« Les culs-terreux incultes de Makhno avec leurs fourches, même morts et enterrés, auront toujours raison contre Lénine, ses baveux et ses canons. »
Alain Fleig, Lutte de cons et piège à classe, 1975 (cité par Yves Frémion dans la postface).
Nestor Makhno s’est battu pour un monde « où il n’y aurait ni esclavage, ni mensonge, ni honte, ni divinités méprisables, ni chaînes, où l’on ne pourrait acheter ni l’amour ni l’espace, où il n’y aurait que la vérité et la sincérité des hommes. »
Né dans une famille de la paysannerie ukrainienne à la fin du XIXe siècle, Makhno dirigera l’insurrection contre les exploiteurs et lancera un mouvement qui, à son apogée, regroupera cinquante-mille combattants. Unis sous le drapeau noir, ils affronteront les Allemands, les Russes blancs et les bolcheviks pour défendre leur idéal.
Nestor Makhno reste l’une des figures les plus marquantes de l’anarchisme.
[Le vent des libertaires, 4e de couverture]
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La mise en récit fictive, mais parfaitement documentée, de la vie et des combats de Nestor Makhno l’une des figures emblématiques de l’anarchisme, est le pari réussi et génial que se sont lancés Philippe ThiraultPassionné d’Histoire, Philippe Thirault décide de se dédier à l’écriture après un passage à Sciences Po. En 1996, il publie chez Les Humanoïdes Associés sa première série de bande dessinée, Miss, le récit noir d’un couple de tueurs à gages dans l’Amérique de la prohibition. Dans les années 2000, il signe chez le même éditeur de nouveaux récits, confirmant ainsi son talent pour raconter des mondes imaginaires. Après des séries comme Mille visages, Retour sur Belzagor ou plus récemment Shanghai Dream, le scénariste consacre avec Le Vent des libertaires, deux tomes à l’histoire du révolutionnaire ukrainien Nestor Makhno. au scénario et Roberto ZaghiRoberto Zaghi a commencé à travailler en tant que dessinateur dans les années 90, pour les éditions Sergio Bonelli. Au fil des années, il illustre des numéros aux genres variés pour les séries Zona X, Nathan Never, Legs Weaver, Orfani et Julia – cette dernière ayant rencontré un beau succès en Italie. Il a également illustré sept livres de Thomas Silane pour les éditions Bamboo / Grand Angle et il a intégré il y a plusieurs années l’équipe artistique de la série de bandes dessinées de western Tex Willer. Le Vent des libertaires est sa première collaboration avec Philippe Thirault et Les Humanoïdes Associésaux dessins (sans oublier Annelise Sauvêtre pour la très belle mise en couleurs). Dans ce diptyque, le lecteur va ainsi pouvoir plonger dans le passé romancé de cet homme qui aurait pu changer la face de l’Europe, explorer les faits les plus remarquables de sa biographie, mais également son cheminement intellectuel, sa vérité intérieure, ses moments d’exaltation et ses déchirements, depuis son enfant jusqu’au soir de sa vie. La narration est envoûtante, les planches soignées et le récit très rythmé, ce qui rend cette BD accessible à tout public, notamment scolaire.
L’ouvrage s’ouvre à Boulogne-Billancourt devant les usines Renault en février 1934 après la manifestation des Ligues fascistes à Paris le 6. Un homme s’insurge contre des syndicalistes de la CGTU et des militants du PCF qu’il accuse d’être inféodés au Parti Communiste de l’URSS et au Kominterm. Il s’agit de l’Ukrainien Nestor Ivanovitch Makhno dit Nestor Makhno, rongé par la tuberculose mais qui n’a rien perdu de son caractère et de sa force de conviction. Dans un jeu chronologique qui va de sa jeunesse à sa mort et des flashbacks temporels habiles, le lecteur va ainsi découvrir l’histoire de ce libertaire révolté et engagé corps et âme dans sa lutte pour un monde plus égalitaire et plus juste.
De l’abandon à la gloire
Makhno est né en 1888 à Gouliaï-Polié, commune d’Ukraine, dans une famille paysanne très modeste. Orphelin de père, berger à 7 ans, il va abandonner l’école pour devenir ouvrier agricole à 12 ans. Lors de l’hiver 1898, la mère de Makhno perd son fils Sacha 11 ans, mort de faim. Elle n’arrive plus à assumer ses enfants et décide de confier Makhno à une riche famille, les Vynnitchencko. Les adieux sont déchirants. Dans cette famille bourgeoise qui veut lui donner une éducation extrêmement dure, entrecoupée de châtiments (« avant que le respect et la discipline te rentrent dans le crâne Nestor… ceci va te rentrer dans la chair. » p. 14), Makhno fait la rencontre de Katrin, sa sœur adoptive et devient rapidement un bon cavalier. Rebelle et espiègle, il refuse ce mode de vie et finit par s’enfuir. Amoureux de Katrin, il reviendra la voir régulièrement en cachette, notamment de son nouveau demi-frère Daniel, brutal et cruel.
La Révolution de 1905 en Russie rend Nestor Makhno anarchiste et celui-ci passe rapidement à l’action avec ses compagnons communistes libertaires. À 20 ans, il participe à un attentat raté et est condamné à la pendaison, peine commuée vue sa jeunesse en travaux forcés à perpétuité pour « activités terroristes » . En prison, il fait la connaissance de Piotr Andreïevitch Archinov et parfait ses connaissances dans les livres d’intellectuels comme Bakounine ou Kropotkine. Libéré après la révolution de Février 1917, il rentre à Gouliaï-Polié, devient cosaque et participe à l’organisation des soviets de paysans et d’ouvriers. Il devient Makhno avec un caractère bien trempé. Têtu, intelligent et très charismatique, sa réputation grandit : « Bientôt, Makhno devint le point de ralliement de tous les insurgés », écrira Voline, il devient bientôt le « Batko » (le « père »), le guide de la révolution ukrainienne.
En mars 1918, après la signature du Traité de Brest-Litovsk qui livre l’Ukraine à l’Allemagne, il organise un mouvement de résistance armée qui poursuit les combats contre l’Armée des volontaires du général blanc Anton Dénikine et les troupes allemandes.
« À travers toute l’Ukraine / Se levaient nos partisans… / Makhnovtchina, Makhnovtchina
/ Armée noire de nos partisans / Qui combattait en Ukraine
/ Contre les rouges et les blancs ».
Étienne Roda-Gil, « La Makhnovtchina » (1968).
De la lutte à l’exil
En 1919, les groupes de guérilla se transforment en une véritable armée insurrectionnelle d’inspiration anarchiste, la Makhnovtchina (ou armée révolutionnaire insurrectionnelle ukrainienne), qui compte jusqu’à 50 000 hommes. Pour combattre les Armées blanches, il s’allie avec l’Armée rouge qui se retourne finalement contre lui en 1920. En effet, Lénine et Trotski détestent les anarchistes et ceux de Moscou (Kropotkine, Voline) ne comprennent pas Makhno qui pour asseoir la révolution, doit parfois user d’une violence extrême.
En 1921, vaincu et devenu l’ennemi numéro un, ce dernier fuit la Russie. Expulsé de plusieurs pays européens, il s’installe finalement en 1925 à Paris, où pour survivre il est contraint de travailler comme ouvrier chez Renault à Boulogne-Billancourt. Il finira sa vie dans la misère et malade. Sa femme Galina, de peur d’attraper sa maladie, l’abandonnera sur son lit de mort en emportant leur fille Lucie. Aujourd’hui, les idéaux de Makhno subsistent et certains en Ukraine « osent encore rêver à l’avènement d’une terre libre, juste et fraternelle » (p. 118).
L’ensemble de cette épopée est sublimé par des dessins très fouillés qui renforcent le rythme et le caractère épique du récit. Le rendu est splendide et la mise en couleurs parfaite comme en témoigne la planche ci-dessous.
En cette période incertaine de crise sanitaire mondiale, la question du « monde d’après » est sur toutes les lèvres. Comment envisager celui-ci sans se confronter à notre Histoire ? Cet excellent album (quelques planches sont consultables ici) nous permet de (re)découvrir une tranche de l’histoire ouvrière et révolutionnaire européenne à travers un des acteurs majeurs de l’anarchisme de la fin du XIXe – début du XXe siècle, qui aura traversé et participé à un demi-siècle de révoltes et de révolutions. Si vous n’avez pas encore dévoré cette bande dessinée, foncez vous la procurer !
« Ukraine, début du XXe siècle. Issu de la paysannerie très pauvre et adopté par une famille bourgeoise, le jeune Nestor Makhno ne trouve pas sa place dans un monde impitoyable, dominé par les riches. L’histoire romancée du plus grand des anarchistes ukrainiens qui, défiant à la fois les Bolcheviques et les Allemands, a traversé un demi-siècle de révoltes et de révolutions. »
©Rémi BURLOT pour Les Clionautes