James Walvin propose une histoire au long cours et à travers le monde d’une denrée consommée quotidiennement et souvent avec excès, le sucre. Au-delà du produit c’est aussi une histoire du capitalisme, du commerce international, de l’es clavage et de l’alimentation contemporaine. Comment de produit de luxe vers 1600 est devenu banal et populaire vers 1800. Cet ingrédient incontournable est aujourd’hui perçu comme un danger pour la santé. C’est cette longue histoire que James Walvin nous raconte en seize chapitres passionnants, documentés et de lecture agréable dans la traduction de Philippe Pignarre.
James Walvin est professeur d’histoire émérite à l’université d’York, auteur de nombreux livres en particulier sur l’histoire de l’esclavage et du commerce des esclaves.
Un goût millénaire
S’il est synonyme de douceur ce goût a très longtemps été associé au miel, une référence dans les sociétés anciennes des douceurs de l’au-delà comme le montre des exemples pris de la haute antiquité égyptienne au Coran. Adopté par les Mongols après la prise de Bagdad le goût sucré en cuisine se répand jusqu’en Chine. Il suit l’expansion des grands empires antiques et médiévaux. L’auteur évoque les débuts de la culture et de la transformation de la canne à sucre. Notre auteur anglais consacre un paragraphe à la rencontre des Britanniques avec le sucre.
Au Moyen Age en Europe consommer du sucre est un marqueur social qui peut être grandiose par les sculptures des fêtes vénitiennes ou celle en l’honneur d’Elizabeth d’Autriche en 1571 à Paris. Dans le monde islamique c’est un médicament dont l’usage gagne peu à peu l’Europe.
Le temps se gâte
Dès le XVIe siècle on associe le sucre aux problèmes dentaires. Le raffinage favorise les caries, absentes des périodes plus anciennes comme le montre les données archéologiques. La dentition des élites était alors plus chicots que dents blanches.
Sucre et esclavage
Si la consommation augmente aux XVIIe et XVIIIe siècles c’est grâce à l’introduction de la culture de la canne aux Caraïbes. L’implantation de cette culture nécessite déjà dans les premiers développements en Méditerranée de lourds investissements. L’auteur rappelle à grands traits l’expansion ultramarine depuis Henri le Navigateur et le rôle de laboratoire des Canaries et du Cap-Vert : plantation, main-d’œuvre servile, place d’Anvers pour le raffinage. C’est ensuite l’implantation en Amérique qui permet la croissance rapide de la production dans les cadre de l’exploitation des esclaves venus d’Afrique. L’auteur dresse un tableau de ce système.
L’environnement dévasté
Le développement de la culture de la canne dans les Caraïbes a aussi pour conséquence une modification profonde de l’environnement par la culture sur brûlis et la destruction de la forêt tropicale, modifiant ainsi durablement les paysages. L’extension gagne petit à petit les terres hautes des îles à sucre. L’auteur évoque les conséquences sur les populations locales. Les Taïnos ont disparu remplacés par la culture créole dominée par les Africains.
Acheter du sucre
Le sucre, produit urbain génère l’apparition de l’épicier londonien, le premier ouvre boutique en 1573. On y débite en petits morceaux les éclats du pain de sucre.
Thé ou café l’accord parfait
La diffusion de la consommation de sucre en Europe est liée à trois autres denrées exotiques : l café, le thé et le chocolat, eux-mêmes produits coloniaux. C’est cette diffusion dans la société du XVIIIe siècle qui est ici racontée.
Au bonheur du palais
James Walvin montre la place des desserts dans la gastronomie française et la place grandissante du sucre dans l’alimentation quotidienne des couches populaires où, notamment pour les femmes et les enfants il sert d’aliment énergétique (mélasse et confitures) sans oublier son rôle de conservateur des fruits.
Quand le Rhum coule à flot
On ne saurait oublier cet aspect su sucre, alcool qui, fut à l’origine un sous-produit de la transformation de la canne. Il prend peu à peu de la valeur et sa distillation progresse aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le rhum faisait partie de 1731 à 1970 de la ration quotidienne dans la Royal Navy.
D’abord de consommation sur les lieux de production l’exportation vers l’Amérique du Nord où il joue le rôle de monnaie et l’Europe, non sans effets sur la santé.
L’auteur développe l’exemple de la Barbade.
Le sucre à la conquête du monde
Au XIXe siècle la demande croît aussi vite que la population mondiale. C’est aussi la naissance du sucre de betterave. L’histoire du sucre croise celle de l’abolition de l’esclavage qui fait naître une nouvelle migration, celle des Indiens, plus d’un million de travailleurs, dans les plantations d’Amérique, de l’Océan indien (Île Maurice) ou l’Australie sur de nouvelles régions de culture de la canne. Avec cette diffusion de la canne on observe à la fois des déplacements de population et des destructions de l’environnement.
L’Amérique du sucre
Ce chapitre traite de l’évolution des modes d’approvisionnement et de consommation du sucre aux USA. C’est le temps de l’aventure de grandes entreprises agro-alimentaires du raffinage (création du Sugar Trust en 1887) aux barres chocolatées de Frank C. Mars et au ketchup.
l’auteur voit dans l’incontournable gâteau de mariage et son glaçage sucré le symbole même du triomphe du sucre .
Les tourments du Nouveau Monde
Le sucre, objet de litiges ce que l’on pourrait aussi appelé la géopolitique du sucre. Sa taxation ouvre, en effet, le conflit entre l’Angleterre et ses colonies américaines, le blocus fait de Napoléon l’initiateur de la culture de la betterave en France, culture qui se développe aussi en Allemagne qui ne dispose pas de colonie sucrière. Sur le continent américain, après des essais peu fructueux en Louisiane la culture gagne d’autres États et la baisse de sa production lors de la guerre de sécession amène son développement à Cuba et au Brésil.
Adoucir la guerre et la paix
Le XXe siècle est le siècle du sucre, Londres et Hambourg ses capitales. Le sucre est présent dans de nombreux aliments industriels et a contribué à la naissance de grandes multinationales dont la fortune est liée au sucre (Kellogg’s, Cadbury, Coca-Cola). Ce produit était devenu si indispensable qu’en 1914 est crée au Royaume-Uni une commission royale pour l’approvisionnement en sucre.
Le poids de l’obésité
Ce phénomène, selon l’OMS, touche deux milliards de personnes dans le monde. Considéré un temps comme objet de plaisanterie c’est aujourd’hui un problème sanitaire aux États-Unis mais aussi sur tous les continents du fait d’une certaine uniformisation des modes alimentaires. La surconsommation de sucre est notée notamment chez les enfants : 22kg/an alors que la recommandation est de 8kg/an.
Dis-moi comment tu manges
Ce sucre aliment de consolation ; addictif est désormais objet de critiques du monde médical face à la publicité et aux lobbies de l’industrie agroalimentaire. Nestlé, par exemple a un chiffre d’affaires supérieur au PIB de 70 pays.
Sodas, la vérité qui dérange
Tout un chapitre consacré aux boissons sucrées et en particulier la plus célèbre d’entre elles : histoire de l’entreprise Coca-Cola, expansion et aujourd’hui des édulcorants.
Renverser la vapeur. Au-delà de la taxe sur le sucre
L’auteur évoque la lutte contre l’obésité : sport, régimes d’autant plus nécessaires que les couches populaires e sont les premières victimes. Cet aspect est traité à partir de l’exemple britannique.
Dans ce tableau du sucre aujourd’hui on peut s’étonner qu’en matière sanitaire ne soit pas abordé le diabète et en matière économique la transformation en agrocarburants.