La préface de l’historien Paul Guichonnet restitue le contexte et la présence dans les Alpes de ce train de permissionnaires et annonce la plus meurtrière catastrophe ferroviaire française. L’auteur André Pallatier est né à St Michel de Maurienne, enfant, avant des études supérieures à l’Université Stendhal et à l’IEP de Grenoble, il s’est interrogé sur ces alignées de croix dans le cimetière militaire de sa ville natale. L’ouverture des archives militaires en 2007 lui ont offert la possibilité d’une étude rigoureuse et très détaillée face aux « légendes » qui ont entourées ce drame.

En Amont de l’accident

Le contexte de l’entrée en guerre de l’Italie, de la défaite de Caporetto et de l’appel aux alliés permet de dresser un tableau de la situation. Un rappel des faits, de l’envoi du corps expéditionnaire mais aussi du contexte difficile : mutineries de 1917 et des difficultés de transport de troupes campent le décor de ce qui deviendra la plus grave catastrophe ferroviaire.
Malgré des sources lacunaires le récit du parcours du train depuis la plaine du Pô nous conduit jusqu’à la gare française de Modane en aval du tunnel du Fréjus. Une analyse très pointue de la réglementation ferroviaire montre dès cette première partie la volonté de l’auteur de démanteler les rumeurs et et narrations erronées consécutives au mutisme des instances officielles.
Le chapitre 5 est consacré à un historique de la ligne de chemin de fer Culoz-Modane-Turin au profil difficile, fait qui aujourd’hui encore est avancé par les promoteurs du projet de TGV Lyon-Turin. On peut regretté le choix de l’échelle d’altitude du croquis de la page 86 donne à voir un profil disproportionné, la même erreur se retrouve en page 99.

L’accident: ses circonstances et ses suites immédiates

C’est un récit précis, minutieux du déraillement du train de permissionnaires à St Michel de Maurienne dans la nuit du 12 au 13 décembre 1917. L’auteur a fait un travail d’archives très fouillé pour reconstituer et expliquer les circonstances, les causes et les conséquences immédiates de la catastrophe: au violent déraillement a, en effet, succédé l’incendie des wagons de bois, ce qui expliquera le bilan du drame.
L’attention portée à la censure et aux dépêches officielles minimisant le drame restitue cette période cruciale de 1917. L’auteur en analyse l’efficacité: aucun article dans les journaux régionaux ou nationaux dans les jours qui suivent malgré quelques articles sur la cérémonie officielle des obsèques le 17 décembre. Le fait que l’enquête soit confiée à la justice militaire explique le maintien de ce silence jusque dans les années 70.
Étude rigoureuse encore pour un bilan difficile à établir du fait de l’incendie, un tiers seulement des victimes furent identifiées et ont bénéficié d’une sépulture individuelle. Si le nombre même des passagers est approximatif il n’en demeure pas moins que l’événement
reste une des plus meurtrières catastrophes au monde: 435 victimes.

Débats contradictoires

Ce retour sur les discordances entre les documents d’enquête amène à des redites sur bien des points déjà abordés comme les causes du déraillement. L’auteur montre les difficultés de l’époque pour expliquer l’accident et conclut sur la multicausalité. Il consacre une dizaine de pages aux causes de l’incendie et évoque la possibilité d’un sabotage allemand.

La procédure judiciaire

Dans cette quatrième partie sont abordés les aspects juridiques des 5 mois d’enquête, du conseil de guerre de juillet 1918 où comparaissent 6 cheminots du PLM, tous acquittés le 7 juillet ainsi que les procédures civiles intentées par deux familles de victimes.

Le récit de l’accident

Dans cette dernière partie l’auteur reprend les divers récits publiés. IL analyse longuement des rumeurs suisses diffusées par la Gazette de Lausanne et la Tribune de Genève dès le lendemain puisque non soumis à la censure. Ces journaux francophones faisaient état d’un sabotage sous le tunnel du Fréjus. Les journaux germanophones sont également analysés, une occasion de mettre en lumière l’état de l’opinion publique suisse mais aussi la propagande tantôt germanophile , tantôt francophile dans ce pays officiellement neutre.
Enfin c’est l’article de la revue Historia paru en octobre 1972 qui fit connaître l’événement au-delà de la Savoie qui est décortiqué. L’auteur pointe les nombreuses approximations ou erreurs qui seront pourtant largement reprises depuis.

En annexe ont trouvera la liste nominative des victimes, classée par département.

Un livre certes très pointue qui montre ce que peut être le travail rigoureux de l’historien dans la reconstitution d’un fait.