Véronique Decker vit et enseigne dans le « 9-3» (ou «93»), à Bobigny. Elle y exerce depuis environ quinze ans en tant que directrice de l’école élémentaire Marie-Curie, plus exactement, située dans la cité Karl-Marx. De son expérience déjà importante (après une trentaine d’années, elle est à quelques années de la retraite), elle a déjà tiré un autre ouvrage : «Trop classe ! »Libertalia, coll. « N’autre école », n° 6, mars 2016, 10 €..

Dans L’École du peupleEn référence à la phrase de Célestin Freinet : «L’école du peuple sera l’œuvre des éducateurs du peuple». Mais aussi à son livre : Pour l’École du peuple, éd. Maspéro, «Petite collection», 1974. Ce livre était la réédition de L’École moderne française, éditions Ophrys, 1946. On y trouvera les fameux invariants pédagogiques qui ponctuent le livre de Véronique Decker., Véronique Decker opère par billets, que l’on dirait écrits sur le coup. En effet, l’écriture est directe, sans effet littéraire mûrement réfléchi, ce qui permet au lecteur de ressentir toutes les émotions qui traversent son auteur. Et des émotions, il y en a, tant positives que négatives. Véronique Decker montre la dégradation de son école, exemple parmi d’autres d’une dégradation plus large qui concerne une grande partie du système scolaire français. Sauf que là, dans la cité Karl-Marx, elle est ressentie plus sévèrement qu’ailleurs : le tissu a disparu depuis longtemps, et on se demande comment la trame qui s’y cachait mérite encore son nom. Les responsabilités sont d’ailleurs partagées. La municipalité a opté pour des cantines gratuites : très bien ; mais pour financer cela, il a fallu rogner sur les crédits scolaires. À commencer par l’encadrement des élèves, les déplacements, le chauffage, etc. L’État a détruit le réseau d’aide (RASED) qui permettait de subvenir tant bien que mal aux besoins des élèves à besoins éducatifs particuliers. Évidemment, plus de psychologue scolaire. Plus d’assistantes sociales. Guère d’ATSEMAgent territorial spécialisé des écoles maternelles.. Etc. L’école se retrouve ainsi être le dernier service public (entendez : «au service du public»), comme l’ultime bouée, rapiécée, secouée par les vagues. Ajoutez à cela les injonctions contradictoires venue d’une administration détachée de toute réalité (l’épisode du blâme est assez révélateur).

Mais Véronique Decker montre aussi la bienveillance et le dévouement de ses collègues, enseignants et personnel de service, aussi bien que les animateurs, qui cherchent à répondre à la détresse des enfants et de leur famille (puisque les parents ne sont forcément les interlocuteurs privilégiés de l’école, comme on pourrait s’y attendre). C’est le «merci» adressé par une jeune élève, pour une séance d’arts plastiques faite la veille. C’est Arezki qui, au retour d’une classe verte, a appris à absorber autre chose qu’un biberon et est devenu grand, félicité par sa grande sœur. Ce sont aussi les bénéfices obtenus à appliquer la «pédagogie» Freinet (en tout cas, à s’inspirer des pratiques de Célestin Freinet, adaptées et développées par beaucoup d’autres enseignants à sa suite). Toutes ces petites choses qui permettent à l’école de tenir, mais aussi aux élèves, à leur famille, au personnel.

On est loin des auto-biographies comme celle d’Édouard BledMes Écoles, Robert Laffont, 1977., qui décrivent un temps parfaitement révolu. Si les conditions n’étaient pas forcément idylliques (loin de là), l’école était au moins un lieu important dans chaque village, dans chaque quartier, et l’éducation un objet d’attention pour les pouvoirs publics : idéalisées, pour tout dire. À l’heure où certains discours politiques agitent LA solution à la «crise scolaire» sous la forme du retour à l’autorité (avec quels moyens ?) ou de l’introduction de l’uniforme, Véronique Decker invite à réfléchir aux véritables urgences au travers de ses soixante-quatre tranches d’école.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes