Né d’un colloque organise à Lyon en 2009 cet ouvrage est le fruit d’une rencontre des chercheurs venus de divers horizons et d’enseignants qui ont en charge l’enseignement du fait colonial.
Deux parties, l’une scientifique rapproche des études variées autour de la contradiction du projet et des réalités de la colonisation. Si l’école a été le vecteur de la formation des élites elle a débouché sur des emplois subalternes offerts aux auxiliaires indigènes et interroge la notion de « mission civilisatrice » A partir des évolutions historiographiques récentes notamment autour du rapport colonisateur/colonisé, elle ouvre sur une approche renouvelée et globale de ces questions.
La seconde partie porte sur la transmission du fait colonial aujourd’hui, elle fait une place à l’analyse des programmes et des manuels, sur le choix des documents mais aussi sur l’enjeu d’identité et la nécessaire mise à distance des mémoires collectives différentes voire antagonistes.
L’école en situation coloniale
Pascal Clerc ouvre la réflexion sur les savoirs géographiques et la géographie scolaire au regard de la question coloniale (1863-1914).
Il met en lumière les inter-relations entre expansion coloniale et évolution de la géographie scolaire: voyages de découvertes et introduction des mondes lointains dans le champ enseigné, une géographie utilitaire au-delà de la géographie nationaliste après la défaite de 1870. La présentation des programmes montre la lente autonomisation de la géographie face à l’histoire au cours du XIXème siècle vers un projet de connaissance et de mise en valeur de la planète.
L’auteur met ensuite cette géographie scolaire en regard de la géographie vidalienne d’où il ressort une évolution intégrant après la Conférence de Berlin l’idée d’une défense des intérêts nationaux. les textes de Marcel Dubois, titulaire de la chaire de géographie coloniale crée en 1892, confirment la promotion d’une géographie au service de la colonisation.
Carine Eizlini propose un portrait de Georges Hardy, pédagogue et idéologue en AOF, choisissant d’aborder la complexité de la démarche coloniale à l’échelle d’un personnage. Elle décrit la pratique de terrain et la réflexion d’homme sur les contradictions du projet de mission civilisatrice: domination versus émancipation. ces contradictions se retrouvent dans les manuels scolaires, en particulier d’histoire et géographie, écrits par Georges Hardy pour l’AOF au début du XXème siècle. L’analyse des manuels montre à la fois la volonté d’une adaptation des contenus enseignés, une « pédagogie indigène », un ancrage local pour un enseignement utile tout en montrant un intérêt pour les civilisations autochtones et en affirmant le bien fondé de la colonisation.
C’est à une question encore peu travaillée qu’est consacré le troisième article d’Anissa Hélie : Former à son image , normes de genre et institutrices européennes en Algérie colonisée (1910-1940). Dès l’école normale plus calquée sur la métropole que sur le monde colonial les institutrices sont un modèle social. Elles enseignent majoritairement dans les petites classes et jouent un rôle crucial dans la francisation de leurs élèves européennes comme indigènes. elles se doivent de transmettre les normes de genre: conduite sexuelle irréprochable, image de l’épouse et de la mère.
Toujours en Afrique du Nord Driss Abbassi pose la question du rapport entre la mission civilisatrice et l’identité. Partant des manuels scolaires il montre une identité construite par référence à la géographie et à l’histoire de l’Afrique du Nord: civilisation héritière de la colonisation romaine mettant l’accent sur une histoire commune et « naturelle » entre métropole et colonie, les deux rives de la Méditerranée tout en insistant sur la justification de la colonisation comme dans les manuels métropolitains. Il montre l’évolution tardive (1950) avec les premières référence à la civilisation musulmane.
C’est le projet colonial en Afrique noire qu’Amadou M. Camara traque dans les programmes d’histoire et géographie. Jusqu’à l’indépendance la La France métropolitaine est au centre des programmes puisque visant à l’assimilation. On note même après la seconde guerre mondiale un recul de la place faite aux leçons sur le Sénégal au profit de celles sur l’Europe. La seconde partie de l’article évoque le rôle de Organisation Commune Africaine et Malgache dans l’élaboration des programmes post-indépendance : panafricanisme sans toutefois renoncer à une ouverture sur la France et l’Europe.
Enseigner le fait colonial à l’école
L’école des colonies objet d’étude et d’enseignement, pour Marie-Albane de Suremain c’est une manière de renouveler les approches de l’enseignement du fait colonial en étudiant le face à face colonisateur/colonisé. L’auteur analyse l’évolution des programmes de 4ème et de 1ère et les mutations en cours. Si le traitement des manuels reste encore très européocentré, l’évolution dans le choix des documents iconographique montre un recul des images de propagande au profit des photographies mettant en scène les populations colonisées. C’est une analyse fine dans les manuels de la place et du traitement de l’école en situation coloniale. La suite qui traite plus de l’école aux colonies aurait pu prendre place dans la première partie de ce livre.
L’article de Nicolas Harrison est lui aussi plutôt une approche de la question de l’école aux colonies ou plutôt de ses effets sur les élites à travers deux œuvres littéraires du Maghreb : « la statue de sel » d’Albert Memmi et « Nulle part dans la maison de mon père » d’Assia Djebar. L’auteur montre la trace identitaire laissé par l’école secondaire française sur ces deux auteurs et en particulier les ruptures entre l’idéologie républicaine et la culture familiale. il considère ces textes comme des témoignages mais de témoins comme à l’écart de la masse des colonisés.
Frédéric Garan s’intéresse à la place de l’insurrection malgache de 1947 dans les manuels français récents: une place secondaire, une rapide évocation. Malgré une tentative de l’inspecteur général Dominique Borne l’adaptation pour la réunion et l’océan indien est restée marginale.
A Madagascar où événement a laissé une trace mémorielle forte le traitement dans les programmes et manuels depuis l’indépendance reste influencé par l’écriture française de cette histoire. La situation actuelle entre mémoire et travail des chercheurs demeure à la recherche d’un difficile équilibre.
Frédéric Garan plaide pour que l’insurrection de 1947 soit en France une étude de cas car moins complexe que le cas indochinois et moins émotionnel que la guerre d’Algérie tout en introduisant les problématiques de la décolonisation.
Susanne Grindel aborde le récit postcolonial dans le manuel franco-allemand. L’histoire coloniale des deux puissances européennes ayant été assez différente la rédaction d’un texte commun n’a rien de facile; L’auteur analyse longuement les choix iconographiques, semble-t-il plutôt innovants par rapport aux manuels allemands.
La mise en perspective est assuré par les directeurs de l’ouvrage. Une occasion pour l’enseignant de réfléchir au sens de sa pratique sur cette question encore chaude.