La revue Parlement(s)

Créée en 2003 sous le titre Parlement[s], Histoire et politique , la revue du CHPP change de sous-titre en 2007 pour affirmer sa vocation à couvrir tous les domaines de l’histoire politique. Chaque volume est constitué pour l’essentiel d’un dossier thématique (partie Recherche), composé d’articles originaux soumis à un comité de lecture, qu’ils soient issus d’une journée d’études, commandés par la rédaction ou qu’ils proviennent de propositions spontanées. Quelques varia complètent régulièrement cette partie. La séquence (Sources) approfondit le thème du numéro en offrant au lecteur une sélection de sources écrites commentées et/ou les transcriptions d’entretiens réalisés pour l’occasion. Enfin, une rubrique (Lectures) regroupe les comptes rendus de lecture critiques d’ouvrages récents. Enfin, la revue se termine systématiquement par des résumés des contributions écrits en français et en anglais (suivis de mots-clés).
La revue Parlement(s) n°24 a pour thème : Le roman parlementaire. Ce vingtième-quatrième dossier est coordonné sous la direction de Denis Pernot. Comme d’habitude, le dossier se compose de deux éléments distincts : une première partie consacrée à la recherche (avec la contribution de 6 chercheurs, jeunes ou confirmées) et la seconde à des sources commentées par Jean Garrigues, Jean El Gammal, Paul Smith et Pierre Allorant. De plus, dans ce numéro, nous trouvons à nouveau une partie consacrée à des varia (au nombre de 2) et à 5 lectures (critiquées par cinq historiens).
Puis vient, en introduction, « Le roman parlementaire : essai de problématisation en France à travers le XIXe et le XXe siècle par Denis Pernot (Professeur à l’université Paris 13, Pléiade). Nombre des romans d’actualité des XIXe et XXe siècles, relayés aujourd’hui par des séries télévisées à succès, mettent en scène des personnages (ministres, élus, préfets, agitateurs, proscrits…) qu’ils font évoluer au sein ou en marge des institutions politiques. Ils proposent ainsi le récit de pratiques discursives nouvelles : campagnes électorales, conseils des ministres, allocutions publiques, comités secrets… Ce faisant, ils font pénétrer leurs lecteurs au cœur des lieux où, grâce à divers spectacles de la parole et à de multiples et âpres rivalités d’ambition, se décident les grandes orientations de la vie nationale. Espace de débats mais aussi d’intrigues, dont la presse rend quotidiennement compte, le Parlement est de ces lieux et le parlementaire de ces personnages qui inspirent les œuvres de fiction politique. Plutôt que de s’intéresser à l’activité de gens de lettres une fois élus, tels Lamartine ou Hugo, ce dossier examine comment un lieu de discours par excellence, le Parlement, et des porteurs de discours, les parlementaires, traduisent la nature et les fonctionnements du politique à travers des œuvres, entre autres, de Zola, de Vogüé, Léon Daudet, Trilby, Jules Romains, Maurice Barrès… et propose une mise en perspective avec les séries télévisées House of cards et Borgen. Les auteurs interrogent ainsi les liens qui se tissent entre l’intrigue parlementaire et l’intrigue romanesque et montrent la fascination réciproque de deux « parlementeurs », l’homme de lettres et l’homme politique, le roman participant souvent à l’antiparlementarisme ambiant.

Recherche : Le roman parlementaire :

La représentation des assemblées révolutionnaires dans le roman du XIXe siècle : Aude Déruelle (Professeur à l’université d’Orléans, Laboratoire POLEN – EA 4710)
À travers trois exemples (Erckmann-Chatrian, Alexandre Dumas père, Victor Hugo), on étudie la manière dont les romanciers du XIXe siècle favorables à la cause républicaine évoquent l’éloquence des assemblées révolutionnaires. Comment insérer de longs discours rhétoriques au sein de la prose romanesque sans l’affaiblir ? Comment rendre son tranchant à une éloquence classique, émoussée voire compassée ?

Le Parlement et les parlementaires dans l’œuvre de Zola :
Éric Anceau (Maître de conférences HDR à l’Université Paris-Sorbonne et Sciences Po Paris, Centre de recherches en histoire du XIXe siècle – LabEx EHNE)
Plusieurs romans du cycle des Rougon-Macquart abordent les questions politiques et parlementaires, très importantes aux yeux de Zola mais encore peu étudiées. C’est au prisme du naturalisme que leur analyse doit être menée. En effet, Émile Zola mêle réalité et fiction pour montrer la dérive de la IIIe République naissante et la nécessité de l’amender. Aborder cette question, en particulier par Son Excellence Eugène Rougon, permet de mieux comprendre la mission grandiose que Zola assigne au romancier.

« Un endroit où le meilleur lait tournerait » : Le Parlement vu par Eugène-Melchior de Vogüé :
Vital Rambaud (Maître de conférences en littérature à l’université Paris-Sorbonne, Centre d’étude de la langue et des littératures françaises)
Élu député en 1893, Eugène-Melchior de Vogüé pensait être utile. Mais, comme le montrent Les Morts qui parlent, il perdit vite ses illusions. Le roman, publié en 1899, peut être lu comme un reportage sur le Parlement mais il en fait surtout la satire et le procès. Il montre la haine qui règne dans l’hémicycle, l’inefficacité du travail parlementaire et la manière dont les députés ne font que ressasser des discours qui ne sont plus d’actualité. Pour Vogüé, la « vraie vie » se situe ailleurs.

Sur un méchant roman : Au Pays des parlementeurs de Léon Daudet :
Michel Leymarie (Université Charles-de-Gaulle Lille 3, IRHIS UMR 8529, Centre d’histoire de Sciences po)
Au Pays des Parlementeurs n’est pas un roman sur le Parlement. Cette œuvre écrite en 1901, datée par la facture et la composition, présente une galerie de portraits statiques et développe des thèmes familiers à l’auteur : l’antiparlementarisme, l’antisémitisme et l’antimaçonnisme. Selon l’auteur nationaliste, le vrai pouvoir dans la démocratie française appartiendrait à une famille juive – Warmeschwein / Rothschild – qui manipulerait à son seul profit les corps constitués et le régime lui-même.

Un antiparlementarisme au féminin : le cycle de Bouboule, (1927-1937) de T. Trilby :
Denis Pernot (Professeur à l’université Paris 13, Pléiade)
Les romans politiques que publie Marie-Thérèse de Marnyhac (1875-1962) entre 1927 et 1937 sont présentés ici comme la tentative de l’épouse d’un parlementaire pour trouver une place et un rôle à jouer dans la vie politique de son temps. L’antiparlementarisme de l’héroïne y est montré comme le support d’une recherche visant à découvrir et à mettre au point un mode d’expression lui permettant de transmettre ses préoccupations sociales et politiques à côté et aux marges des discours officiels.

Jules Romains : la théâtralisation du Parlement de la Belle Époque ou « un spectacle dans un fauteuil » :
Lucille Zimba (Doctorante au POLEN-CEPOC – EA 4710)
À la Belle Époque, le Parlement constitue le centre de l’activité politique. Dans son œuvre Les Hommes de bonne volonté, Jules Romains propose une reconfiguration théâtralisée de l’univers parlementaire et de ses intrigues. Le théâtre, comme la politique, sont des mondes de représentations, des mondes en représentation – et le roman un mode de représentation. Toutefois, l’auteur suggère une image partielle, celle de l’envers du décor et des coulisses de l’espace parlementaire.

Sources :

 

Maurice Barrès, Leurs Figures (1902) :
présenté par Jean Garrigues (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université d’Orléans, POLEN-CEPOC – EA 4710)
Leurs Figures (1902) est le troisième roman de la trilogie de Maurice Barrès intitulée Le Roman de l’énergie nationale après Les Déracinés (1897) et L’Appel au soldat (1900). Dans la première, l’auteur décrit les grandes ambitions d’un groupe de lycéens lorrains puis, dans le deuxième, Maurice Barrès raconte son aventure boulangiste, ses succès électoraux mais aussi ses déceptions face au boulangisme. Enfin, dans le troisième et dernier volume de la trilogie, Maurice Barrès centre le roman sur le scandale de Panama comme catalyseur des mœurs parlementaires devenant ainsi une sorte d’archétype du roman parlementaire.

La couverture du Nabab d’Alphonse Daudet (1926) :
présenté par Jean El Gammal (Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Lorraine, CRULH)
Cette image fait référence au deuxième chapitre d’un roman d’Alphonse Daudet, « Un déjeuner place Vendôme ». Le Nabab, publié – en feuilleton dans le grand quotidien parisien et conservateur Le Temps, puis chez l’éditeur Charpentier – en 1877, a eu un grand succès et a entraîné un grand nombre de polémiques. L’illustration n’est pas d’origine mais figure sur la couverture d’une réédition du roman – chez Flammarion – en 1926. Cette caricature est due à Raymond Renefer – pseudonyme de Jean Constant Raymond Fontanet – né en 1879, connu comme dessinateur, graveur et peintre, notamment pour ses images de la Grande Guerre.

« You might very well think that ; I couldn’t possibly comment » House of Cards de Michael Dobbs : présenté par Paul Smith (University of Nottingham).
Selon Michael Dobbs, l’auteur du roman original House of Cards (Un château de cartes) a eu l’idée de ce dernier à l’issue de la victoire de Margaret Thatcher et du parti conservateur aux législatives de 1987. Le résultat fut le roman House of Cards publié en 1989 et qui se déroule dans un avenir proche au Royaume-Uni ; Margaret Thatcher et son successeur viennent de mener les conservateurs à la victoire lors des législatives, mais avec une majorité nettement réduite. Le personnage principal est Francis Urquhart qui est le chief whip du parti conservateur, chargé de maintenir la discipline au sein du groupe parlementaire. Le roman donna, à son tour, la vie à une série télévisée à grand succès (1990, 1993 et 1995), ainsi que deux suites en forme de roman (1992 et 1995), chacune adaptée au petit écran. Le succès fut tel que la fameuse phrase « Vous pouvez le penser ; je ne me permettrai point de commenter » qui est la réponse de Francis Urquhart à toute question délicate ou épineuse, est passée dans la langue quotidienne au Royaume-Uni.

Borgen. Une femme au pouvoir. De la série au roman :
présenté par Pierre Allorant (Professeur d’histoire du droit à l’Université d’Orléans, POLEN-CEPOC – EA 4710)
L’adaptation littéraire de la série télévisée diffusée sur Arte, Borgen, est le fruit de la coopération entre le scénariste et dramaturge Jesper Malmose et le réalisateur Adam Price. Pierre Allorant a choisi 3 extraits significatifs du personnage de la très humaine Birgitte Nyborg, première femme danoise Premier ministre, aux prises avec les « spins doctors ». En dépit des turpitudes et concessions, compromis et parfois compromissions, l’atmosphère de Borgen ne se réduit jamais à la froide et sanglante confrontation d’egos, de lobbies et de réseaux qui constitue la trame du très washingtonien House of cards.

Varia :

 

Les Ukrainiens à la Diète polonaise (1922-1930) :
Enguerran Massis (Doctorant au Centre de recherches Europe-Eurasie – INALCO)
Un mode de scrutin relativement démocratique permit à de nombreux députés ukrainiens d’être élus aux deux premières Diètes de la IIe République de Pologne. Issus de territoires et de formations politiques diverses, ils ne parvinrent à mener une politique commune ni à peser véritablement dans un jeu parlementaire où ils étaient voués à être minoritaires. Une ligne de fracture territoriale, politique et stratégique empêcha toute collaboration durable entre les députés.

Le Jaurès d’Aragon :
Marie-France Boireau
(Docteur en Littérature, membre de l’IRITA, membre associé du CEPOC)
Aragon, dans les deux premiers romans du Monde réel, fait de Jaurès un personnage historique et romanesque permettant au militant de questionner une figure socialiste complexe qui suscita bien des réserves de la part du PCF, avant d’apparaître comme l’incarnation des luttes ouvrières passées et à venir. Quant au romancier Aragon, il reconnaît en Jaurès une voix, celle du peuple, un tribun hors pair dont l’art oratoire irrigue, par un saisissant effet de mimétisme, sa propre prose.

Lectures :

 

Géraldi Leroy, Péguy. L’inclassable, Paris, Armand Colin, coll. « Nouvelles biographies historiques », 2014, 366 p., par Pierre Allorant
Spécialiste des intellectuels français, de l’affaire Dreyfus au Front populaire, Géraldi Leroy nous offre une relecture de la vie de Péguy sans a priori, renouvelée par la consultation des riches archives du « centre mondial des études sur Charles Péguy » d’Orléans. Loin des instrumentalisations idéologiques, l’auteur s’adonne à des mises au point documentées et convaincantes refusant tout à la fois le déterminisme historique et l’anachronisme concernant la personnalité si complexe de Péguy.

Gérard Lindeperg (dir.), Jaurès et la Loire, Sayat, De Borée, 2013, 280 p., par Ismaïl Ferhat
Jaurès et le département de la Loire ont pour commun que le leader socialiste a écrit plusieurs articles concernant les conflits sociaux très durs entre le monde ouvrier et patronal (particulièrement conservateur) qui eurent lieu dans la Loire, entre 1886 et 1893. Le croisement des regards, les extraits de documents ou d’archives, ainsi que la richesse des recherches font de cet ouvrage une illustration originale de la territorialité du politique. Les idées et l’action publique n’ignorent pas en effet les terroirs de la Belle Époque, ce livre le rappelle avec force. Le socialisme hexagonal reflète bien la multitude des terres politiques de France, par-delà sa culture universaliste.

Michel Leymarie, La preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris, CNRS Éditions, 2014, 400 p., par Jean-Marc Guislin
Spécialiste d’histoire socioculturelle et politique, Michel Leymarie propose la biographie de deux frères : Jérôme (1874-1953) et Jean (1877-1952) Tharaud, tous deux journalistes et romanciers, issus d’une famille bourgeoise et cultivée de province. Pour mener à bien cette étude, des sources multiples et variées ont été exploitées allant de la BNF à l’Académie française. L’ouvrage composé de 9 chapitres suit une chronologie qui permet de reconstituer précisément l’itinéraire littéraire et intellectuel des frères Tharaud. La lecture est facilitée par un index riche de plus de 1150 entrées. A la Libération, les frères Tharaud sont trop assimilés à la collaboration et leur fidélité à Pétain fait qu’ils vont tomber très vite dans l’oubli de l’après-guerre avec la mort de Jean en 1952 et celle de Jérôme en 1953.

Serge Berstein, Michel Winock (dir.), Fascisme français ? La controverse, Paris, CNRS Éditions, 2014, 254 p., par Jérémy Guedj
En 2007, Serge Berstein signait un article dans la revue Vingtième Siècle censé mettre fin à une passe d’armes intellectuelle entre le français Michel Winock et l’américain Robert Soucy au sujet du fascisme français. La polémique rebondit en 2014 à l’occasion d’un ouvrage d’entretiens de l’historien israélien Zeev Sternhell accordés à Nicolas Weill. Celui-ci réitère sa thèse que la France aurait constitué le berceau et le laboratoire du fascisme, dès la fin du XIXe siècle, et abrité nombre de mouvements qui mériteraient pareille étiquette, sans nécessairement sans réclamer. L’ouvrage de Serge Berstein et Michel Winock se veut une réponse circonstanciée et plurielle de la part de chercheurs français et étrangers. En définitive, il s’agit avec cet ouvrage d’une nouvelle histoire du fascisme en France plutôt que du fascisme français.

Gilles Richard, Sylvie Guillaume et Jean-François Sirinelli (dir.), Histoire de l’UDF. L’Union pour la démocratie française, 1978-2007, Rennes, PUR, 2013., 196 p., par David Bellamy
En novembre 2011, le Centre d’histoire de Sciences Po Paris associé au Centre de recherche sur l’action politique en Europe de Rennes, avait organisé un colloque consacré à l’histoire de l’Union pour la Démocratie Française (UDF). Cet ouvrage constitue la publication des actes du colloque. A ce dernier furent présents des historiens mais aussi des politistes et des juristes sans oublier les témoins, anciens dirigeants de l’UDF. Cet ouvrage a le mérite de fixer clairement et avantageusement une étape de l’historiographie de l’UDF et devrait susciter d’autres ouvrages, colloques et articles sur cette confédération des forces centristes sous la Ve République.

Jean-François Bérel© Les Clionautes