Quatorze jours d’enfer sur le chemin du Lac-Saint-Jean, le sous-titre annonce l’ambiance de ce récit d’une randonnée à cheval en 1871, dont le journal avait été publié l’année suivante. La région du Lac Saint-Jean est alors peu colonisée. L’autrice a refait le parcours des époux Davenport dans un paysage qui a peu changé.

Comme le montre les photographies qui accompagnent le texte et permettra à des lecteurs lointains de se faire une idée des paysages.

L’autrice propose une traduction de journal de Mme Davenport complété des recherches qu’elle a menées pour comprendre comment le couple avait pu se laisser entraîner dans une aventure qui a viré au cauchemar à travers les marécages des Laurentides sur un chemin qui n’était parcouru que l’hiver grâce à la glace et la neige et sur pas moins de 225 km.

Elle nous invite à découvrir l’histoire de cette route de Québec au Lac-Saint-Jean, jamais achevé quand le chemin de fer est arrivé. Aujourd’hui la route existeLa route 175 puis 169, née de l’automobile, elle traverse la riche réserve faunique des Laurentides.

Journal de voyage par Mme Davenport

C’est le récit détaillé de chaque journée de ce qui avait été imaginé comme une randonnée à cheval sur une bonne route, en étédépart le 22 août 1871, et qui très vite est devenu une véritable aventure très souvent à pied.

Partis de leur résidence de Sillery avec trois chevaux et une petite troupe, le cocher des Davenport, un chariot et son charretier pour les provisions et un guide indien. Les petits désagréments se multiplient dès le premier jour. Les voyageurs rencontrent des ouvriers qui tracent la route qui devait permettre la colonisation de la contrée. Dès le troisième jour, il leur faut abandonner le chariot et chercher des porteurs. La communication est difficile, car les ouvriers ne parlent que le français.

La traversée de très nombreux marécages est pénible pour les chevaux comme pour les hommes, mais les eaux des rivières et lacs sont très poissonneux. Les longs portages des bagages par les Indiens à pied, les moustiques, l’inconfort des nuits au campement émaille le récit de Mme Davenport. La marche à travers des bosquets touffus témoigne d’une nature sauvage. On peut noter qu’elle se plaint beaucoup sans trop se soucier les fatigues des Indiens qui, peu nombreux, font deux fois le chemin pour porter les bagages. Elle a plus de sollicitude pour les chevaux que pour les hommes.

Ce qui caractérise l’aventure, c’est la lenteur du cheminement6,5 km le 9e jour du fait de la topographie du terrain, de la pluie en cette fin août, de la fatigue et de l’inexpérience des randonneurs et de la difficulté à repérer le chemin. A partir du 10e jour les réserves de nourriture sont au plus bas même si le groupe a consommé des poissons pêchés au cours du périple.

Vers la fin du voyage Mme Davenport décrit les feux de défrichement, plus loin elle fait référence au grand feu du Saguenay qui ravagea la contrée en 1870. Le 4 septembre 1871 ils touchent au but : le lac Saint-Jean. Accueillis dans la maison de la famille Tremblay, la conversation sur les robes semble irréaliste : « Mme Tremblay me demanda des informations concernant la mode, elle souhaitait savoir si la crinoline était portée et si mon costume d’équitation était le costume maintenant adopté par les dames. » (p.94), il est vrai que les porteurs ont eu à transporter les deux tenues de rechange de Mme Davenport. Le retour a conduit les Davenport à la Baie-des-Ha ! Ha ! sur la rivière Saguenay d’où un vapeur les a transportés jusqu’au Saint-Laurent et retour à Québec.

La carte du périple page 112 pourra aisément être mise en parallèle avec Google maps par exemple. L’autrice propose même une géolocalisation (p. 113-114) des étapes pour qui voudrait refaire le voyage.

Le chemin du Lac-Saint-Jean

« Tracer et construire une route à travers des montagnes hostiles et pleines d’embûches constituaient, pour le temps, des travaux titanesques, et ce, afin d’ouvrir un premier chemin de colonisation fait à bras d’homme. » (p. 117)

Cette seconde partie de l’ouvrage est la synthèse des recherches de l’autrice sur l’histoire de ce chemin, un projet d’envergure dans la seconde moitié du XIXe siècle qui n’avait pas que des défenseurs. Cette histoire est à mettre en relation avec les querelles économiques entre la voie terrestre et la voie fluviale, mais aussi politiques autour de l’accès à de nouvelles terres agricoles.

L’idée d’un chemin direct de Québec au Lac Saint-Jean date du début du XIXe siècle (première exploration en 1833). L’autrice retrace cette recherche de la route directe, En 1865, un chemin d’hiver avait été tracé. Elle montre toute la difficulté de cette entreprise dans un environnement peu favorable, une portion du trajet passe par un lieu-dit les Portes-de-l’Enfer. Elle décrit notamment l’expédition de Jean Gagnon et la lente progression du chantier et ses camps intermédiaires que Mme Davenport décrit comme des « vieilles cabanes », sans doute très exotique pour une voyageuse huppée.

Entre 1869 et 1870, un chemin d’hiver fut ouvert entre le lac Jacques-Cartier et la paroisse de Saint-Jérôme au Lac Saint-Jean réalisé avec peu de moyens, la pelle et la pioche et des travailleurs bénévoles ou peu rétribués. Le parcours demeurait incertain entre janvier et avril, car si le gel permettait le franchissement des marécages et des rivières, le froid extrême ou les tempête de neige pouvaient être dangereux.

La route gouvernementale

La construction d’un chemin d’été est au cœur des débats politiques pour les élections de 1871. La présence du chemin dans la presse explique, peut-être, le désir insouciant de Mme Davenport, arrivée depuis peu d’Angleterre, de suivre ce chemin. En réalité, à cette date en réalité, si un tiers du

parcours était une véritable route (77 km entre Stoneham et la rivière Jacques-Cartier), praticable en été, le reste (à partir de l’extrémité sud du lac Jacques-Cartier) était un chemin d’hiver, une piste

balisée. Les arbres abattus le long du parcours qui ont tellement entravé le cheminement de l’équipée, n’étaient pas des obstacles sous la neige de l’hiver.

Le boulevard aux Lièvres

Les travaux reprirent dès l’été 1872, depuis chaque extrémité de la piste balisée. Ils avancent lentement. Au bout de huit ans de travail, seuls les deux tiers du parcours sont carrossables et des camps de relais sont aménagés tous les 19 km. L’investissement est important déjà 81 476 $ ont été dépensés sur les 95 000 $. Le voyage demeure parfois difficile comme le montre la traversée de la famille Flamand, partis s’installer sur les bords du lac Saint-Jean en 1878 ou le voyage du journaliste Ernest Myrand en 1882. L’entretien du chemin était de plus très onéreux (7 936 $ en 1876), il fut abandonné, d’où son surnom de « boulevard aux Lièvres », au profit du progrès que représentait le chemin de fer dont les travaux commencèrent en 1880.

Qui était M me Davenport ?

L’autrice nous dresse le portrait de l’auteur du journal et héroïne de l’aventure et de sa famille. Ellen Parker était née en Angleterre en1848, c’était donc une toute jeune femme lors de cette aventure. En 1870, elle avait épousé Malcolm Nugent Ross Davenport, capitaine de la 5e milice du Lancashire, né en 1849. Le jeune couple, issu de l’aristocratie aisée anglaise, avait une longue habitude de l’équitation. Ils sont inscrits au printemps de 1871, au registre du recensement à Sillery où vit la communauté anglophone aisée dans la banlieue de Québec.

L’autrice imagine le dépaysement de la jeune anglaise dans la forêt boréale.

Après son équipée malheureuse, Mme Davenport s’adonne, d’après la presse, à l’équitation : concours hippiques et chasses à courre. Le couple semble avoir eu une vie chaotique et des problèmes financiers. Malcom Davenport meurt de la tuberculose en 1887, on n’a peu de traces de son épouse sinon son décès en Angleterre en 1890.

« La construction d’un chemin entre Québec et le Lac-Saint-Jean constitue une histoire à rebondissements multiples » (p. 183)

Durant la période d’abandon la portion entre le lac Jacques-Cartier et la rivière aux Écorces, était parcourue par les braconniers de saumons et les chasseurs de caribous, jusqu’à la création en 1895 du Parc national des Laurentides. Mais dès les années 1920 le développement de l’automobile relança l’idée de la route directe de Québec au lac. En 1934 le nouveau chemin de la Transmission est né de l’automobile et de la ligne électrique. La modernisation date des années 1945 à 1958 avant qu’elle soit élargie à quatre voies reliant le Saguenay–Lac-Saint-Jean à la région de Québec (inauguration 2013).

 

Pour l’autrice : « La route de la réserve faunique des Laurentides est aujourd’hui la plus belle route du Québec, avec ses panoramas grandioses, ses chaînes de montagnes à perte de vue, ses lacs et ses rivières innombrables, ses marécages verdoyants et sa sauvage forêt boréale. » (p. 186).

Un ouvrage à recommander aux étrangers qui visitent le Québec.