Stéphane Gomis, professeur d’histoire moderne à l’université Blaise Pascal, a consacré sa thèse de doctorat au clergé paroissial (Les “Enfants-prêtres” des paroisses d’Auvergne, XVIe-XVIIIe siècles, Clermont-Ferrand, PUBP, 2006). Il dirige depuis 2013, le département d’histoire de l’Université Blaise-Pascal.
L’ouvrage se décompose en trois parties équilibrées :
La première partie porte la focale sur la carrière épiscopale de l’évêque Massillon et sur la prédication, c’est-à-dire l’action de parler publiquement des choses de Dieu. Il s’agit également de la pierre angulaire sur laquelle s’appuie l’Église catholique pour porter la parole du Christ au cœur des diocèses et des campagnes. On assiste aussi à l’émergence de nouvelles figures d’évêques affectés à de nouveaux diocèses.
Une seconde partie axée sur des personnalités pittoresques prouvent que le corps épiscopal n’est pas aussi hétérogène qu’il veut bien le laisser paraître. Ainsi en est-il de François-Gaspard de Jouffroy-Gonsans (1721-1799), réformateur zélé, de Mgr Biord, évêque de Genève-Annecy, prélat atypique des Lumières ; puis d’un archevêque doux et intransigeant : Mgr de Maniban qui s’échine à lutter avec énergie contre le jansénisme de manière implacable. Nous découvrons aussi un chapitre intéressant sur l’histoire du Missel de Troyes où les aspects politico-ecclésiologiques concernant une querelle liturgique, puis, nous faisons un détours au royaume du Portugal avec un prélat mystique et réformateur en conflit avec son chapitre cathédral et l’Inquisition : D. Inácio de Santa Teresa, évêque d’Algarve (1741-1751). Enfin, retour en France avec la figure d’Adrien Lamourette, un évêque qui s’inscrit de plain-pied dans Révolution française.
Enfin, une dernière partie est consacrée à la construction de la biographie de Jean-Baptiste Massillon (1663 – 1742).
Ce livre est donc le fruit d’une étude novatrice sur le haut-clergé du siècle des Lumières. Les auteurs ont souhaité considérer les prélats non seulement au regard de leurs activités d’administrateurs, mais également à travers leurs charges spirituelles comme pasteurs et prédicateurs. Leurs auteurs ont largement choisi de rompre avec les clivages ou les images trop simples tels qu’évêques-pasteurs contre évêques-administrateurs, jansénistes contre antijansénistes. Les questions thématiques comme la politique culturelle des évêques, les conceptions du culte, la gestion du clergé, les relations entretenues avec les cercles dirigeants, les réceptions des idéaux des Lumières ont donc été prise en compte pour dresser, le plus précisément possible, la figure de ce haut-clergé à travers le prisme d’une société en pleine ébullition.
Pour en arriver à ce résultat, il est évident qu’une nouvelle forme de l’étude de l’épiscopat émerge aujourd’hui. L’histoire culturelle n’y pas étrangère, de même la façon dont est menée l’enquête historique. Sont pris en compte les soubassements culturels de ces hommes, leur spiritualité et leur activité. On cherche donc à dresser un portrait-robot de ces évêques, qu’il s’agisse de leur appartenance sociale, de leur style de vie, de leur façon de diriger leur diocèse ou, encore de leurs réseaux d’influence. Ce qui permet de corréler au maximum ces indices et de repérer, au final, ce qui est partagé par tout le groupe. Au final, la démarche historique s’apparente à de la prosoprographie puisqu’il ne serait d’aucun intérêt d’afficher une galerie de portrait sans lien entre les protagonistes. L’ouvrage présenté par ce collectif d’historiens permet ainsi de renouveler en profondeur les données récoltées sur cet épiscopat du XVIIIe siècle. Ce siècle offre également des sources nombreuses ce qui n’est pas négligeable si l’on souhaite s’approcher au maximum de la véracité historique. On retrouve bien entendu les traditionnels procès-verbaux de visites des évêques dans leurs diocèses mais, au lieu de se limiter à une étude sérielle et quantitative, les auteurs ont cherché à connaître le mode de gouvernance des prélats et la façon de l’appliquer. De même, la production législative des évêques est abordée et, grâce à l’apport des juristes, les ordonnances synodales durablement écartées par l’historiographie, émergent de nouveau. Les mandements, textes émis par les évêques pour une circonstance particulière, renseignent sur la façon dont la pastorale est pratiquée. Enfin, d’autres sources comme la correspondance des évêques eux-mêmes ou la presse naissante de ce siècle fournissent des détails sur la personnalité de ce haut-clergé.
Les chercheurs ont également abordé d’autres angles d’études, notamment celui des cultes. Le concile de Trente avait insisté sur la décence des cérémonies ainsi qu’une meilleure lisibilité pour la population afin de comprendre le message du Christ. Or, au fur et à mesure que s’écoule le XVIIIe siècle, les historiens se sont sont aperçus d’une progressive contestation des évêques par rapport à ce qui est considéré comme une pratique étrangère. Le clergé français considère que la piété doit être avant tout intime et non pas axée sur un quelconque spectacle. Chaque évêque procède alors, par touches successives, à ses propres apports culturel dans son diocèse, tant au niveau de la liturgie ou de la musique lors de la messe. Il reste donc beaucoup à faire pour comprendre de façon fine ce néogallicanisme qui s’apparente plus à la défense de l’épiscopat qu’à une lutte contre le jansénisme. La réforme du missel de Troyes, par exemple, étudiée par Olivier Andurand le prouve. En pratique, les évêques confient aux chanoines la mise à jour de leurs livres liturgiques. Cette pratique sous-tend les rapports parfois tendus avec le chapitre cathédral, défenseur des usages et des traditions. Ce dernier tente, ainsi, d’enrayer la perte de ses prérogatives amorcée depuis le début de l’époque moderne.
De plus, la gestion du clergé par les évêques représente une autre thématique intéressante. La formation des curés semble une préoccupation constante du haut-clergé, avec l’ouverture de séminaires dans les diocèses. Ils s’attachent aussi à la qualité de vie de leurs subordonnés et au contenu de l’enseignement dispensé. Cette volonté est le résultat de de la nomination à la tête des paroisses de pasteurs compétents et cultivés. Les prélats cherchent aussi à faire du concours la règle générale pour le recrutement des curés. Ce principe, posé par le concile de Trente, est ainsi réactivé dans la seconde moitié du siècle des Lumières qui estime que les charges soient attribuées désormais au mérité. Enfin, en arrière-plan, les évêques ne perdent pas de vue le lien hiérarchique qui leur octroie le droit de commander à leurs curés. L’image que nous avons du haut-clergé reste accolée à celle de personnages imbus de leur toute puissance, fondé sur une écclésiologie imposante. S’il ne fait aucun doute sur l’attitude de profonde condescendance dont ont fait preuve certains évêques, la majeure partie apparaît comme bienveillante vis-à-vis des prêtes. Ces derniers apparaissant, alors, comme de véritables collaborateurs à part entière.
La personnalité des évêques entre aussi en jeu. Tous les titulaires d’un siège épiscopal se considèrent comme époux de leur Église, qui s’inscrit dans une lignée qui court, sans interruption, depuis l’implantation du christianisme dans le pays. La figure du pasteur, intègre, honnête, dur au travail semble prédominer alors qu’il faudrait y ajouter plus fortement celle de l’administrateur et gestionnaire de son patrimoine. Il faut également compter sur les liens qu’entretiennent les évêques avec les autorités ou cercles dirigeants. Leurs liens avec la monarchie est évident puisque, directement nommés par le roi. Ils sont les garants d’un ordre politique et social. Leurs réseaux d’influence, parfois avec l’étranger, représentent une nouvelle piste de travail. L’étude d’Arnaud Pertuiset sur les relations entretenues avec la Cour du Piémont et l’échange fréquente de lettres de par Monseigneur Biord, prélat savoyard, est clair à ce sujet. Il faut également prendre en compte la question géographique des diocèses, plus ou moins éloignés de la capitale ou des réseaux de communications. Leur tailles, leurs richesses influent donc forcément sur le rayonnement des prélats.
Reste en dernier lieu la complexe question de la réception des idéaux des Lumières par les évêques. Nombre de documents attestent la bonne administration des diocèses et traduisent, selon les idées alors en vogue, une quête de rationalité et d’efficacité. Autre thème abordé, celui de la charité qui commence à se répandre et dont les objectifs rejoignent ceux de la bienfaisance, comme des bourses pour écoliers nécessiteux. Ces initiatives ont vocation à rester pérenne et institutionnelle, notamment comme la construction d’hôpitaux. Sur la question religieuse, les idées et la pastorale répandues par les prélats correspondent à l’idée d’une piété raisonnable, et ce, dans le sillage de la lutte contre toutes les superstitions engagées dès les 1670. Pour autant, la religion appelle aussi à une adhésion personnelle, une sorte de recueillement intime. A cet effet, le culte public est prisé, tout évitant un quelconque spectacle ostentatoire. Cette nouvelle donne religieuse vise aussi à combattre les idées jansénistes, sèches et mortifères, donc sans avenir.
Cet ouvrage collectif vient éclairer de façon précise la figure des évêques des Lumières, administrateurs, pasteurs et prédicateurs, fer de lance de la monarchie. Une étude essentielle pour bien appréhender un haut-clergé qui opère sa mue en douceur avant le choc de la Révolution à venir.
Bertrand Lamon