« L’enseignement de l’histoire de la Shoah est aujourd’hui interrogé à l’aune des défis qui s’imposent à lui. Depuis vingt ans, les médias se font le relais des difficultés que rencontrent des professeurs à aborder, en classe, cet évènement ». Tel est le début de l’article de Iannis Roder issu de cet ouvrage. 

Pour répondre à cet enjeu, les auteurs souhaitent proposer « une synthèse accessible à tous, particulièrement à ceux qui souhaitent transmettre aux jeunes générations. » Le livre est structuré en quatre parties et chaque contributeur doit relever le défi d’être à la fois synthétique, clair et actualisé. On trouve en fin d’ouvrage une bibliographie classée par contribution ainsi qu’une présentation de chacun des auteurs. 

Aux origines du processus génocidaire

Sept contributions forment cette première partie. Johan Puttemans fait le point sur « l’extermination nazie des handicapés physiques et mentaux ». Il montre d’abord combien l’hygiène raciale formait la base idéologique des nazis. « L’infanticide nazi fut l’action la plus durable du meurtre systématique d’un groupe bien défini au préalable. » Entre 1940 et 1945, 5 000 enfants physiquement déformés et handicapés mentaux furent assassinés au nom d’une idéologie mortifère. L’auteur explique aussi l’Aktion T4 et sa mise en place. On considère que 260 000 personnes ont été victimes de la «  guerre nazie contre les malades ». L’Aktion T 4 a constitué la base du judéocide au sein du Gouvernement général. Tal Bruttmann revient sur la mise en place de la « Solution finale ». Il met l’accent sur l’idée d’une dynamique plutôt que de chercher à se focaliser sur une date ou un évènement. « Pour le IIIè Reich, la guerre contre l’URSS permet de liquider son dernier adversaire continental, tout en lui fournissant un moyen de se débarrasser de son pire ennemi, le Juif. » A la fin de l’année 1941, c’est déjà plus d’un million de Juifs qui sont morts sans qu’il s’agisse encore de la « Solution finale ». Il ne faut pas néanmoins minorer le rôle de la conférence de Wannsee. 

Les étapes du processus génocidaire

Audrey Kichelewski explique ce que l’on sait du rôle des ghettos dans le processus génocidaire. Le point essentiel à retenir c’est qu’il existe de multiples formes de ghettos dans le temps et dans l’espace. Les plus connus sont loin d’être représentatifs d’un phénomène à aborder au pluriel. Andrej Umansky et Patrick Desbois proposent un bilan sur la Shoah par balles. Ils expliquent notamment leur méthodologie. De façon très claire, ils dégagent les cinq étapes principales du crime : le rassemblement, le déplacement, le déshabillage, la fusillade et le pillage. Enseigner cela nécessite un discours nuancé et une contextualisation historique. Les auteurs invitent également à se méfier de toute approche comparative avec les crimes de masse d’aujourd’hui.

Christophe Tarricone aborde la question des centres de mise à mort et il souligne que c’est une terminologie qui rend compte du sort spécifique des Juifs dans les politiques répressives nazies. «  Ces sites de tuerie ne sont pas nés d’une décision unique, ni d’un contexte identique, et n’ont pas vu le développement des mêmes infrastructures. » Il revient évidemment sur le cas d’Auschwitz pour rappeler que c’est un lieu à nul autre pareil qui ne correspond pas en dehors de l’objectif d’assassinat des Juifs déportés,  au fonctionnement des autres centres de mise à mort.

La question du sauvetage des Juifs à l’Est

Marie Moutier-Bitan développe la question du sauvetage des Juifs dans les territoires soviétiques occupés. Elle pose d’emblée une idée qui montre la complexité d’un tel sujet : chaque histoire de sauvetage est unique. Elle montre ensuite la question sous l’angle de l’expérience individuelle des protagonistes. De façon précise elle montre par exemple que survivre sous une fausse identité impliquait de connaitre la langue locale pour se fondre dans la population. Ilsen About traite du génocide et persécutions des Roms et Sinti en Europe entre 1933 et 1946. Là encore il faut penser la question en terme de diversité. 

La Shoah en France

Le thème est abordé par quatre contributeurs dont Laurent Joly avec « Vichy et la Shoah ». Rappelons que jusqu’en 1941, deux politiques sont conduites en parallèle : d’un côté l’antisémitisme racial et sécuritaire des Allemands et de l’autre l’antisémitisme politique et xénophobe de Vichy. L’auteur revient sur la rafle du Vel d’Hiv et souligne également qu’il existe une «  certaine étanchéité entre le système répressif de Vichy et la machine de destruction nazie ». Il faut prendre le temps de citer une des conclusions de l’article : «  En France, comme nulle part ailleurs en Europe, la mise en oeuvre de la « Solution finale » a donc reposé sur l’administration traditionnelle. » Thomas Fontaine propose une contribution sur la déportation des Juifs de France. Il explique notamment la logique d’organisation autour des camps et des gares. André Kaspi parle des résistances juives en France face à la Shoah en montrant, notamment, que les résistants ont souvent assumé leur action en tant que Français avant tout.

La question du sauvetage des Juifs en France

Cindy Biesse revient enfin sur la question de l’aide et du sauvetage en France. Le premier terme désigne une action spontanée tandis que le second induit un degré d’investissement. De façon très claire, elle précise que la contextualisation géohistorique est essentielle et qu’on peut distinguer plusieurs phases. Elle insiste aussi sur les petits gestes qui peuvent contribuer à la survie des victimes. Elle détaille également les motivations pour aider ou sauver.  

Enjeux mémoriels et éducatifs 

Quatre contributions forment cette troisième partie de l’ouvrage. Olivier Laleu s’intéresse à la mémoire de la Shoah en France en montrant que la construction de celle-ci est le résultat de multiples voix «  qui se nourrissent, s’entremêlent, se répondent et s’opposent parfois. » Cette mémoire fut d’abord intime avant de s’exprimer publiquement. L’article suivant revient sur la question des voyages de mémoire sur les lieux de la Shoah. Les auteurs détaillent tous les points de vigilance et tous les obstacles qui peuvent se poser. Rappelons que le site d’Auschwitz par exemple a accueilli plus de 2,3 millions de visiteurs en 2019 dont une partie de scolaires. Fort logiquement, le troisième article s’interroge sur les effets que produisent de telles visites. Les conclusions montrent que «  les connaissances acquises ne conduisent pas nécessairement à une évolution des dispositions morales contre le racisme et l’intolérance ».

Les défis de l’enseignement de la Shoah

Au terme de cette troisième partie, Iannis Rodder pointe les défis de l’enseignement de la Shoah. Il montre qu’il faut bien en faire un objet d’histoire et pas moral et civique. Il est indispensable de ne pas utiliser la langue nazie en faisant un usage non mis en perspective d’une expression comme « Solution finale ». Le vocable de centre de mise à mort doit être privilégié plutôt que d’insister sur une séparation camp de concentration, camp d’extermination. Une des difficultés aussi c’est d’arriver à faire comprendre la portée universelle du crime commis contre les Juifs. Il est parfois plus porteur d’insister sur le vide laissé par l’assassinat. Il faut redire sans cesse qu’Auschwitz est l’exception et c’est pourtant le camp souvent présenté en longueur en cours. 

Questions sensibles

Dans cette dernière partie, la focale s’élargit pour une approche des questions sensibles. Willy Coutin revient sur une question qui connait régulièrement des retours : que savaient les Alliés ? Pour la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’Union soviétique il importe, et c’est logique, d’abord de gagner la guerre. On voit la différence d’informations qui pouvait exister entre Churchill et Roosevelt. Dominique Trimbur propose une contribution sur «  L’Allemagne, le monde arabo-musulman et la Shoah ». L’idée du grand mufti comme inspirateur de la « Solution finale » est une contre-vérité historique.

Peut-on comparer les génocides ?

Yves Ternon se demande ensuite si on peut comparer les génocides. Il pose d’emblée qu’on ne peut répondre à cette interrogation qu’en «  distinguant les contraintes auxquelles est soumis le juriste et les libertés d’interprétation dont dispose l’historien . » Il revient évidemment sur les travaux de Raphael Lemkin. Yves Ternon s’arrête sur le cas des Arméniens, des Juifs et des Tutsis. L’analyse comparée préserve la singularité de chacun de ces génocides et cela permet aussi d’en mesurer les différences. Il faut aussi absolument éviter le piège de la concurrence des victimes. Valérie Igounet retrace enfin l’histoire du négationnisme de 1948 à aujourd’hui. Ce dernier est une invention française. L’autrice revient entre autres sur l’affaire Faurisson. Avec Internet aussi on constate une internationalisation du phénomène. Elle consacre un paragraphe au lien entre négationnisme et complotisme et c’est justement sur ce dernier phénomène que revient Rudy Reichstadt dans une dernière contribution. Il s’intéresse à ce qu’il appelle une affinité sélective entre complotisme et antisémitisme. S’appuyant sur des exemples récents il montre les formes contemporaines du complotisme antijuif. 

Cet ouvrage fournit donc une synthèse très efficace, très complète où les différentes contributions s’avèrent complémentaires. Il est aussi un état des lieux de la recherche. En proposant à la fois un point historique et des éléments de réflexion, il est une aide précieuse pour chaque professeur. 

Jean-Pierre Costille