Derrière ce titre accrocheur se cache un livre tout à fait sérieux. Sur le même modèle que le livre précédent de Gilles DELLUC (La nutrition préhistorique), les éditions périgourdines Pilote 24 publient une histoire de la sexualité d’hier à aujourd’hui. Car, que l’on ne s’y trompe pas, la manière de faire l’amour aujourd’hui n’est pas si différente celle des Cro – Magnons. En fait, il faut comprendre le titre de l’ouvrage au sens large : c’est à dire la vie des hommes et les femmes de Cro – Magnons.

Gilles DELLUC est préhistorien, médecin des hôpitaux, spécialiste de médecine interne et de nutrition. Son épouse, Brigitte DELLUC, est, elle aussi, docteur en préhistoire et travaille dans le département de préhistoire du Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris. Le sexe au temps des Cro – Magnons est d’une lecture aisée. Il permet de retracer la vie quotidienne au Paléolithique tout en prenant en compte les données de la science préhistorique et celles de la physiologie et de la médecine.

L’invention de la sexualité :
Tout a commencé avec l’invention de la sexualité, il y a un milliard d’années. Désormais, on va pouvoir se reproduire sans avoir besoin de se diviser. La sexualité, c’est le fait, pour une espèce d’avoir des mâles et des femelles qui marient leurs gamètes pour former des œufs. A la différence de nombreux mammifères, l’activité sexuelle de l’Homme est permanente ou du moins non périodique. C’est l’une des raisons qui lui donne toute son importance dans la vie de tous les jours. La position bipède a des conséquences sur la sexualité des hommes. On parle alors de verticalisation de la sexualité, celle-ci a pour impact de rendre plus difficile l’accouchement.

Les sources disponibles :
Pour étudier le sujet, le chercheur dispose essentiellement de matériaux archéologiques (habitat, grottes décorées, mobiliers, outils, armes…) et a recours à l’anthropologie et à l’ethnographie. C’est seulement avec Cro – Magnon (il y a environ 30 000 ans) que l’on peut en savoir un peu plus sur les pratiques sexuelles de nos ancêtres grâce aux peintures que ces derniers ont réalisé. Toutefois, il faut beaucoup de perspicacité et avoir l’œil averti pour être capable d’identifier les sexes des personnages ! Par ailleurs, il faut veiller à ne pas projeter nos propres images mentales sur la vie des hommes préhistoriques.

La division sexuelle des tâches :
Il semble qu’elle soit propre aux humains : à l’homme, la chasse ; à la femme, la cueillette, les soins liés à la famille et à l’habitat. Cette répartition n’existe pas chez les singes. On peut constater ce partage des tâches sur les représentations pariétales où la chasse prédomine aux dépens de la cueillette et des tâches féminines. Déjà, le travail de l’homme était mieux rémunéré que celui de la femme, moins visible !
Isabelle ECUYER-DAB (Université de Montréal, 2004) voit dans cette répartition sexuée des tâches l’origine des différences constatées (sic) entre l’homme et la femme au niveau du sens de l’orientation et de la projection des formes dans l’espace. Si l’homme moderne sait, soit disant ( !), mieux s’orienter que la femme, cela remonterait aux mobilités, liées aux pratiques de chasse de nos ancêtres. Pour G. DELLUC, la division sexuelle du travail est à rapprocher des productions hormonales propres à chaque sexe.

La famille Cro – Magnon :
On sait très peu de choses sur le caractère solide ou éphémère des familles nucléaires. La structure nucléaire se serait cristallisée avec la sédentarisation. C. LEVI – STRAUSS (1958) a montré que l’échange des jeunes géniteurs d’un groupe à l’autre (constaté chez les primates) permet l’évitement de l’inceste. De tels échanges ont permis de répandre peu à peu des procédés technologiques, des matériaux, des styles et des habitudes alimentaires. Le soin accordé aux sépultures (importance des parements présents sur les corps) montre un attachement au défunt, qui peut, peut être, être apparenté à de l’amour.

Le sexe et les images :
Les humains sont finalement peu représentés sur les parois. Ils le sont plus sur des objets gravés. La plupart des humains sont représentés nus, moins par souci d’érotisme de l’artiste que pour exprimer l’identité d’humain, homme ou femme. Les attributs sexuels sont mis en avant pour distinguer homme et femme : sexe en érection, seins, fesses rebondies, pubis. Phallus et vulve peuvent être représentés de manière isolée. Les femmes sont représentées, présentant une obésité dite gynoïde mettant en avant leur statut de mère (grossesses répétées, allaitements prolongés). Voir la célèbre Vénus de Willendorf (Tchéquie).
Les représentations de plusieurs humains sont rares, celles de couples en plein acte sexuel, encore plus. Les reproductions (nombreuses dans l’ouvrage) des scènes laissent perplexes et il faut bien toute l’imagination des préhistoriens (bien souvent ecclésiastiques, par ailleurs) pour y voir des scènes de coïts. Toutefois, l’Abbé Henri BREUIL préfère désigner la scène sous la formule : « C’est un certificat de mariage. » (1960). André LEROI – GOURHAN (1965) voit dans la même scène deux bisons !
Les préhistoriens du XIXème comme du XXème siècle se sont interrogés sur la signification des représentations figurées observées. Ils y ont vu de la sorcellerie, du chamanisme (Abbé GLORY. Les religions de la Préhistoire. 1964). André LEROI – GOURHAN (Préhistoire de l’art occidental. 1965) montre que les religions préhistoriques ne font apparaître la sexualité ni en négatif, ni en positif.

Le style de ce livre est léger, très facile à lire. L’auteur aime à manier notre langue et à faire de bons jeux de mots. Le lecteur se régalera des notes de bas de page, objets, le plus souvent, de réflexions annexes, décalées et amusantes.
Toutefois, je dois reconnaître que j’ai eu du mal à suivre le plan du livre et à comprendre la place de certains chapitres, y compris dans une vision large du sujet (exemple : la représentation de l’homme préhistorique dans la littérature, la sculpture et le cinéma). Une impression de supercherie (par rapport au titre de l’ouvrage) l’emporte à la lecture de la description de l’armement du Cro – Magnon. Gilles DELLUC a cédé à l’appel commercial : c’est bien connu, le sexe fait vendre ! Il aurait été plus honnête d’intituler l’ouvrage : La vie au temps des Cro – Magnons, titre moins accrocheur, je le concède.
Quoi qu’il en soit, c’est un livre très intéressant, à conseiller aux enseignants de collège. L’enseignement de la révolution néolithique, présent au programme d’histoire de sixième, y gagnera en qualité. Connaître la vie au Paléolithique doit permettre de mieux comprendre l’impact de l’invention de l’agriculture et de l’élevage et de balayer certaines idées reçues. Pour cela, la lecture du chapitre La fin des chasseurs – cueilleurs est à conseiller.

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