L’ambition de ce livre est de présenter une vision d’ensemble de la politique extérieure allemande depuis la création des deux Etats allemands en 1949.

On part d’une situation, le 8 mai 1945, où l’Allemagne disparaît en tant qu’Etat à une situation, près de 80 ans plus tard, où elle a retrouvé l’essentiel des leviers de la puissance. Cette puissance retrouvée ainsi que les raisons et les modalités de ce retour constituent le fil conducteur de l’ouvrage.

Les auteurs : Sylvain Schirmann est Professeur émérite d’histoire des relations internationales de l’université de Strasbourg. Martial Libera est professeur d’histoire contemporaine à l’IUT Robert Schuman de la même université.

Le cadre de la politique étrangère de l’Allemagne

Un chapitre liminaire est consacré à la présentation des modalités, des principes et des acteurs de la politique étrangère allemande. Il rappelle les principes de la Loi fondamentale (Grundgesetz), la constitution de la République fédérale allemande, en matière de politique extérieure ouest-allemande. Ses grandes orientations sont largement conditionnées par le passé, notamment national-socialiste, repoussoir et contre-modèle absolu. La RFA est privée d’une partie de sa souveraineté jusqu’en 1989 et inscrit son action dans une approche multilatérale : ses forces militaires sont exclusivement défensives et ne peuvent être intégrées que dans des structures politico-militaires de sécurité collectives (ONU, OTAN, Union de l’Europe occidentale…) pour la seule préservation de la paix. Les principes inscrits dans la Loi fondamentale sont la préservation de la paix, la défense et promotion des droits humains, l’intégration au système international multilatéral, la réunification des deux Allemagnes. D’autres principes, non inscrits dans la Loi fondamentale, guident également l’action de la RFA, comme la reconnaissance de la suprématie du système juridique international et la renonciation aux armes ABC (atomiques, biologiques et chimiques). S’agissant des acteurs, il y a les instances fédérales, les prérogatives des Länder ainsi qu’un rôle d’acteurs non étatiques, passés successivement en revue.

La première partie de l’ouvrage (trois chapitres) traite des politiques étrangères des Allemagnes de 1945 à 1989.

Le rétablissement spectaculaire des facteurs de puissance (1945-1955)

Le chapitre 1 aborde la souveraineté retrouvée par l’intégration (1945-1955). En 1945, l’Allemagne est privée d’Etat et occupée. Les grandes orientations de la politique d’occupation en Allemagne, telles qu’arrêtées à la conférence de Potsdam (juillet-août 1945), dépendent avant tout de l’entente entre les Alliés. Or cette entente, déjà précaire en 1945, ne cesse de se dégrader, transformant les enjeux des politiques allemandes des Alliés. Les premières crises internationales de la Guerre froide à partir de 1948 confortent les deux camps, occidental et soviétique, d’intégrer la partie de l’Allemagne qu’ils contrôlent. Le livre montre qu’avant même la constitution de deux Allemagnes, différents milieux de la société civile allemande reprennent des contacts avec l’extérieur dans le cadre d’une sorte de diplomatie transnationale parallèle. Le cas des Allemands de la zone française d’occupation en donne un bon exemple.

A la faveur de la Guerre froide, l’Allemagne est divisée en deux Etats en 1949, la RFA (République fédérale d’Allemagne) et la RDA (République démocratique allemande), chacun rattaché à un des blocs.

Lorsqu’elle est créée en mai 1949, la RFA n’a pas recouvré la totalité de sa souveraineté, encore largement aux mains d’une Haute commission alliée qui a remplacé les gouvernements militaires des trois zones d’occupation anglaise, américaine et française. Le nouvel Etat, dirigé par le chancelier Konrad Adenauer, n’a pas le droit de se doter d’in ministère des Affaires étrangères jusqu’en 1951. En échange de son intégration à l’Ouest, Adenauer attend de ses partenaires occidentaux qu’ils restituent à son pays l’essentiel de sa souveraineté et qu’ils lui permettent d’assurer sa sécurité. Toute la politique extérieure de la RFA s’inscrit donc dans une dialectique « intégration – souveraineté ». Adenauer permet à la RFA de retrouver une honorabilité internationale, par ses engagements clairs. Un rapprochement avec les Etats-Unis est mené avec détermination, autant par calcul politique que par nécessité (sécuritaire, économique…). Il en va de même pour la construction européenne, moyen pour la RFA de retrouver de l’influence et un statut.

La question du réarmement de l’Allemagne, vite posée, mais délicate, n’évolue réellement qu’à partir du déclenchement de la guerre de Corée (juin 1950). Le traité de Bonn de mai 1952 met fin au statut d’occupation de la RFA et lui donne le droit de réarmer ainsi que « la pleine autorité » sur les questions intérieures et extérieures. Toutefois, ce traité devient caduc du fait de l’échec du projet de CED (Communauté européenne de défense), rejeté par la France en août 1954.

Cet échec, paradoxalement, permet à la RFA de devenir membre fondateur de l’union de l’Europe occidentale (UEO) en octobre 1954, tandis que son entrée dans l’OTAN est actée par les accords de Paris. L’entrée de la RFA à l’OTAN est effective en mai 1955, ainsi que le statut d’occupation. La Sarre redevient allemande en janvier 1957 (elle était jusque-là rattachée économiquement à la France). La solution du problème sarrois facilite la réconciliation franco-allemande déjà amorcée dans le cadre de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier). En 1955, la RFA apparaît solidement ancrée à l’Occident et son intégration a correspondu au recouvrement de sa souveraineté.

En revanche, l’intégration de la RDA au bloc communiste ne repose pas sur des bases similaires à celles de la RFA à l’Occident. L’URSS peine à considérer l’Allemagne de l’Est comme un véritable partenaire. De surcroît, la marche forcée vers le modèle soviétique détériore rapidement les relations entre la population est-allemande et ses dirigeants, d’autant que les manifestations massives de juin 1953 dans les grandes villes de RDA sont réprimées de manière brutale. L’intégration de la RDA au camp communiste s’apparente en réalité davantage à un alignement. Elle est effective sur le plan économique (en 1950, au sein du Conseil d’assistance économique mutuelle, ou CAEM), mais aussi politique et militaire (au sein du Pacte de Varsovie, à partir de 1955).

Entre 1945 et 1955, on assiste au rétablissement spectaculaire des facteurs de puissance des deux Etats allemands. La RFA connaît, dès 1955, les débuts de son miracle économique (Witschaftswunder) et la RDA devient rapidement le fleuron économique de l’Europe de l’Est.

L’ouvrage identifie les principaux facteurs du relèvement de la RFA : « réservoir démographique », potentiel industriel très largement préservé, abandon rapide d’une politique punitive par les Alliés occidentaux, aides surtout américaines (notamment du plan Marshall, mais pas seulement), mise en place de structures économiques et financières solides (une banque centrale, le Deutsche Mark…), sans compter une conjoncture internationale favorable et une politique active de l’Etat ouest-allemand.

La question de l’unité allemande est jugée « impossible » car si la réunification fait partie des objectifs prioritaires des deux Etats allemands, ces derniers ont des conceptions idéologiques antagonistes de la réunification. Volonté de rapprochement et mise à distance cohabitent, ce qui n’empêche pas les deux Etats d’entretenir des liens particuliers en matière économique : le commerce interallemand est un commerce à l’intérieur d’un même espace douanier en vertu d’un accord de septembre 1951, particularité non remise en cause par le traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne.

Aux divergences entre Etats allemands sur la question de la réunification s’ajoutent les divergences entre Occidentaux et Soviétiques : les initiatives et propositions, qu’elles viennent d’un côté comme de l’autre, échouent systématiquement, l’URSS souhaitant subordonner la réunification de l’Allemagne à sa neutralisation et les Occidentaux à la tenue d’élections libres.

L’entrée effective de la RFA dans l’OTAN en 1955 et l’intégration de la RDA dans le Pacte de Varsovie en 1956 sonnent pour longtemps le glas de tout espoir de réunification allemande.

Les auteurs montrent la dissymétrie de l’évolution entre les deux Etats allemands de 1945 à 1955 : alors que la RFA semble pouvoir reprendre en main sa destinée, notamment sur le plan international, l’Allemagne de l’Est paraît condamnée à n’exister que dans l’ombre de l’Union soviétique et de sa politique extérieure.

Les Allemagnes sur la scène internationale  : une puissance consolidée (1955-1975)

Le chapitre 2 traite la consolidation des deux Etats allemands. Les ancrages respectifs des deux Etats allemands se renforcent, même si les relations entre la RFA et les Etats-Unis connaissent quelques tensions à partir des années 1960, la RFA craignant un désengagement américain en Europe. A l’opposé, la RFA noue des relations étroites avec la France, après le règlement de la question de la Sarre, comme en témoigne la signature du traité de l’Elysée en janvier 1963, qui scelle la réconciliation interétatique entre les deux pays et prévoit une coopération étroite dans trois domaines (les affaires étrangères, la défense, l’éducation et la jeunesse). Cependant, les années 1963-1969 sont une période d’étiage des relations franco-allemandes, de Gaulle ne s’entendant pas bien avec les successeurs de Konrad Adenauer. Quant à la politique européenne de la RFA, celle-ci est constante entre 1955 et 1974, mais se heurte régulièrement à une politique française diamétralement opposée (en particulier sur la question du fédéralisme ou de l’élargissement).

A l’Est, la RDA poursuit son intégration dans l’Europe communiste, jouant de plus en plus au sein du CAEM le rôle de fournisseur technologique de produits élaborés de très haute qualité. Elle s’affirme comme un allié indéfectible de l’URSS.

Sur le plan international, la RFA devient une puissance moyenne à l’échelle du monde, faisant partie des sept pays les plus industrialisés. Dans les années 1960, la RFA devient un géant commercial et le Deutsche Mark devient la seconde monnaie mondiale au début des années 1970.

Les deux Allemagnes deviennent des pièces maîtresses des deux camps de la Guerre froide, en particulier sur le plan militaire, avec des effectifs et des matériels importants. Enfin, chacune des deux Allemagnes s’efforce de développer un soft power, dans le domaine de la culture et du sport en particulier.

Par leur regain de puissance et les rôles de premier plan qu’ils retrouvent au sein de leurs alliances, les deux Etats allemands sont amenés à prendre position sur des grandes questions internationales comme le désarmement et la décolonisation et, ce faisant, reprennent pied sur des espaces où ils étaient absents (relations avec le Tiers-monde, aide au développement…).

Plusieurs pages sont consacrées à ce qu’on appelle l’Ostpolitik (politique à l’égard de l’Est, la RDA au premier chef, mais plus globalement du bloc soviétique). Cette politique est initiée au début des années 1960 (pour tenir compte de la situation nouvelle née de l’érection du Mur de Berlin en août 1961), mais c’est véritablement l’arrivée au pouvoir d’une grande coalition en 1966, associant le SPD et la CDU, qui permet cette Ostpolitik, un des axes clés de la politique du ministre SPD des Affaires étrangères Willy Brandt. Néanmoins, compte tenu de la situation en Europe (avec la répression du printemps de Prague en 1968), ce n’est qu’avec l’arrivée de Brandt à la chancellerie en 1969 et une nouvelle coalition sociale-libérale (SPD-FDP) que l’Ostpolitik aboutit à une série de traités entre la RFA et plusieurs pays de l’Est entre 1970 et 1973. Ils sont permis grâce à la reconnaissance par la RFA des frontières issues de la Seconde Guerre mondiale et de l’existence d’un autre Etat allemand. Cette Ostpolitik participe à la consolidation de la Détente et permet l’admission conjointe de la RFA et de la RDA à l’ONU en septembre 1973.

Les Allemagnes en pointe de la mondialisation (1975-1989)

Le chapitre 3 traite des années 1973 à 1989 (« Une ambition mondiale ? »). Le nouveau contexte qui se met en place à partir de 1973, marqué par une crise économique mondiale, le sommet puis la détérioration de la Détente, mais aussi les débuts de la mondialisation, voit les Allemagnes se renforcer sur la scène internationale. La crise économique des années 1970 marque le rééquilibrage des relations germano-américaines et la fin de l’asymétrie de leur relations, la RFA devenant une concurrente redoutée des Etats-Unis, à une période de faiblesse économique et politique américaine. S’agissant des relations avec les pays du Proche-Orient, après avoir établi des relations avec Israël en 1965, la RFA rééquilibre ses relations avec les pays arabes après la guerre des Six jours en 1967. La guerre israélo-arabe de 1973 et le choc pétrolier qui s’ensuit apportent une nouvelle inflexion à la politique ouest-allemande, des relations économiques étant nouées avec les pays arabes. A partir des années 1970, le poids de la RFA se renforce au sein de l’Europe communautaire, de même que le couple franco-allemand qui permet toute une série d’avancées européennes répondant aux intérêts de Bonn (notamment la création du Système monétaire européen, en 1979, ou l’Acte unique européen en 1986).

Si sa fidélité aux alliés occidentaux reste une constante, la RFA affirme de plus en plus ses intérêts propres sur les plans économique et culturel. Dans les années 1980, la RFA devient la première puissance exportatrice mondiale, œuvrant en faveur d’un marché mondial libre et unifié, continuant grandement à l’Acte unique européen de 1986, qui prévoit la mise en place d’un marché unique en 1992 avec la disparition des frontières internes à la Communauté. Toutefois, Bonn, fidèle à sa diplomatie de la retenue, refuse d’assurer tout leadership.

A partir du changement de majorité politique en 1982 (retour au pouvoir de la coalition entre chrétiens-démocrates et libéraux), la politique culturelle du chancelier Kohl est plus directement mise au service des intérêts nationaux, par exemple dans le domaine de l’enseignement de la langue allemande à l’extérieur. Les succès de la politique culturelle ouest-allemande doivent beaucoup à de véritables échanges avec les cultures des pays hôtes. Toutefois, la nouvelle puissance de l’Allemagne sur les plans politique, militaire, économique et culturel fait peur, ce qui entraîne une multiplication des critiques visant la RFA en Europe occidentale comme aux Etats-Unis.

Après l’entrée des deux Allemagnes à l’ONU en 1973 et la reconnaissance de la RDA qu’elle implique, la RDA d’Erich Honecker essaie de développer une politique extérieure en tant que telle, non focalisée sur la question de la reconnaissance internationale de l’Etat est-allemand. La RDA redoutant que le modèle ouest-allemand exerce une attraction auprès de sa population, Berlin-Est développe une politique qui s’appuie simultanément sur deux volets : d’abord une politique d’Abgrenzung, c’est-à-dire de démarquage net vis-à-vis de la RFA. Ainsi, par exemple, avec la modification de sa constitution, en 1974, la RDA supprime toutes les références à la réunification. Ensuite, la RDA réaffirme ses liens avec l’URSS, dont elle entend être l’alliée la plus fidèle. Berlin-Est calque ses relations avec les pays communistes sur celles de Moscou. Outre la diffusion du socialisme, la RDA entend également accroître son commerce extérieur et son influence culturelle, mais les résultats obtenus sont en demi-teinte.

Toutefois, malgré la politique d’Abgrenzung, les relations entre les deux Etats allemands se renforcent. Ainsi, les voyages de la RDA vers la RFA se développent, surtout après la Perestroïka et la libéralisation du bloc soviétique. Le commerce interallemand triple entre 1972 et 1985.

L’ouvrage fait une large place à la crise des euromissiles, qui marque la communauté de destin des deux pays et contribue à une prise de conscience et à un rapprochement des deux sociétés.

A partir de l’ère Gorbatchev, les principes de glasnost et de perestroïka pour réformer la société soviétique mettent en danger les régimes satellites d’Europe centrale et orientale, et particulièrement la RDA. Dès lors, la RDA renie son soutien sans faille à la ligne soviétique et entre en résistance. L’ouverture de la frontière austro-hongroise en mai 1989 accélère le flot des départs vers l’Ouest qui se transforme en exode massif. L’annonce faite par l’U.R.S.S. en juillet 1989 qu’elle met un terme à sa politique d’intervention militaire en Europe centrale sonne comme un désaveu pour le régime de Berlin-Est et libère les énergies et à l’automne de 1989, les protestataires est-allemands forment de véritables manifestations de masse. Avec la chute du mur de Berlin la nuit du 9 novembre, la Wende (le « tournant ») est bel et bien engagée.

La seconde partie (trois chapitres), rédigée par Sylvain Schirmann, traite de la politique extérieure de l’Allemagne de la réunification à nos jours.

Réunification et quête de normalisation (1989-1998)

Un prologue concerne les années 1989-1990, de l’ouverture du mur à la réunification. C’est le 28 novembre 1989 que le chancelier Kohl présente un projet de réunification, conscient du vide que risque de créer l’évolution interne de la RDA. De toute façon, la réunification de l’Allemagne ne peut se réaliser sans l’accord des quatre puissances victorieuses de 1945. Le traité d’unification (Einheitsvertrag) entre les deux Etats allemands est signé le 31 août 1990. Par le traité du 12 septembre 1990, l’Allemagne unie reconnaît que son territoire comprend exclusivement Berlin-Ouest et les deux anciens Etats allemands. La ligne Oder-Neisse devient la frontière définitive avec la Pologne et le nouvel Etat allemand s’engage à poursuivre une politique de paix. Grâce à ces précautions, l’Allemagne unie a le droit de choisir ses alliances, en l’occurrence l’Alliance atlantique. Le 3 octobre 1990, la RFA obtient la restauration de sa pleine souveraineté, mais n’annonce pas un nouveau Sonderweg (« voie particulière ») : l’Allemagne réunifiée emprunte les chemins de la politique extérieure de l’ancienne République de Bonn.

Le chapitre 4 traite du « chemin de la normalisation » sous Helmut Kohl (1990-1998). Dans le contexte post-réunification, la RFA rencontre de nouveaux problèmes. Ils sont internes, car l’absorption de la RDA au sein de la RFA doit être réussie. La réussite de la réunification a des implications internationales, les retrouvailles allemandes constituant de facto un élargissement de la CEE.

Il n’y a pas de tournant de la politique étrangère allemande au lendemain de la réunification. Les autorités allemandes s’efforcent de convaincre leurs partenaires de la continuité de la politique extérieure de la RFA. Cette dernière ne modifie pas sa politique multilatérale via sa participation aux organisations internationales et européennes. L’Europe demeure un investissement prioritaire. Construction européenne avec un partenaire français privilégié, réécriture de l’Ostpolitik, souci de la Russie constituent sur le continent européen les fondamentaux de la politique de la RFA. Celle-ci obtient un certain nombre d’avancées majeures lors de la négociation du traité de Maastricht (sécurisation du libre-échange à l’échelle de l’Union européenne, garantie d’indépendance de la Banque centrale européenne…). La RFA soutient également l’élargissement des organisations européennes aux Etats de l’Est européen. C’est au sommet de Madrid de 1995 que les Quinze prennent d’un commun accord la décision d’ouvrir des négociations d’élargissement avec les candidats est-européens.

De plus, au lendemain de la réunification, l’OTAN reste pour la RFA le centre névralgique d’une sécurité efficace. C’est en lien avec l’OTAN que Bonn envisage la politique extérieure et de défense européenne, les autres structures de sécurité (Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe, C.S.C.E. et Union de l’Europe occidentale, U.E.O.) lui étant subordonnées.

A l’égard de la Russie, la RFA joue un rôle d’intermédiaire avec le monde occidental, cherchant à prendre en considération les intérêts de la Russie en matière de sécurité et plaidant en faveur de la mise en place d’une coopération OTAN-Russie. L’acte fondateur des relations entre l’OTAN et la Russie est signé en mai 1997, instituant un Conseil conjoint permanent OTAN-Russie, en grande partie dû à l’intercession allemande. De même, la RFA milite pour qu’une plus grande place soit faite à la Russie dans les organisations multilatérales ou européennes (G7, OSCE, Conseil de l’Europe…).

Dès la réunification allemande, le gouvernement fédéral et le chancelier Kohl annoncent cependant leur intention d’assumer de nouvelles responsabilités internationales. Faut-il poursuivre dans une culture de la retenue, ou s’engager de manière accrue dans la sécurité internationale ? La RFA devient plus active, par exemple dans l’espace yougoslave, où elle envoie des hommes et des financements dans des missions de l’ONU. Les ressortissants allemands pratiquent essentiellement des tâches de maintien de la paix et ne sont pas affectés à des opérations combattantes ou à risque. Cette politique d’envoi de soldats allemands sur les terrains extérieurs est validée en juillet 1994 par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe pour qui la Loi fondamentale allemande n’empêche pas de rejoindre un système de sécurité collective, dès lors que le consentement du législateur, via le Bundestag, est obtenu à chaque engagement de troupes allemandes. A partir de cet arrêt, la RFA accentue sa présence dans les OPEX, les opérations extérieures, (dans les Balkans, en Géorgie, en Somalie, au Rwanda). En fin de compte, si des évolutions sont perceptibles, elles s’inscrivent néanmoins dans une politique de continuité globale.

La normalisation internationale (1998-2005)

Le chapitre 5 concerne la politique de normalisation du chancelier Gerhard Schröder (1998-2005). La continuité en politique extérieure est le maître mot des nouveaux dirigeants allemands (coalition SPD-Les Verts) même si le nouveau chancelier explique, à la fin de 1998 et au début de 1999, que l’Allemagne doit être « une nation consciente de sa valeur et adulte » et qu’« il ne peut et ne doit y avoir d’exception allemande ». L’Allemagne doit donc assumer pleinement ses responsabilités et défendre ses intérêts de manière plus décomplexée, pour devenir un « pays normal ». Ainsi, le chancelier Schröder souhaite obtenir une réduction de la participation budgétaire allemande aux charges de l’Union, refusant de continuer à jouer le rôle de payeur de l’UE. La RFA défend également ses intérêts en proposant une réforme des institutions de l’UE, qui aboutit au compromis de Nice en décembre 2000 et au traité de Rome de décembre 2004. Berlin obtient aussi en décembre 2001 la tenue d’une Convention chargée d’élaborer une constitution européenne, dont la présidence est confiée à Valéry Giscard d’Estaing. Enfin, l’Allemagne défend un élargissement large à l’Est et une politique européenne de voisinage (notamment avec la Russie).

Par touches, le chancelier Schröder se rapproche du concept français d’« Europe puissance », capable de faire entendre sa voix et de peser sur le règlement des conflits. L’Allemagne est prête également à intervenir, dans le cadre de l’OTAN, sur des théâtres d’opérations extérieurs (par exemple dans les Balkans). L’ère Schröder amplifie la participation des militaires allemands à des missions humanitaires et de lutte contre le terrorisme, toujours dans un cadre multilatéral (UE, ONU, OTAN). Un certain nombre de différends affectent la qualité du lien transatlantique de l’Allemagne (crise du Kosovo, crise irakienne, opérations américaines en Afghanistan…) et montrent que l’alignement systématique sur les Etats-Unis est révolu. Certains auteurs ont parlé d’une « lune de miel » entre la Russie et l’Allemagne pendant la période Schröder, aucun autre pays de l’UE n’ayant autant d’échanges avec la Russie que l’Allemagne. Berlin et Moscou entretiennent un « partenariat stratégique », ce qui n’est pas sans provoquer des frictions avec les pays de l’Est européen.

La puissance européenne pour le monde (2005 à nos jours)

Le chapitre 6 traite de l’Allemagne d’Angela Merkel (2005-2021), période où la puissance se veut « discrète » selon les auteurs du livre. Si la nouvelle chancelière a l’intention d’infléchir la politique de son prédécesseur, elle prend ses fonctions dans le cadre d’une grande coalition (CDU/CSU-SPD), ce qui inscrit d’emblée sa ligne dans la continuité de l’équipe Schröder, sans empêcher quelques ajustements. Les élections de 2009 aboutissent à une coalition plus classique de la CDU avec le parti libéral FDP, ce qui donne à la chancelière plus de marge de manœuvre pour fixer le cap de la diplomatie allemande. Les élections de 2013 conduisent à nouveau à la constitution d’un gouvernement de grande coalition (jusqu’en 2021), avec Franz Walter Steinmeier aux Affaires étrangères, favorable à un plus grand engagement allemand sur la scène internationale.

Angela Merkel s’efforce de relancer la construction européenne. Le traité de Lisbonne de décembre 2007 constitue un succès obtenu à force d’engagement et de pragmatisme. En revanche, la crise des subprimes de 2008 voit une Allemagne critiquée (notamment par la France) pour son refus de participer à une politique de relance de l’économie européenne, attachée qu’elle est au pacte européen de stabilité et de croissance. Le constat du surendettement de la Grèce en 2010 et la crise de l’Euro qui s’ensuit met à mal les relations de la RFA et de ses partenaires européens, mais des compromis finissent par être trouvés, grâce au ralliement de l’Allemagne à une meilleure coordination entre les pays de la zone Euro et à celui de la France vers une plus grande maîtrise des déficits publics.

L’attitude d’accueil massif de réfugiés par la RFA à partir de l’été 2015 inquiète beaucoup d’Etats européens, notamment d’Europe centrale, qui n’ont pas la même approche. La gestion de la crise souligne les vulnérabilités allemandes et montre les limites d’une diplomatie du chéquier. De surcroît, les attitudes allemandes en matière de sécurité, de défense et d’implication dans les crises internationales inquiètent. En particulier, l’Allemagne s’oppose à l’idée américaine d’une OTAN globale, défendant les intérêts du monde occidental, préférant une Alliance devant prioritairement assurer la sécurité du continent européen. Avec les Etats-Unis et certains partenaires européens les divergences, s’expriment ouvertement sur l’Afghanistan : l’Allemagne est plus que réticente à l’engagement de troupes dans des opérations de combat. Berlin veut rester essentiellement une « puissance civile » dont relèvent les opérations de maintien de la paix en Afghanistan ou ailleurs. Au moment de la crise libyenne, la retenue allemande atteint des niveaux d’incompréhension très forts chez les alliés. La position de la RFA change sensiblement à l’occasion de la crise syrienne, notamment après les attentats de Paris de 2015 et ceux qui se déroulent sur le sol allemand en 2016. L’Allemagne s’engage dorénavant plus directement dans le conflit syrien. Vis-à-vis de la Russie, la RFA poursuit sa politique de partenariat stratégique. Le financement des projets North Stream, gazoducs qui relient directement la Russie à l’Allemagne en passant par la Baltique, est largement assuré par des groupes allemands. Ce tropisme russe s’explique à la fois par des enjeux mémoriels, des conceptions géopolitiques et des intérêts économiques. Il faut attendre la crise de 2014 et l’annexion de la Crimée ainsi que le soutien de Moscou aux sécessionnistes de l’Est ukrainien pour que la position allemande s’infléchisse. Le meilleur marqueur de la présence internationale de l’Allemagne est encore l’économie, avec une participation active dans les organisations internationales. Berlin, dans la nouvelle économie-monde, s’intéresse tout particulièrement à la Chine, accordant la priorité aux relations commerciales entre les deux pays.

En définitive, la ligne directrice de la politique extérieure allemande est empreinte d’une culture de la retenue, du respect des règles communes et de l’implication dans les organisations européennes et internationales, de l’ordo-libéralisme et des objectifs de maintien de la paix et du respect des droits de l’homme.

Un épilogue évoque les débuts de la coalition tripartite SPD, FDP, Verts sous la direction d’Olaf Scholz, en soulignant le poids de la guerre en Ukraine sur la politique étrangère du nouveau chancelier à partir de février 2022.