En se volatilisant du jour au lendemain le 3 octobre 1990, la RDA a perdu le droit d’écrire sa propre histoire. Katja Hoyer s’est appuyée sur des entretiens, correspondances, archives pour donner à entendre un vaste registre de voix venues de l’Allemagne de l’Est. Historienne germano-britannique, née en RDA, Katja Hoyer est membre de la Royal Historical Society. L’ouvrage comprend un cahier central avec des photographies.

En tenailles entre Hitler et Staline : 1918-1945

10 000 communistes furent incarcérés en Prusse dans les deux semaines qui suivirent l’incendie du Reichstag. Les communistes allemands fuirent en Russie et c’est à Moscou plus qu’à Berlin que commença à germer l’idée d’un communisme sur le sol allemand. Cependant, aux yeux de Staline, ceux qui avaient échappé à Hitler pouvaient être des espions. Le parcours de Walter Ulbricht montre que dans les années 30 et 40 c’étaient l’obéissance et l’utilité qui décidaient de la carrière des communistes allemands. Avec la disparition de 70 % des membres du KPD enregistrés en 1933, la plus grande partie des communistes allemands s’était évaporée : il ne restait que les idéologues.

Renaître au milieu des ruines 1945-1949

Dans toutes les régions allemandes, les habitants furent nombreux à vivre ce premier contact avec les Soviétiques comme une agression d’une grande violence. Les instructions données à Ulbricht allaient dans le sens d’une solution pour l’ensemble de l’Allemagne et non uniquement pour la zone occupée. 20 millions d’Allemands sont alors sans abri. L’autrice revient sur le blocus en rappelant que 277 804 appareils ravitaillèrent la capitale allemande. La République démocratique allemande, l’enfant non désiré de Staline, était l’avant-poste le plus à l’ouest de son empire soviétique.

Les douleurs de l’enfantement 1949-1952

En 1949, la RDA comptait 18,4 millions d’habitants contre 50 millions côté RFA. A l’Est, on comptait 80 % de protestants et il s’agissait d’une région majoritairement agricole. Si à sa création en 1950 la Stasi était une organisation de 1100 membres, elle allait vite devenir l’un des services de police les plus importants et les plus complexes du monde. Les Allemands de l’Est dans les années 50 voulaient la paix, la sécurité et l’emploi, de quoi manger et retrouver une vie normale. Si le nouvel état ne pouvait pas s’appuyer sur le soutien de la population, il ne rencontrait pas non plus dans l’immédiat une résistance généralisée. Des spécialistes est-allemands furent transférés en URSS et manquèrent beaucoup au nouveau pays qu’était la RDA.

La construction du socialisme 1952-1961

Malgré les fanfaronnades d’Ulbricht, l’Allemagne de l’Est luttait pour répondre aux besoins essentiels de sa population. En 1953, plus de 120 000 personnes avaient déjà quitté la RDA. Une des grandes ironies de l’histoire est que le mépris d’Ulbricht pour les souhaits de son peuple a assuré sa survivance politique et aussi celle de la RDA. Les Soviétiques lui demandèrent de cesser la guerre des classes et la collectivisation de l’agriculture. La dette que la RDA avait vis-à-vis de l’URSS est annulée ce qui redonne de l’air économique au pays. Le soulèvement de 1953 avait montré la profondeur du ressentiment d’une partie de la population envers les occupants soviétiques. Il faut mentionner la place spéciale qu’avaient les femmes en RDA. Un peu plus de la moitié travaillait alors que ce taux était de 27 % en RFA. Contrairement aux dirigeants politiques des autres pays, l’élite de la RDA vivait dans un environnement modeste.

Brique après brique 1961-1965

Avant que le mur ne soit construit, la RDA a déjà perdu 7500 docteurs et 1200 dentistes. La première forme du mur de Berlin fut une suite aléatoire de constructions réalisées avec les moyens du bord. Avec des paquebots propriété de l’Etat, les autorités de la RDA essayaient d’offrir un niveau de vie comparable à celui de la RFA. Le problème était qu’en transportant ainsi des passagers, le régime risquait d’en perdre à chaque port. En organisant les congés et en allouant de généreuses primes vacances, le régime était parvenu à fournir aux masses populaires un moyen remarquablement efficace de profiter de la vie dans les années 60. Cela permit d’apaiser les tensions nées de l’érection du mur. La Trabant, loin d’être vue comme dépassée, était un élément qui emportait l’adhésion de la population. Les Allemandes de l’Est continuaient de disposer d’une autonomie professionnelle et économique plus grande qu’à l’Ouest. Une fois le clivage idéologique fixé dans le béton, le calme s’installa. Il ne faut pas réduire la RDA au mur construit dans la capitale.

L’Autre Allemagne 1965-1971

Alors qu’en 1960, seuls 6 % des ménages disposaient d’un lave-linge, les choses avaient changé en 1970 avec un chiffre de 50 %. Le même genre de croissance se retrouve sur des produits comme les réfrigérateurs. Le niveau de vie moyen est-allemand s’améliora grandement. Les bons résultats se virent aussi dans le sport. L’autrice n’en oublie pas la pratique du dopage mais insiste pour dire que cela n’aurait servi à rien sans une base solide et large de sportifs parmi lesquels ils ont été sélectionnés.

Des miracles planifiés 1971-1975

Ulbricht démissionna en 1971 et fut remplacé par Honecker. La RDA remporta quelques victoires de prestige comme ce match de la coupe du monde de football 1974 contre la RFA. L’autrice développe également la Westpolitik et son organisation.

Amis et ennemis 1976-1981

Il était possible de se garder un espace privé dans le régime de RDA. Jusqu’en 1977, la RDA était bien achalandée en produits comme le café. Ce produit est un bon exemple des difficultés qui surgirent ensuite dans le pays car il fut de plus en plus vendu sous forme mélangé pour pallier les problèmes d’approvisionnement. L’autrice relate également les politiques de rapprochement et d’échanges de travailleurs avec Cuba en montrant leur peu de poids. S’appuyer sur l’URSS s’avérait de plus en plus dommageable pour la RDA. Il ne faut pas comparer la RDA à l’aune des critères capitalistes de l’ouest. Le concept d’ « amitié entre les peuples » était bien plus qu’un lieu commun. Sous la direction d’Honecker, la militarisation de la société avait atteint de nouveaux sommets. Elle était devenue une caractéristique systémique de la RDA. En dépit de toutes les difficultés, les années 1970 constituèrent un point d’orgue pour le niveau de vie de ses habitants, le plus élevé du monde communiste, et nombreux furent ceux qui vécurent cette décennie comme une époque de stabilité et de confort matériel relatif. Mais, la proximité avec l’Ouest et les poches de consumérisme permirent à l’odeur alléchante du capitalisme d’entrer.

Le confort matériel a semé le doute dans l’esprit des gens et laissé le pays errer dans sa troisième décennie sans avoir une idée claire de l’orientation à prendre.

Insouciance existentielle 1981-1986

L’URSS a besoin de s’occuper de son économie et la RDA ne peut donc plus compter sur les crédits soviétiques. La RDA se retrouve dans une situation impossible avec également la baisse de livraison de pétrole. Honecker et Kohl étaient conscients de partager le même destin patriotique. Ils avaient le sentiment d’avoir une responsabilité unique vis-à-vis de l’histoire, celle de maintenir la paix en Allemagne et en Europe.

Rien n’arrête le cours du socialisme 1987-1990

La RDA continua de réaliser des prouesses sportives. Lors de toutes les éditions des Jeux olympiques des années 1980, d’hiver comme d’été, la RDA est arrivée deuxième dans le classement des médailles par nation, sauf en 1984 où elle termina même première devant les États-Unis et l’URSS. Tout au long de l’année 1989, le sentiment de la nécessité d’un changement gagna en intensité. L’autrice raconte ensuite ces moments étonnants qui aboutirent au passage à l’Ouest de nombreux Allemands de l’Est. L’une des grandes étapes de la réunification fut l’union monétaire à partir du 1er juillet 1990. Le 3 octobre 1990, la République démocratique allemande cessa d’exister.

Un grand nombre d’Allemands de l’Est ont tendance à ne pas utiliser le terme de réunification préférant parler de l’époque du tournant. L’un des plus gros obstacles à l’unité allemande après 1990 a été le déséquilibre économique entre l’Est et l’Ouest. Les politiques sociales successives de la RDA ont laissé des marques. Avec ce livre, l’autrice remplit parfaitement ce qu’elle annonce, à savoir prendre la RDA pour ce qu’elle est, un pan de l’histoire du pays, au-delà du Mur.