« Toute frontière, comme médicament, est remède et poison. Et donc affaire de dosage. » Régis Debray

La deuxième édition de cet ouvrage de référence a obtenu le prix de la Société de géographie. Bruno Tertrais et Delphine Papin l’ont modifié et mis à jour en fonction de l’actualité récente : la thématique des frontières continue d’être un sujet brûlant.

Les conflits frontaliers sont les symptômes de l’histoire mouvementée des hommes. L’ambition reste de raconter le monde par le prisme des frontières qui s’avèrent être le baromètre des rapports de forces internationaux, à travers la question de la pandémie, du terrorisme, des migrations, du nationalisme. La cartographie actuelle mondiale s’est forgée souvent avec des conflits entre états, même si la plupart des frontières terrestres sont maintenant plutôt pacifiques.

Cet Atlas se compose de cinq parties accompagnées de plans et de cartes à différentes échelles : après une introduction, une série de doubles pages (59 au total) apporte un éclairage précis sur un thème ciblé en fonction du chapitre, avec des études de cas. Le choix d’infographies (visuels, textes, croquis) en forme d’hexagone ponctuent agréablement l’ouvrage, très aéré et agréable à lire.

Introduction : le grand retour des frontières

Terrestre ou maritime, une frontière est une limite géographique, ligne ou espace, dont le tracé reflète les relations entre deux groupes humains, selon Michel Foucher, « du temps inscrit dans l’espace ». L’horogènèse des frontières s’est souvent effectuée dans le sang. Une centaine d’États ont été délimités par la guerre. Les frontières maritimes sont définies en fonction de la géologie (plateau continental) et l’hydrologie. 55 % sont dites naturelles. Les frontières artificielles peuvent être à l’inverse, simples, légitimes, plus paisibles.

Selon Michel Foucher, il n’y a pas de bonne frontière dans l’absolu mais des frontières réelles reconnues de part et d’autres comme légitimes et qui présentent des avantages, politiques, stratégiques et économiques à un moment historique donné.

1) Frontières en héritage

Chargées d’histoire, leurs tracés ne cessent de se modifier. Ce chapitre présente l’élaboration du dessin des frontières à l’échelle mondiale en six étapes de la naissance de l’État nation et des premières colonisations, à la multiplication des États depuis 1990. On observe une proposition des sphères de civilisations, les accords Sykes-Picot au Proche et Moyen-Orient, les lignes en Asie du Sud suite à l’héritage britannique, les rideaux de la guerre froide sur tous les continents…

2) Mers et frontières

En mer tout reste à faire. Les frontières maritimes sont encore peu délimitées, seulement 40 % auraient été définies. La convention de Montego Bay des Nations-Unies sur les droits de la mer est signée en 1982. Elle est entrée en vigueur en 1994, marquant le début de la territorialisation des océans. L’évolution fait donc passer de la mer en partage au partage de la mer. Cependant de nombreux contentieux demeurent surtout autour des îles ou les détroits qui sont libres de tout passage. A noter, une double page sur les possibilités d’envisager, « quand un fleuve devient une frontière » (p 60-61), les tensions en Méditerranée orientale et en mer de Chine, la piraterie dans le golfe de Guinée…

3) Murs et migrations

Quand on utilise le mot de mur, les barrières physiques réelles vont du grillage au bâti très élevé. Une double page présente la croissance exponentielle de ces constructions de 1910 à 2020. Contrairement aux murs de la guerre froide qui empêchent de sortir, les barrières actuelles sont surtout des marquages contre les entrées. Bientôt l’Europe aura plus de barrières que durant la guerre froide. Fermer totalement les frontières est impossible. Une carte à l’échelle mondiale montre des frontières cimetières, quand des migrants cherchent à passer au péril de leur vie. L’espace Schengen est également étudié, avec les enclaves espagnoles.

4) Frontières particulières

Les auteurs auraient bien intitulé ce chapitre, « au bonheur des géographes » tant certains tracés ont des bizarreries dues aux enclaves, aux zones d’extraterritorialité comme les cimetières étrangers aux États ou le Vatican en Italie, les terrae nullius, terres qui n’appartiennent à personne, les micronations et les condominiums (souveraineté exercée conjointement par deux Etats). Notons un cas unique au monde, l’île des faisans aussi appelée île de la Conférence, où a été signé le traité des Pyrénées (1659) consacrant la paix entre la France et l’Espagne et le mariage de Louis XIV. Le condominium est à souveraineté alternée, 6 mois la France, 6 mois l’Espagne.

5) Frontières contestées

Les frontières sont-elles belligènes ? Le rapport entre limites et conflits n’est ni simple ni univoque. Il existe une soixantaine de contentieux territoriaux importants ou de mauvais voisinage. La politique de certains États est d’étendre leur influence par la force si nécessaire. « Plutôt que des causes de guerre, les frontières sont la plupart du temps des prétextes. » Cette dernière partie présente les différents les plus actuels entre le pouvoir ambitieux de la Turquie et son activisme grandissant hors de ses frontières, le retour de la Russie et la reconquête de son influence (conflit avec l’Ukraine) et la Chine à la conquête du monde qui tisse sa toile des routes de la soie hors de ses limites.

Si le texte réactualisé s’avère très intéressant, les cartes et les infographies sont souvent originales, facilement mémorisables, et d’un intérêt certain en vue de mettre en forme des croquis problématisés pour des séquences en situation ou pour les thématiques actuelles des concours.

Voir la première édition chroniquée par un rédacteur Clionaute ici