« Juin 1944. Un jeune Français de 17 ans est enrôlé dans la Waffen SS », est-il précisé sur la couverture. De fait, le Français en question — Marcel Grob — est Alsacien, et le récit le considère à deux moments de sa vie : à 17 ans, mais aussi le 11 octobre 2009, à 83 ans. Il est donc l’un de ces « Malgré nous » qui ont endossé l’uniforme allemand ; ici, la situation est plus complexe, car l’uniforme de Marcel Grob est celui de la Waffen SS.

Le récit le place d’abord dans sa maison, ce 11 octobre 2009 ; il est alors invisible. Très rapidement, on le retrouve dans le bureau d’un juge, le juge Tonelli : la consonance italianisante est importante pour la suite. Il accuse en effet Marcel Grob de s’être engagé dans la Waffen SS, et d’avoir participé au massacre de Marzabotto. Une greffière très attentive suit les échanges. Le juge Tonelli confronte Marcel (ou Marzell, ou encore Marzel) Grob à un carnet de solde — un SoldBuch — à son nom. Son numéro matricule —11/SS-Pz.Gr.RGT.36 — indique cependant qu’il n’a pas été enrôlé de façon volontaire dans la division Reichsführer, puisqu’il manque les lettres « FRW » (Freiwilligen). Marcel Grob commence alors à dérouler son histoire : il fut l’un des 2 000 enrôlés nés en 1926 (et non de cette classe, comme il est dit à un moment donné, puisqu’il fait partie de la classe 1946). Parti le 27 juin 1944, il est tout de suite confronté à la coercition qui s’exerçaient sur les familles : la ferme Stocker est brûlée, le fils Max ayant préféré rejoindre le maquis plutôt que l’armée allemande. Deux enrôlés, Koenig et Riedweg, évadés du camp d’entraînement des bords de la Baltique et repris, sont abattus devant les recrues, et leur famille déportée en Silésie. Un autre jeune, en Italie, sera exécuté pour avoir refusé de se livrer au massacre de la population.

La formation terminée, tatoués, les jeunes SS prêtent serment de fidélité à Hitler. Ils sont ensuite envoyés en Émilie-Romagne, en septembre. Leur mission est de traquer les groupes de résistance. Marcel Grob s’attire les faveurs de l’Unterstrumführer Brehme, bibliophile, qui le protège à plusieurs reprises, et dont la culture vient tempérer la violence dans les pires circonstances. Cependant, les choses prennent une tournure plus dramatique avec l’arrivée d’un bataillon de la division SS Totenkopf commandé par le Sturmbannführer Reder. Cette division s’est illustrée par la répression qu’elle a exercée pendant la campagne contre l’URSS, mais elle est cependant connue (moins, malheureusement) pour des atrocités commises dans le Nord et le Pas-de-Calais en mai et juin 1944, contre des civils et des soldats alliés, français et britanniques. C’est désormais lui qui commande l’unité de Marcel Grob. Une opération est prévue le 29 septembre 1944 à Marzabotto et sa région : les combats et les massacres firent environ 770 morts, civils et résistants, quel que soit le sexe et l’âge. Comme le rappelle Christian Ingrao dans le dossier final (p. 190), on retrouve les méthodes appliquées sur le front de l’Est : on déporte les valides pour exploiter leur force de travail ; on massacre les autres ; on pille les ressources ; on chasse les partisans. La rationalité du processus de répression indique qu’il n’y a pas là de violence extraordinaire. Marcel Grob doit y participer, ce qui l’implique dans la complicité : la « part du sang ».

Il est cependant grièvement blessé au cours de l’hiver, et fait prisonnier le 28 avril 1945.

Un dossier très complet de Christian Ingrao vient donc compléter cette magnifique bande dessinée. On aura ainsi des informations très précises sur la SS, la Waffen SS, les massacres commis, la 16e division blindée de grenadiers Reichsführer, le massacre de Marzabotto, ainsi que sur les poursuites judiciaires entamées contre ses responsables.

Le récit confronte donc un vieil homme (le grand-père de Philippe Collin, comme on l’apprend dans les remerciements) et un juge dont la famille a été massacrée à Marzabotto. On ne saura rien des décisions que la justice pourrait prendre à l’encontre du premier. Le lecteur est laissé face à son propre arbitre pour apprécier la situation. Pour des élèves, cette bande dessinée, très bien menée, permet de leur montrer la complexité des choses. Elle trouvera toute sa place pour approcher des massacres commis en France, à Oradour ou ailleurs, auxquels des Alsaciens et Mosellans ont participé. Une excellente occasion de réfléchir à l’autonomie du jugement, de la conscience de chacun, et à l’influence des circonstances sur ses choix.

On retrouvera une présentation de l’ouvrage sur le site de Futoropolis., avec quelques planches.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes