cet évènement marque la mise en sommeil durable de l’extrême gauche française.
La tenue d’élections complémentaires voit surgir Louis Napoléon Bonaparte, élu dans 4 départements. Il n’en faut pas davantage pour que le projet d’un prochain coup d’État bonapartiste soit évoqué dans les rues de la capitale. Devant cette levée de boucliers, Badinguet préfère remettre sa démission au président de l’Assemblée et attendre son heure.
Les barricades ressurgissent lorsque la représentation nationale entend mettre fin aux Ateliers nationaux, qualifiés de « grève organisée à 170 000 francs par jour […] », par le très conservateur comte de Falloux. Le pouvoir envoie la cavalerie pour écraser l’insurrection qui éclate après l’annonce de la suppression des Ateliers nationaux. La répression est sanglante et meurtrière. Cet évènement consacre, comme l’écrit l’historien François Furet : « un divorce aux conséquences profondes pour l’avenir entre socialistes et républicains ».
La France est alors profondément conservatrice. Royaliste, la province a massivement voté pour la République, plus par raison que par conviction. L’été 1848 confirme ce conservatisme provincial avec le triomphe des conservateurs aux élections municipales et cantonales.
La prégnance conservatrice est telle au sein de l’Assemblée nationale constituante que ses membres proclament la Constitution en « présence de Dieu et au nom du peuple français ». Le projet d’une grande chambre est rejeté au profit d’une assemblée législative unique. Les représentants du peuple entendent instaurer un pouvoir exécutif fort, capable de contrebalancer le pouvoir législatif. Aussi privilégient-ils l’élection d’un président de la République au suffrage universel direct pour 4 ans, en lieu et place d’une présidence collégiale impersonnelle. Signe du destin, à l’occasion de nouvelles élections complémentaires, Louis Napoléon Bonaparte voit 5 départements porter massivement leurs suffrages sur son nom.
La mainmise de l’ordre sur la République
Dominant de la tête et des épaules la scène politique, le général Cavaignac est le grand favori de la future élection présidentielle. Dans l’ombre cependant se terre Louis-Napoléon Bonaparte. Chacun représente une vision de la République. Si le premier est le héraut de la République démocratique, le napoléonide représente quant à lui une République d’ordre, qui correspond aux attentes d’une large frange de la nation.
Contre toute attente, Louis-Napoléon Bonaparte est élu premier président de la République au suffrage universel direct. Soutenu financièrement par Thiers et les membres de la réunion de la rue de Poitiers, il est le candidat du parti de l’Ordre. Son élection à la magistrature est sans discussion possible. Élu avec 74 % des suffrages exprimés (5 400 000 voix), celui-ci devance largement Cavaignac (1 400 000 voix) ou bien encore plus largement Lamartine (18 000 voix).
Thiers et ses séides soutiennent le neveu du premier Empereur avec la certitude de pouvoir lui imposer leur politique. L’ancien chef de gouvernement de la Monarchie de Juillet pense avoir atteint son objectif en obtenant du nouvel homme fort du pays, la formation d’un cabinet presque entièrement constitué de membres de l’ancienne gauche orléaniste.
Le président de la République n’est cependant pas « ce crétin », que Thiers et les chefs du parti de l’Ordre entendaient mener. Aussitôt installé dans ses fonctions présidentielles, l’hôte de l’Élysée installe ses créatures à tous les postes clés de la République et s’entoure de fidèles de la première heure. Bientôt, la question de la dissolution de l’assemblée se pose. Le chef de l’État procède à un large mouvement préfectoral, éliminant ainsi les derniers serviteurs de la gauche républicaine.
Sous la pression du gouvernement et des soldats du général Changarnier, l’Assemblée vote sa dissolution. Des élections législatives se tiennent le 13 mai 1849. Trois blocs distincts concourent à cette élection. Les rouges : communistes, socialistes et démocrates sociaux obtiennent un peu moins de 200 élus. Les blancs : parti de l’Ordre, composé de légitimistes et de républicains, remporte près de 450 sièges. Les bleus enfin — les républicains modérés — sont totalement inaudibles lors de ces élections, enserrés entre deux France qui s’opposent nettement : la France rouge et la France blanche. Déjà, l’opposition ne tarde pas à crier au futur coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte.
Les premiers mois de la présidence de Louis-Napoléon Bonaparte sont marqués par l’expédition de Rome. Cette question diplomatique ne tarde pas à provoquer un tournant majeur dans l’évolution des rapports de force dans la politique intérieure française. Durant l’été 1849, les troupes françaises occupent Rome et mettent fin à la République, proclamant le rétablissement du pouvoir temporel du pape.
Par ailleurs, le président de la République souhaite prendre le pouls de son peuple. Pour ce faire, il organise une série de voyages en province. La foule se presse pour le voir. Sur son passage on crie : « vive le président ! », où bien encore : « vive la République », voir même « vive l’Empereur ! » Fort de ce soutien populaire, le chef de l’État obtient la démission de son gouvernement pour installer un cabinet à sa main, avec des proches comme Rouher à la Justice, ou bien encore Barrot à l’Intérieur, afin de « raffermir la République », menacée par l’anarchie. Le nouveau cabinet accélère la mise à l’écart des fonctionnaires et des préfets républicains. Le gouvernement adore encore la loi Falloux sur la liberté d’enseignement, installant de facto l’Église dans l’État. Enfin, la loi du 31 mai 1850 restreint le suffrage universel, supprimant 3 millions d’électeurs, principalement des opposants socialistes et républicains au chef de l’État.
Qui tuera la République ?
La présidence de Louis-Napoléon Bonaparte arrive à son terme en mai 1852. La Constitution ne lui permet pas de briguer un second mandat. Louis-Napoléon Bonaparte souhaite cependant rester au pouvoir. Le chef de l’État profite des vacances parlementaires pour refaire un tour de France, au contact du peuple. Morny et Persigny considèrent que le rétablissement de l’Empire est l’unique moyen de fortifier son pouvoir. Pour y parvenir, encore faut-il réviser la Constitution.
Le prince-président continue de placer ses pions sur l’échiquier. Après s’être assuré de la mise hors jeu du monarchiste Changarnier, Louis-Napoléon Bonaparte multiplie les mesures répressives à l’encontre du parti démocrate-socialiste, dont il obtient la condamnation de ses chefs. Le chef de l’État s’appuie sur la gendarmerie pour surveiller les rouges, par un maillage territorial dense.
Par un vote de l’Assemblée nationale, par 443 voix contre 268, le président de la République ne parvient pas à obtenir la majorité de 543 voix requises pour réviser la Constitution. Ne pouvant rester au pouvoir par les voies légales, il ne reste plus au locataire de l’Élysée que le coup d’État. Ses conseillers l’incitent à profiter des vacances parlementaires pour dissoudre l’Assemblée nationale. Prudent, Louis-Napoléon Bonaparte préfère former un nouveau gouvernement.
À la veille du jour anniversaire de la victoire d’Austerlitz et de la proclamation du Premier Empire, Louis-Napoléon Bonaparte se décide à franchir le Rubicon. C’est d’ailleurs le nom de code qu’il choisit pour ce coup de force. Alors que le Tout-Paris fiche son billet sur un coup d’État après les fêtes de fin d’année, le chef de l’État met au point ses dernières directives tandis qu’un bal est donné dans les salons de l’Élysée. Dans le plus grand secret, la troupe est déployée dans la capitale. Au petit matin, le coup d’État est consommé.
Fin de partie : restauration de l’Empire
Le coup d’État du 2 décembre 1852 est une réussite. Un petit nombre d’opposants sont arrêtés et emprisonnés. Les points stratégiques de la capitale sont occupés par 50 000 soldats et policiers aux ordres de l’exécutif. L’Assemblée nationale et le Conseil d’État sont dissous ; le suffrage universel rétabli et l’état de siège décrété. Hormis les monarchistes, qui tentent désespérément de riposter, le peuple semble satisfait. Si à Paris le coup d’État est un triomphe, en province, 27 départements du Centre et du Midi se soulèvent pour défendre la République démocratique et sociale. La riposte est immédiate et les républicains écrasés. Cette répression sanglante qui vaudra à Louis-Napoléon Bonaparte une légende noire. Eugénie aura ses mots : « [l’Empereur] portait le coup d’État comme la tunique de Nessus ».
Prince-président d’une République devenue césarienne, après avoir rétabli le suffrage universel et abrogé la loi du 31 mai, Louis-Napoléon Bonaparte convoque le peuple français pour le plébiscite des 20 et 21 décembre 1851. Le chef de l’État demande au peuple français s’il souhaite établir une nouvelle Constitution. Le oui l’emporte largement. La rédaction de la nouvelle constitution est confiée à Rouher. Ce dernier s’inspire largement de la Constitution de l’an VIII. Trop puissante, l’Assemblée nationale est remplacée par trois institutions aux pouvoirs limités : un Conseil d’État, un Corps législatif et un Sénat, où siègent les proches du chef de l’État.
La marche à l’Empire est inexorable. Le pouvoir repose dorénavant sur des préfets aux ordres du pouvoir. Les forces de l’ordre sont réorganisées et le ministère de la Police générale rétabli. Symbole fort, la devise : liberté, égalité, fraternité, est effacée des frontons des bâtiments publics. Inexorablement, le pouvoir s’achemine vers l’Empire. Poursuivant ses déplacements en province, Louis-Napoléon Bonaparte poursuit son tour de France, au plus près du peuple qui l’accueille aux cris de « Vive l’Empereur », « Vive Napoléon III ».
Les jours de la République sont comptés. Le passage à l’Empire n’est qu’une formalité. Convoqué par sénatus-consulte pour accepter ou refuser le rétablissement de la dignité impériale, le corps électoral se prononce à 96 % pour le rétablissement de l’Empire. Le nouvel empereur Napoléon III, dorénavant, inaugure son règne entrant solennellement dans Paris, le 2 décembre 1852. Pas suffisamment mûre pour l’exercice de la démocratie parlementaire et du suffrage universel, la France s’est jetée dans les bras d’un homme synonyme de pouvoir fort, réactionnaire.
Cette publication de 429 pages inclut un avant-propos (p. 9-11), 6 parties découpées en 38 chapitres (p. 13-382), des notes dans lesquelles se trouve la bibliographie (p. 383-415), un index (p. 419-424), des remerciements (p. 425), enfin une table des matières (p. 427-429).