Vertières, un événement oublié en France, un épisode du roman national haïtien

Dans leur introduction, les auteurs tracent à grands traits les faits qui conduisent à la victoire de l’armée indigène sur les troupes de Bonaparte en novembre 1803, prélude à la proclamation de l’indépendance d’Haïti le premier janvier 1804.

L’ouvrage, outre la bataille, a pour sujet principal l’analyse des documents de « capitulation », « reddition » au lendemain de la bataille. En l’absence du document officiel, quatre versions existent et leur analyse permet de mieux comprendre les intérêts des divers protagonistes.

Les versions haïtiennes

On ne dispose que du récit épique qui contribue à la rédaction des manuels scolaires. Deux historiens haïtiens du XIXe siècle, Thomas Madiou et Beaubrun Ardouin ont établi des transcriptions de l’acte signé le 19 novembre 1803. Ils ont sans doute eu accès, sinon au document officiel remis à Jean-Jacques Dessalines et aujourd’hui perdu, à des témoins encore vivants d’un événement qui n’est, à l’époque, pas encore considéré comme l’événement important dans l’histoire haïtienne qu’il est devenu aujourd’hui. Les deux retranscriptions sont prochesLa transcription de Thomas Madiou est reproduite p. 24.

Les auteurs analysent les termes employés : capitulation, reddition et le délai laissé pour l’évacuation des troupes françaises. Des questions demeurent : pourquoi l’acte n’est-il signé par Rochambeau ? Quel est le rôle des Anglais ? Et la question de l’évacuation des colons qui souhaitent quitter l’île, qui sont invités à embarquer le 30 novembre.

La version des archives militaires de Vincennes

Il s’agit d’une transcription de l’acte, approuvé par RochambeauOn notera que ses biographies : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste-Donatien_de_Vimeur_de_Rochambeau ou https://armeehistoire.fr/rochambeau-resume/ n’évoque pas cet épisode, certes peu glorieux, de sacarrière et rédigé de mémoireReproduction p. 29  dont on ignore l’auteur, les conditions et la date de rédaction.

Les auteurs soumettent le texte à une analyse critique, classique. L’original a pu être conservé par les Anglais au moment de la capture de la flotte française quittant Haïti.

On note que le choix du terme d’ « armée indigène » pour désigner le vainqueur est une reconnaissance quand jusque là, on parlait de brigands.

La copie conforme

Reste un troisième documentReproduction p. 37-38 vendu aux enchères, issu d’un fond notarial qui est aujourd’hui l propriété de l’Association Haïti Patrimoine.

L’analyse critique du document montre la signature de Rochambeau quand les autres attribuent à Duveyrier et pose la question du sort des blessés et malades qui sera traitée plus longuement dans le dernier chapitre.

L’acte de capitulation franco-britannique

C’est l’occasion de détailler les conditions négociées par Rochambeau avec les Anglais qui font le blocus de la baie du Cap FrançaisAujourd’hui, Cap-Haitien, pour l’évacuation de ses troupes. On mesure le désir des Anglais de chasser les Français des Caraïbes et de s’emparer d’un butin, dans ce texte en date du 30 novembre 1803Reproduction p. 48-50.

La bataille de Vertières

Après l’étude des documents qui disent l’issue des combats, les auteurs reviennent sur les faits militaires, à savoir la bataille de Vertières. Ils proposent une description détaillée des combats autour de Cap Français en 1802 et 1803 qui opposent les troupes envoyées par Bonaparte pour lutter contre Toussaint LouvertureMémoires du général Toussaint Louverture commentées par Saint-Rémy (1853), Jacques de Cauna (Présentation), La Girandole, 2009. réédition auquel succède Jean-Jacques Dessalines après son arrestation et sa déportation au Fort de Joux.

Vertières : un passé sous silence du roman national français

Cet épisode peu glorieux a été, dès l’Empire, minimisé et oublié face à l’épopée napoléonienne. Les auteurs resituent les événements militaires dans le contexte du rétablissement de l’esclavage et de la concurrence coloniale entre Anglais et Français en Amérique.

C’est un conflit complexe puisque l’on rencontre des blancs, des esclaves, des métis, des noirs libres dans les deux camps. L’analyse de la politique de Bonaparte est sévère.

Le roman national haïtien

C’est un conflit inachevé, entaché par la mort des blessés et malades laissés par Rochambeau. Il est au cœur d’une mutation profonde de l’économie et de la société comme le montre les choix de Toussaint Louverture de maintenir l’économie de plantation après l’abolition de l’esclavage. La rédaction de la première constitution en 1801 demeure la première page du roman national. Les auteurs analysent les raisons diverses de la victoire de Dessalines :

« Dans cette alliance opportuniste, le gain était supérieur coté anglais, et la victoire haïtienne avait une douceur douce-amère : Dessalines dut accepter que la flotte française tombe aux mains anglaises privant ainsi le futur État d’un outil de puissance qui aurait pi être utilisé dans la cadre d’une politique d’expansion régionale. »citation p. 92

Un massacre aussi inutile qu’inéluctable

C’est le récit de Thomas Madiou qui sert de trame à ce constat : abandonnés par leur générale qui ne veut pas payer leur évacuation, malgré la promesse de Dessalines, ils furent massacrés, à la fin de cette guerre durant laquelle les massacres furent nombreux.

Les soldats embarqués le 30 novembre eurent un sort à peine meilleur.

Un climat de violence qui marquait la rupture totale avec la France.

Conclusion

« Vertières fait parti de la mémoire d’Haïti, mais pas de celle de la France. Ce paradoxe repose sur la perception différente des enjeux de la bataille. Pour les futurs Haïtiens, cette bataille s’inscrit dans le droit fil des luttes pour la libertéLa révolution des esclaves Haïti, 1763-1803, Bernard Gainot, Vendémiaire, Collection le temps de la guerre, 2016. Pour la partie française, il s’agit d’un reniement … »