L’ouvrage présenté par les Presses Universitaires François Rabelais de Tours est le fruit du programme de recherche DIVIN (Définitions interdisciplinaires vitivinicoles) soutenu par le CNRS. Ce programme a d’abord amorcé une recherche alimentée par des travaux d’étudiants et des tables rondes. Ces premières actions ont permis d’identifier un focus thématique et de construire un consortium composé de géographes, pédologues, écologues, biologistes, sociologues, ethnologues, informaticiens, économistes, chercheurs en communication et juristes, mais aussi de professionnels du monde viticole et de vignerons. Concernant le focus thématique, le présent ouvrage rend compte de la diversité des sens du mot « terroir » selon la discipline. Ainsi, les directeurs du livre ont-ils souhaité décliner la thématique du terroir sur le plan paysager, sous un angle historique et géographique (partie 1), sur le plan normé, sous un angle plus biologique (partie 2), sur le plan transitoire, sous l’angle économique (partie 3), ethnologique et sociologique (partie 4) et sur le plan culturel, sous l’angle linguistique et artistique (partie 5). Pour les géographes, le terroir est « une étendue de terrain présentant certains caractères qui l’individualisent au point de vue agronomique » (Lebeau, 1995). L’ouvrage questionne la notion de terroir viticole par l’entrée qualitative. C’est cette entrée qui est choisie pour classer un vin, à travers ses fondements patrimoniaux, naturels et culturels.
En France, l’INAO définit le terroir comme un « espace géographique délimité, dans lequel une communauté humaine a construit au cours de son histoire un savoir collectif de production ». En Bourgogne, les viticulteurs ont créé une norme de référence de la qualité des vins par le lieu à partir du XVIIe siècle. Ces lieux particuliers étaient alors nommés les « climats » jusqu’au XIXe siècle. Si le terrouer se réfère alors à l’ensemble des terres d’usage d’une communauté situées et centrées autour d’une ville ou d’un village ; le climat est un espace entre les villages, non habité et sans référence à un pôle d’agglomération centrale. Le terroir constitue donc un construit historique, un objet sans cesse redéfini par une histoire traversée de ruptures, de mutations, de crises économiques et de débats culturels.
Les terroirs viticoles d’AOC ne relèvent finalement pas, en France, d’un processus uniforme. Amélie Robert s’appuie sur l’exemple de l’AOC Bourgueil qui, située à l’ouest de la Touraine, existe depuis 1937. Sa création est contemporaine de celui du vignoble voisin, l’AOC Saint-Nicolas de Bourgueil. Dans les deux cas, il s’agit de vin rouge produit à partir du même cépage, le cabernet franc. La distinction entre les deux terroirs est le fruit d’un arrangement entre le maire de Bourgueil et une personnalité de Saint-Nicolas de Bourgueil qui aurait renoncé à se présenter pour un mandat de conseiller général en échange de la reconnaissance de l’AOC Saint-Nicolas.
Depuis les années 1990, un nouveau modèle de viticulture s’est mis en place, reposant sur des vins de cépage, proposés par des entreprises puissantes et internationales. Pour faire face à cette concurrence, certains viticulteurs français ont mis en avant non plus seulement la qualité mais aussi et surtout le terroir. Le terroir devient donc une association entre un territoire, un ou plusieurs cépages et un savoir-faire. Jean-Pierre Garcia et Olivier Jacquet affirment que depuis la fin des années 1990, le terroir est devenu un objet de promotion commerciale des vignobles. Il est la représentation de leur ancrage dans l’histoire vécue comme un élément d’immuabilité.
Or, le concept actuel de « terroir » est une construction culturelle, dont l’élaboration progressive doit nous faire prendre conscience de son caractère changeant, paradoxal et subjectif. Au sens premier, le territorium est l’espace sur lequel s’exerce la terror qu’inspirent les magistrats dans l’exercice de leur pouvoir. Au Moyen-âge, le mot terrouer est systématiquement employé dans les actes juridiques pour désigner un espace agricole dominé par un groupe d’exploitants. Jean Rosen, dans son article, revient sur le sens ancien de l’expression goût du terroir. Cette notion apparaît à partir de 1549 à propos de la dégustation du vin : les produits montrant un goût de terroir sont disqualifiés et dévalorisés. L’auteur montre que ce goût de terroir sera réhabilité en 1682 dans un ouvrage du père Dorothée de Saint-René, Les Plaisirs de la vie spirituelle, ouvrage remply de vies illustres. Dans ce cas, il s’agit de répondre à une crise identitaire par l’affirmation d’une attache à des pratiques ancestrales et à l’enracinement historique, géographique et culturel d’un peuple. Le sens premier du terme terrouer s’en trouve alors dévoyé.
Comme le conclut l’historien Pascal Taranto, le « terroir » est une notion spécifiquement française et d’abord liée exclusivement au monde du vin (p.353).Les différents travaux de cet ouvrage le montrent, le terroir est un construit. Il n’est pas la reconnaissance et la protection d’un état de fait immémorial, intemporel et permanent. En effet, c’est pour lutter contre la fraude que le système des AOC a été créé.
L’ouvrage présenté témoigne d’un travail long et véritablement pluridisciplinaire. On appréciera le souci constant des directeurs de faire régulièrement des présentations de chacune des parties pour replacer l’objectif de la partie dans l’objectif initial et de synthétiser l’esprit des différents articles qui composent chacune de ces parties. Le seul reproche majeur que l’on pourrait faire à cet ouvrage est finalement celui que l’on rencontre très souvent dans ce genre d’actes : les trop nombreuses répétitions. Ainsi, en est-il de la définition de terroir par l’INAO ou par les géographes, ainsi en est-il également de références certes incontournables.