Sébastien Nadot, déjà auteur de « Rompez les lances » chez Autrement en 2010, propose ici une synthèse qui est en réalité l’adaptation de sa thèse. Un des axes essentiels de sa recherche est de démontrer que le sport n’est pas réapparu au XIXème siècle après une éclipse depuis l’Antiquité, mais qu’on peut le faire remonter au Moyen-Age et aux tournois.

Après une préface d’Adeline Rucquoi, l’ouvrage est organisé en trois parties, chacune d’elles conclue par un texte de synthèse. Un petit cahier central rassemble quelques éléments iconographiques. De multiples sous-titres aident à suivre le raisonnement de l’auteur organisé par ailleurs en huit chapitres. Un index des principaux personnages, des extraits d’époque appuient les raisonnements de l’auteur.

Les joutes : un pluriel qui se justifie

Voulant insérer les tournois dans l’histoire du sport, l’auteur entame chaque partie par un texte général sur cet aspect comme élément du sport.
Sébastien Nadot entend montrer à travers ses travaux que ce qu’on dénomme joutes révèle en réalité des pratiques aux dimensions multiples. Dans les textes de l’époque médiévale, on trouve différents termes comme joutes, pas d’armes ou emprises d’armes. Ce ne sont pas moins de vingt termes différents que l’on peut relever. On pourra noter par exemple que les emprises d’armes reposent sur un duel, au contraire des pas qui s’organisent autour d’une succession d’affrontements à un contre un. L’époque étudiée correspond au XVe siècle et l’espace est celui de l’Europe, ou du moins les grandes puissances d’alors.

Une pratique physique

Le tour d’horizon des joutes commence par un inventaire du matériel. A travers ce chapitre, Sébastien Nadot montre de suite combien il est question de bien plus que de matériel. En une cinquantaine de pages, on aborde la question des armures, montures et autres façons de combattre. Les armures de joutes pouvaient atteindre 80 kilogrammes, là où une armure de guerre n’en pesait que 30 ! Une lance pesait environ 15 kilogrammes.
On découvre ensuite combien les règles étaient différentes selon le type d’armes utilisé. A chaque fois sont présentés les règlements et objectifs ainsi que les techniques et stratégies utilisées. Ensuite, on se rend bien compte que jouter n’était pas de tout repos et les durées pouvaient énormément varier. On a de plus en plus une pratique codifiée « ce qui rapproche les pas d’armes des activités sportives actuelles ».

Un spectacle total

On change ensuite d’échelle pour envisager « l’internationale chevaleresque », car tel est bien le terme qui convient. Quelques cartes et itinéraires de personnages le prouvent comme celui de Pedro Vasquez de Saavedra. On a parfois affaire à de véritables familles de jouteurs comme les Lalaing.  » Les pas sont à la fois à l’origine d’échanges, moments d’échanges et aboutissement d’échanges ».
Le chapitre V aborde la splendeur des joutes, ce qui permet de se rendre compte de la réalité de ce qui a souvent été fantasmé dans les films. Plusieurs exemples sont abordés assortis parfois d’un schéma. Il faut disposer en tout cas d’une grande place pour qu’un tel événement puisse se dérouler. Comme il s’agit d’un spectacle, une attention particulière était portée aux habits. Ceux-ci constituaient même un véritable langage, pas facilement déchiffrable aujourd’hui. On découvre aussi que les pas d’armes s’inséraient dans toute une mise en scène. Tout cela aboutit au portrait du champion comme chevalier idéal.

Des enjeux économiques et politiques

Sébastien Nadot aborde enfin la question économique. Cette partie est la plus rapide de l’ouvrage. L’auteur rappelle qu’il faut des mécènes pour organiser de telles réunions. Il faut monter les lices et des tribunes ce qui nécessite une main d’œuvre importante. Pour les combattants, les rétributions peuvent s’effectuer en nature, sous forme de vêtements de soie. Mais il existe aussi toute une logique de réseau en liaison avec des princes. En tout cas certains organisateurs sont des professionnels car ils vivent de ces fêtes chevaleresques. L’ouvrage se termine par une approche du concept de violence et de sa maitrise.

Au terme de ce livre, de nombreuses dimensions ont été abordées, des plus pratiques aux plus théoriques. Partant de la taille des lances, on aboutit à une mise en perspective sur les réseaux entre puissants. La volonté de relire ces épreuves au prisme du sport aboutit à une double remise en perspective, à la fois sur les joutes médiévales, mais aussi sur le sport qu’on a peut-être trop habituellement lié à la fin du XIX ème siècle.

© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.