Sans doute qu’au ciel de ce lit il n’est plus question de rêves, mais d’une réalpolitik que le messianisme de Georges Bush, la froideur de Vladimir Poutine, le pragmatisme de Jiang Zemin et de son clone Hu Jintao ne parviennent plus à cacher sous les oripeaux d’une quelconque idéologie.
Dans le domaine des relations internationales, les chercheurs de l’université Laval ont souvent apporté un éclairage original à la géopolitique. Attentifs aux évolutions des puissances intermédiaires, les chercheurs québécois ne se limitent pas à une simple description des rapports de forces planétaires entre grandes puissances. Ils évoquent aussi, et de la plus précise des manières, la pression des forces hostiles à cette mondialisation imposée par le haut.
Première partie : Une Russie farouche et défensive mais pragmatique
Dans ce dossier moins de 70 pages, Frédéric Bastien et son équipe font une présentation très stimulante intellectuellement des nouvelles lignes de forces de la diplomatie Russe. Lorsque ces travaux étaient entrepris, rares étaient les spécialistes qui voyaient dans Poutine, un nationaliste grand russe. Les évolutions actuelles du pouvoir du maître du Kremlin, imposant sa volonté aux milieux d’affaires et aux médias, normalisant l’intelligentsia, confirment a posteriori, la pertinence de ce point de vue.
De ce fait, la politique Russe par rapport à l’Union Européenne et à l’Otan est interprétée comme visant à admettre que dans cette partie du monde, la Russie a un rôle de puissance régionale. Ce n’est pourtant pas si simple, lorsque l’on sait que, depuis les attentats du 11 septembre aux États-Unis, d’octobre 2002 ou de septembre 2004, les deux ex-superpuissances semblent avoir une politique de défense similaire. Les États-Unis ont mis au point une doctrine de la guerre préventive, tous comme les Russes qui souhaitent se doter d’une capacité de projection de puissance à l’horizon 2007. De plus, les arsenaux stratégiques ont sans doute été largement diminués mais le projet à moyen terme est de renforcer leur capacité de pénétration, notamment sur des cibles durcies.
En fait, la Russie se replie sur son pré-carré, celui sur lequel les Romanov avaient consacré de gros efforts au XIX, la stabilisation du Caucase et de l’Asie Moyenne, parce que c’est de là, plus que de l’Ouest, que viennent les menaces. Les crises Tchétchènes et Géorgiennes sont là pour le montrer.
Et puis, il y a la Chine, si proche de la Sibérie, et si gourmande d’espace et de matières premières. Entre les deux États, ce sont des scénarios de coopération ou conflictuels à terme qui restent à écrire. Avec une situation déséquilibrée toutefois. La Russie est un exportateur de pétrole, la Chine un importateur. Cela signifie la coopération obligée ou le conflit inévitable.
Deuxième partie : une Amérique messianique mais inquiète
Beaucoup de choses ont été écrites sur le messianisme qui conduisait à l’unilatéralisme guidant, (le mot convient !), la politique étrangère des États-Unis.
L’article de Frédéric Bastien reprend largement cette antienne, et la fait remonter aux 14 points du Président Wilson.
Bien que l’actuel locataire de la maison blanche soit un héritier de ceux qui combattaient cet interventionnisme américain, il semblerait que cette ligne politique se soit maintenue.
A certains égards, et l’analyse est tout à fait pertinente, on retrouve cette approche, dans la création de l’Otan qui n’est jamais que la constitution d’une coalition de Nations alliées permettant de contourner l’ONU. Ce que les États-Unis ont mis en place de façon élargie avec Bush père pendant la première guerre du Golfe, de façon plus réduite avec Bush fils pour la seconde. (Qui est en fait la troisième si l’on prend en compte la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988.) et ce que Clinton a fait de façon tout à fait discrète contre Saddam Hussein entre les deux périodes Républicaines.
A cet égard, la politique de George Bush qui a été présentée comme une rupture avec les années Clinton ne l’a pas vraiment été. En fait, le président démocrate n’a pas eu à affirmer une politique étrangère, celle-ci étant déjà dessinée au lendemains de l’effondrement de l’URSS.
George W. Bush a sans doute eu le mérite d’agir de façon plus claire, moins nuancée que son prédécesseur, et parfois sans y mettre les formes, comme pour le refus de la ratification d protocole de Kyoto.
Les événements du 11 septembre modifient la donne. Les États-Unis par la voix de leur président s’engagent dans une croisade au nom de la morale, avec une vision qui rappelle celle des débuts de la guerre froide, les bons et les méchants.
Le climat intellectuel avec l’affirmation de la pensée néo-conservatrice, axée sur la défense des valeurs traditionnelles a été propice à un retour aux sources inspiré de la philosophie de Léo Strauss.
L’idée telle qu’elle a été exprimée dans me discours de West Point est bien celle d’une supériorité militaire telle qu’elle dissuaderait toute nouvelle course aux armements. L’auteur fait d’ailleurs remarquer que ce non-interventionnisme est tout de même amené à essayer de conduire, tant bien que mal, une démocratisation de l’Irak et accessoirement de l’Afghanistan.
Dans les relations avec la Chine et la Russie, la coopération est de rigueur. La Chine ne semble plus être le compétiteur stratégique que les lobbies républicains craignent traditionnellement. La lutte contre le terrorisme et peut-être aussi une certaine convergence d’intérêts contre les Russes en Asie centrale ont pu rapprocher les points de vues.
Avec la Russie, toujours sur ce point, la politique des deux fers au feu est de rigueur. Des liens forts avec la Russie qui contrôle la mer Caspienne sont aussi un moyen de maintenir la sécurité des approvisionnements énergétiques, cette région étant la seconde réserve mondiale après le Moyen-Orient.
Troisième partie : Une Chine montante et assurée
Depuis que les incertitudes sur la croissance chinoise semblent levées, les dirigeants Chinois se sentent particulièrement à l’aise dans la définition de leur politique étrangère. Le régime semble stabilisé, la guerre de succession n’a pas eu lieu et la croissance reste élevée. Pourtant, d’après André Laliberté, l’auteur de cet article, la question de Taïwan reste épineuse, même si les actuels dirigeants chinois ne semblent pas vouloir en faire un casus belli.
La doctrine sécuritaire chinoise semble s’appuyer sur la croissance économique st sur le poids croissant de la Chine pour asseoir la sécurité et la perpétuation de l’Empire du Milieu. L’auto-renforcement de la Chine était déjà la politique des réformateurs de la dynastie des Qing, la dernière dynastie, et cette attitude n’a jamais été remise en cause. Mieux encore, elle s’impose à tous, y compris à l’armée qui semble en tirer profit et qui fait peut-être l’économie de révision déchirantes à cet égard…
De plus, sur la question de Taïwan, les États-Unis même incitent Taipeh à ne pas proclamer leur indépendance, ce qui réduit les risques de confrontations avec les États-Unis toujours présents au niveau de leur groupe de combat aéronaval dans la zone.
Du coup, cette relative modération est utilisée par Pékin pour essayer de venir à bout des insurrections dans le Xinjiang. La contestation islamiste est sans doute surévaluée par les dirigeants chinois mais elle n’en existe pas moins… Du coup, dès que la menace islamiste est évoquée, les trois pôles du triangle ont d’excellentes raisons de se retrouver dans le même camp.
L’auteur dresse d’ailleurs un tableau très commode et largement inédit des différents mouvements séparatistes qui se développent dans l’extrême occident chinois en utilisant des sources très variées.
Enfin, cette partie sur la Chine se termine par une série de réflexions prémonitoires sur la crise énergétique qui s’annonce et dont la croissance Chinoise est en partie responsable. Les dirigeants Chinois avaient largement anticipé en multipliant les liens avec les Républiques gazières de l’Ex-Union soviétique comme le Turkestan et en nouant des accords de coopération, accords de Shanghai.
Cet ouvrage est donc particulièrement stimulant, comporte un ensemble de sources documentaire commode à utiliser. Le seul regret réside dans l’absence de cartes, qui auraient pu sans doute renforcer le propos.
Bruno Modica
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