Fabrice Mouthon propose une interrogation sur les rapports homme-nature au Moyen Âge grâce aux nouvelles approches nées de la confrontation des textes médiévaux, des sciences paléo-environnementales et de l’archéologie, une histoire environnementale née dans les années 60-70.
C’est aux XIIe et XIIIe siècles que naît une idée moderne de la nature, l’auteur défend l’existence de rapports complexes et en évolution entre fascination pour une nature, œuvre divine, et volonté de contrôle, d’aménagement.

La place de l’homme dans la nature

Pour certains historiens le christianisme serait à l’origine de la rupture entre l’homme occidental et la nature mais quelles étaient les perceptions des hommes du Moyen Âge.

Après une évocation de ce que l’on peut connaître de la conception de la nature depuis la préhistoire, l’auteur note une première rupture au néolithique quand l’homme commence à différencier son domaine propre, « ager » et « saltus » romains, de la forêt,« silva » la nature sauvage domaine des mythes. Dès l’antiquité il note une pensée rationaliste de la nature avant de développer les visions entre le Ve et le Xe siècle : une nature au service des hommes et une conception plus respectueuse de la création divine.
À partir du XIe siècle s’ouvre une période de défrichements durant laquelle les ordres religieux, cisterciens, franciscains, définissent leur rapport à Dieu et à la nature avant que les épidémies et catastrophes du bas Moyen Âge, résultat de la colère divine, entraînent le recul de l’emprise humaine et un retour de l’irrationnel.

Malgré la christianisation l’auteur montre des populations médiévales encore très proches de la mythologie avec une personnalisation des éléments naturels et des cultes naturalistes païens que l’Eglise, faute de les combattre, choisit de les réinterprétés comme le solstice d’hiver en nativité.
Une image semble récurrente au Moyen Âge celle de l’homme sauvage (enfant enlevé par des animaux, loup-garou) que l’on retrouve dans de nombreux textes. Analysant les chansons de geste l’auteur évoque par exemple les relations mythiques entre la famille de Lusignan et Mélusine. Les textes concernant la chasse sont également très intéressants pour comprendre la relation homme-nature.
À la fin du Moyen Âge une vision plus rationnelle du monde s’étend dans les élites, elle conduit à l’exploration du monde comme la première ascension du Mont Aiguille en 1492. La lecture des auteurs antiques amène à une étude pour comprendre les lois de la nature (Roger Bacon, Jean Beridan…), à la naissance de l’alchimie, à la rédaction de traités des simples ou d’agronomie. L’auteur résume ce nouveau regard : la nature sauvage doit être domestiquée mais non dilapidée. Les peintres participent aussi de ces nouvelles descriptions même s’il faut attendre le XVe siècle pour une reproduction du réel.

Au chapitre quatre, Sous la loi de Malthus ? Fabrice Mouthon aborde deux conceptions antagonistes face à l’incertitude du lendemain : la doctrine chrétienne du libre arbitre et la pensée déterministe antique. Il analyse la question du nombre des hommes et l’évolution de la démographie médiévale, l’explication malthusienne de la crise du bas Moyen Âge et la contestation de cette explication notamment grâce aux travaux récentsprogramme de recherche : Conjecture de 1300 en Méditerranée occidentale.

Un paragraphe est consacré aux bactéries et virus (peste, feu de St Antoine) avant d’aborder au chapitre cinq les variations climatiques et le rôle de l’homme dès les périodes anciennes comme le montre le travail des paléoclimatologues.
La connaissance du climat médiévalP. Alexandre : l’homme et le climat en Europe au Moyen Âge
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1987
permet de déterminer une période froide (IVe – IXe s ;), un optimum (IXe – XIIIe s.) et un retour du froid (XIVe – XVe s.), données connues grâce aux nombreux témoignages textuels, à la dendrochronologie comme le montrait déjà en 1967 Emmanuel Leroy LadurieHistoire du climat depuis l’an mil, Paris, Flammarion et aujourd’hui à l’analyse des carottes glaciaires. L’auteur montre ensuite les effets des variations sur les récoltes, sur l’occupation des hautes vallées alpines (p. 83) alors que les contemporains expliquent ces phénomènes soit en relisant les auteurs antiques soit en invoquant une punition divine comme le montrent les récits-catastrophesécroulement du Mont Granier, bien connu de l’auteur enseignant chercheur à l’Université de Savoie. Face à ces dangers les hommes du Moyen Âge semblent impuissants mais à la recherche de solutions : forêts de protection du Briançonnais, politique de contrôle des eaux de la République de Venise.

Mettre les ressources de nature au service de la culture

L’homme médiéval exploite les ressources de l’environnement avec de plus en plus d’ingéniosité en particulier pour tirer de sol sa subsistance. Le chapitre 6 est d’abord consacré à la question énergétique, force humaine et animale, solaire par la production du bois, vent et eau pour les moulins avec plus d’efficacité qu’à l’époque romaine. Pour l’agriculture l’auteur pose la question du maintien de la fertilité des sols dans la monde médiéval. Il explique le choix du pain comme symbole religieux. Il rappelle les progrès en matière de rendement et consacre un développement à l’importance du jardin, écosystème artificiel et domaine féminin. Les simples, condiments et médicaments ont un rôle important dans la société médiévale comme le vignoble très répandu tant pour le culte que pour la boisson.
L’auteur aborde ensuite l’élevage de l’abeille au gros bétail.

Un autre aspect de l’exploitation des ressources est abordé avec les activités de transformation tant à la campagne qu’à la ville. L’auteur dresse un tableau des ressources et de leurs utilisations : le bois pour la construction, comme source d’énergie avec un éloignement progressif des massifs à exploiter pour l’alimentation des villes, le textile et les cultures associées, la pierre et les métaux dont l’exploitation est aujourd’hui mieux connue d’après les recheches récentes, le sel, l’argile ou encore le sable pour la verrerie.

Dès le Moyen Âge se pose la question des droits de la nature quand la possession fonde le droit, une conception légale qui découle du droit romain. Fabrice Mouthon revient sur la division « ager », « saltus », « silva ». Il aborde les procès faits aux animaux qui bien que rares disent le rapport à la nature et son évolution comme le montrent les travaux de Catherine Chêne. À partir d’un exemple savoyard, l’auteur interroge les droits de l’exploitation agricole (seigneur, famille, communauté), droits de propriété, droits d’usage, biens communs. Il présente des exemples d’ententes collaboratives liées à l’eau.

Le défi de Prométhée

L’anthropisation des espaces marque ce que l’auteur nomme les « trois cents glorieuses » à partir du XIe siècle en relation avec l’essor démographique. Il décrit les étapes de cette évolution et comment elle détermine les paysages actuels, en particulier la maîtrise des eaux (marais, polders).

Peut-on parler comme certains auteurs de crise anthropoclimatique ? La nature fut-elle sauvée par la peste ?
L’auteur propose des interrogations en phase avec les questions contemporaines de l’écologie.

C’est aussi une époque où le pouvoir religieux soutient l’innovation technique (chapitre 10) en agriculture, dans l’artisanat. L’auteur reprend le questionnement sur la révolution agricole du XIIe siècle : jachère, développement de la vigne, irrigation, élevage y compris des poissons, développement des moulins longuement analysé.

Partant de textes de Thomas d’Aquin sur la nature don de Dieu qu’il convient de ne pas dilapider l’auteur se demande si on peut au Moyen Âge parler d’une prise de conscience d’un monde fini ?
Il recherche les éléments où s’exprime une vision éthique de la responsabilité de l’homme envers la nature. Quel a pu être le degré de conscience des hommes du Moyen Âge ?
Quelle perception des pollutions et nuisances diverses mais aussi de la surexploitation des ressources : gibier, poissons, bois ? Comment la lente mais réelle mise en place d’un code forestier nous renseigne sur cette perception ? Ces exemples montrent un souci de préservation de l’environnement au niveau local puis sur des espaces plus larges.
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Cet ouvrage qui intègre les recherches récentes, s’appuie sur de nombreux exemples permet à l’auteur de réinterroger l’histoire médiévale à partir des questions écologiques actuelles.