Dès l’introduction l’auteure plonge le lecteur en 1473 sur les routes dangereuses du Duché de Bourgogne dans les pas d’un maître de la Chambre des comptes de Dijon, désireuse de mettre en lumière à la fois l’influence de la Bourgogne en Europe, le personnel ducal et les limites du contrôle du territoire. Elle pose la question centrale de son travail : Pourquoi le terme habituel d’État bourguignon est à discuter pour ces territoires soumis au Duc qui n’ont ni capitale, ni langue unique ni même un nom et dont le dénominateur commun réside en une forme d’union personnelle avec le prince puisqu’elle choisit le terme de principauté.
Les splendeurs de la cour de Bourgogne ou les limites de la communication symbolique
En présentant les moments forts : serments, Joyeuses Entrées.. . qui lient le prince et les villes des Flandres l’auteure montre la nature des relations de pouvoir entre le seigneur au sens médiéval et les villes à la recherche d’une autonomie. Les fêtes, comme un trompe-l’œil sont des instruments de propagande.
Elodie Lecuppre-Desjardin inscrit constamment sa recherche par rapport aux historiens des ducs de Bourgogne qui l’ont précédée cherchant les fondements d’un État dans un espace construit par acquisitions successives reconnues à la fois par le roi de France et par les populations locales lors des cérémonies de serment qui ont permis le maintien des privilèges locaux face aux institutions ducales qui se mettent en place progressivement.
Elle insiste sur la communication symbolique, la mise en scène du prince qui est en quelque sorte le ciment des États bourguignons néanmoins superficiel et fragile. Cette communication basée sur le luxe et le paraître est analysée de manière pointue en de nombreux exemples. L’affirmation du lignage est constante jusque sur les monuments flamands. La communication se décline en divers niveaux de propagande de la cour jusqu’au peuple.
Des nobles en manque d’amour et de reconnaissance
Dans ce second chapitre on s’interroge sur la loyauté des serviteurs du prince. De nombreux textes illustrent les querelles, les complots à la cour bourgogne aiguisés par la pratique des faveurs princières octroyées et disparues, les intérêts divergents selon l’origine des gens de cour, attachés à leur « pays » et courtisés par le roi de France.
Les très nombreux exemples qui appuient le raisonnement témoignent d’une bonne connaissance de la cour, en particulier sous Charles le Téméraire qui inspira beaucoup de craintes et montre l’imbrication chez ces serviteurs du prince des intérêts publics et privés.
Les grandes ambitions du Téméraire qui l’oppose au roi l’éloigne aussi de nombre de ses serviteurs attachés à l’ordre féodal.
Opportunisme et éthique en politiques
Un chapitre est consacré aux situations divergentes du Nord et du Sud des États. L’auteure analyse les ambiguïtés de la position bourguignonne tant dans les relations avec le roi de France qu’avec ses propres populations en particulier à l’occasion de la crise de 1405 et sur la question fiscale. Comment concilier un refus de l’impôt dans le royaume et une tentative inaboutie d’imposer un impôt régulier dans les villes flamandes ?
L’auteure analyse aussi la politique ambiguë de Philippe le Bon en 1459-1461 lors de ce qu’on nomme la grande Vauderie d’Arras. L’affaire des coquillards, brigandage et prostitution à Dijon qui donne lieu à un procès en 1454 démontre la versatilité ducale.
Les joyaux de la couronne
L’attachement à la France, malgré les différents, offre aux ducs puissance et prestige mais c’est aussi un handicap dans la quête de souveraineté.
L’auteure montre, dans l’attitude bourguignonne, les principes médiévaux : la Maison, la dynastie et la tentation de souveraineté, l’appartenance à la famille des Valois, le patrimoine et l’honneur. Elle met en lumière la force de la parenté dans les choix politiques en particulier en matière judiciaire.
La tentative de Charles le Téméraire d’un couronnement par l’empereur Frédéric III est une marque de l’affirmation d’une dynastie royale, également, perceptible dans les buffets d’apparat, les vêtements et les bijoux portés ; mais la couronne ne constitue pas un État : Bourgogne, Flandres : deux espaces distincts.
Réveillez-vous, Picars et Bourguignons !
En donnant au cinquième chapitre le titre d’une chanson médiévale, allusion à l’invasion française (1477-1482) l’auteure aborde la question militaire : la guerre aurait-elle pu être un élément fédérateur ?
Pourquoi un territoire régulièrement confronté à la guerre n’a pas réussi à se réunir face à un ennemi commun ?
En effet voilà des territoires ravagés par le passage et les exactions des troupes ou des soldats démobilisés lors des nombreux conflits (révoltes des villes contre le duc, guerre contre le roi de France ou l’empereur), qui sont victimes de conséquences néfastes et durables. Le sentiment d’insécurité explique la mise en place dans les villes de milices communales.
Si on en croit les déclarations ducales ces guerres sont pour l’honneur mais elles visent aussi à protéger le territoire et la sécurité économique des villes du nord, à conquérir un nouveau patrimoine. Des mobiles guerriers divers qui accentuent la pression fiscale et n’ont pas permis une adhésion des populations. La guerre n’a pas joué ici un rôle fédérateur face à un ennemi commun comme en France, en Angleterre ou en Espagne.
L’auteure décrit les moyens militaires mobilisés (armées, armement, organisation), leur évolution au cours du XVème siècle et le déroulement des conflits à partir d’événements comme le siège de Calais (1436) ou celui de Neuss (1474-75).
La figure et le nombre, réflexions sur la conscience du territoire
Si Charles le Téméraire a bien conscience de l’éparpillement de ses terres et cherche à les réunir en s’imposant en Lorraine, le territoire reste multipolaire. La vision lignagère qui a présidé à la conquête des territoires n’a pas débouché sur l’idée d’une communauté à rassembler. C’est plus une accumulation de droits qu’un espace défini par des frontières même si quelques représentations cartographiques existent tel le rouleau topographique de St Omer daté de 1470 dont une reproduction figure au centre de l’ouvrage. Ce chapitre permet de revenir à grand traits sur l’histoire des représentations de l’espace au Moyen age et pose le questionnement sémantique à propos du terme « pays».
Le prince à cette époque se représente l’espace avant tout comme la liste de ses titres de possession et par les armoiries.
Les États bourguignons sont multiformes, sans capitale malgré l’idée de Charles le Téméraire de faire de Nancy sa ville centre, un espace où on peut observer la concurrence entre les villes flamandes pour attirer la résidence ducale tout en défendant jalousement leurs privilèges.
Elodie Lecuppre-Desjardin pose la question de l’impossibilité de la construction d’un État face à des villes puissantes. La réponse est à chercher du côté du culturel, des idéologies antagonistes entre villes et duché.
La « burgondisation » ou le fantasme de la nation bourguignonne
La « burgondisation » ou le fantasme de la nation bourguignonne
Derrière ce terme, un peu barbare, il s’agit d’analyser la diffusion d’une culture de cour sur le reste de la population. Une « nation » bourguignonne a-t-elle existé ? Qu’en disent les historiens ?
L’auteure interroge les textes médiévaux en utilisant le questionnaire de Leyde questionnaire mis au point par un groupe de recherche créé en 2002 autour de Robert Stein et Wim Blockmand à Leyde
: langue, écriture historique commune, désignation d’ennemis communs.
Pour Elodie Lecuppre-Desjardin le duc de Bourgogne est un prince contractuel.
Une relecture de l’histoire bourguignonne à la fin du Moyen age, une grande connaissance des textes, une réflexion stimulante pour le lecteur.