Connu comme l’un des historiens parmi les plus importants de l’histoire de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora est actuellement président du conseil d’orientation du musée de l’histoire de l’immigration. Sa bibliographie a été très largement présentée sur la Cliothèque, et les Clionautes ne rencontrent régulièrement au rendez-vous de l’histoire de Blois.
Une histoire de la guerre d’Algérie
On retrouve ces juifs d’Afrique du Nord installésor en Tunisie dans l’île de Djerba, où se trouve la plus ancienne synagogue du Maghreb. Sans doute venus avec les Phéniciens, mais également avec les Romains, ces juifs d’Afrique du Nord convertissent des Berbères qui forment des tribus judaïsées qui ont marqué l’histoire de l’Afrique du Nord. Le christianisme puis l’islam diminuent l’influence du judaïsme sans jamais le supprimer. Ils subissent parfois des persécutions, comme le massacre des juifs de Marrakech en 1232, optent pour une acceptation de l’islam, tout en observant secrètement le judaïsme. Le philosophe Maïmonide, installé à Fès en 1161, justifie qu’une conversion «simulée et provisoire » est permise.
Ces juifs berbères qui s’adaptent, et qui sont tolérés, comme « gens du Livre », rencontrent les juifs d’Espagne qui fuient l’inquisition espagnole après 1492. Quelques décennies plus tard ils sont rejoints par des juifs venus d’Italie, protégés par le consul de France sous la régence turque. Après 1870, ce sont des juifs ashkénazes, d’Alsace Moselle, fuyant la souveraineté prussienne, qui les rejoignent.
C’est donc l’histoire de toutes ces influences, au fil des migrations, que Benjamin Stora évoque, dans cette présentation. Le statut de dhimmi, la protection des gens du Livre en terre d’Islam, s’applique aux juifs d’Afrique du Nord, avec des adaptations locales très diverses. Parfois discriminatoire, ce statut spécifique n’empêche pas que des juifs sont nommés dans de hautes fonctions de l’État.
Juifs d’Algérie – 1830 – Une nouvelle étape
Guerre d’Algérie – L’impossible commémoration
L’arrivée de la France, en 1830, constitue une grande métamorphose. Malgré quelques préjugés antisémites, forts présents au sein de l’armée de la conquête coloniale, surtout chez les officiers, les juifs sont considérés comme des auxiliaires précieux de la domination française en Algérie.
Le décret Crémieux, adopté au mois d’octobre 1870, donne juifs d’Algérie la nationalité française. Ils se séparent ainsi des autres « indigènes », abandonnent progressivement la langue arabe, et se voient entraînés sur la voie de l’assimilation républicaine.
La langue française se banalise au détriment du judéo-arabe, et devient un instrument d’intégration dans la société coloniale. Le port du vêtement « européen » modifie le visage de cette communauté.
C’est au tournant du siècle, sans doute dans le contexte de l’affaire Dreyfus, que l’on assiste en Algérie à la montée d’un antisémitisme nationaliste, centré sur l’abrogation du décret Crémieux.
Benjamin Stora évoque la banalisation des violences contre les juifs entre 1897 et 1898 dans les principales villes du pays, comme Alger, Sétif, Mascara. Le mouvement antisémite impulsé pendant l’affaire Dreyfus par Édouard Drumont obtient des résultats électoraux significatifs lors des élections municipales de Constantine et d’Oran. À l’exception de cette ville, les partis antisémites perdent de leur influence après la réhabilitation du capitaine Dreyfus en 1904.
Les musulmans d’Algérie restent à l’écart de cette flambée antisémite qui ne concerne que les Européens, y compris ceux issus de l’immigration italienne, maltaise et espagnole.
Par contre, avec la montée du nationalisme arabe et l’essor des mouvements qui coloniaux, des émeutes antijuives éclatent à Constantine, avec 28 morts le 5 août 1934.
Juifs d’Algérie de 1870 à 1940 – Le décret Crémieux
Pour la communauté juive d’Algérie, le deuxième tournant de cet exil intérieur est constitué par le choc de Vichy. Le décret Crémieux est aboli dès octobre 1940 et la législation antisémite appliquée avec zèle sous la férule de Maurice Weygand, délégué général du maréchal Pétain en Afrique du Nord. Des mesures d’aryanisation économique seront également prises le 15 décembre 1941.
Le 19 décembre 1940 il ne reste plus de juifs dans l’enseignement de la République, des écoliers sont chassés des écoles, des fonctionnaires exclus, des médecins et des avocats empêchaient de pratiquer ou d’exercer leur métier. Un programme de déportation avait été prévu, mais il est entravé par le débarquement allié de novembre 1942.
Le dernier exil de ces juifs d’Afrique du Nord s’est déroulé en 1962, et pendant la guerre d’Algérie les juifs se sentent dans leur ensemble français, même si à partir de 19154, un mouvement de départ vers Israël concerne 3000 émigrants. Frappés par des attentats organisés par le FLN, des juifs d’Algérie sont également touchés par les violences de l’OAS.
À partir de cette présentation générale qui montre comment les juifs, en moins d’un siècle, se sont « déplacés » plusieurs fois : hors de la tradition juive en terre d’Islam, hors de la communauté française de 1940 à 1943, hors de la terre Algérienne en 1962, Benjamin Stora feuillette pour nous un album d’images, avec ses souvenirs, ceux de sa famille, de cette Algérie qui fascinait les orientalistes. Images d’échoppes, avec ses petits métiers, comme les tailleurs juifs de Constantine, portraits de famille, avec ce passage entre le costume traditionnel à la tenue européenne, photographies de cérémonies également où les traditions se mélangent.
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Le document le plus terrible se trouve page 144, il reproduit la lettre manuscrite d’un élève daté du 9 janvier 1942. Elle est adressée au maréchal Pétain. Le tampon apposé est celui du commissariat général aux questions juives.
Histoire de l’Algérie XIXe – XXe siècle Benjamin Stora
C’était hier, en Algérie… Mais au-delà de la nostalgie, il y a aussi quelques vérités à rappeler. Le discours sur la « nostalgérie » n’y trouve pas sa place. Cette manipulation de l’histoire que l’on pratique régulièrement, particulièrement sur les rives de la Méditerranée, sur fond de « culture pied-noir », n’a rien à voir avec cette société métisse qu’il ne faut en aucun cas idéaliser, mais dont il convient de connaître les ressorts. C’est aussi cela faire de l’histoire, en donnant toute sa place, mais rien que la sienne, à la mémoire.
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