Les éditions Paquet ont développé une collection spécialement pour l’aviation, Cockpit. Un prince dans sa citadelle est donc d’abord un livre de pilotes : Saint-Exupéry bien sûr, mais aussi l’auteur et l’illustrateur, réunis pour cet ouvrage par leur passion. Et par leur famille. Car leurs pères sont également des pilotes, l’un militaire, l’autre ancien de l’aéropostale et ami de Saint-Ex. Ce livre est une croisée de multiples chemins, ce qui se retrouve dans l’écriture et les illustrations : précision technique, écriture parfois au scalpel, approche journalistique, poésie, galerie de portraits de St Ex, à la fois toujours le même et évoluant entre enfance et âge adulte, entre ciel et écriture, échecs et accidents, déserts et luxe new-yorkais.
Malgré un grand souci des détails, il ne s’agit pas vraiment d’une biographie historique car aucun appareil ne recense les sources, et l’ouvrage se lit comme un roman, tout en étant au plus près de la réalité de l’aviation sur laquelle l’expertise des auteurs est très grande. Cela rend d’ailleurs certains passages un peu difficiles pour les néophytes vite noyés sous les caractéristiques techniques des différents avions. La carte dessinée en introduction et les illustrations sont des aides précieuses pour contextualiser l’écriture.
L’auteur cherche à retrouver l’homme sous les différents mythes qui l’entourent, avec un découpage en huit chapitres chronologiques marquant différentes étapes de sa vie et qui correspondent chacun à un portrait de Romain Huguault. Le premier et le dernier s’attachent à rendre cohérent un destin : Un petit prince en ses châteaux/ Un prince dans sa citadelle : la boucle est bouclée , puisqu’en écrivant en parallèle à New York Le Petit Prince et Citadelle, il redevient à la fois un enfant (« on est de son enfance comme on est d’un pays » p.177) et un pilote « sur les majestueux infinis du désert ». Chaque chapitre est accompagné d’un point sur le contexte national et international bienvenu.
Tout le livre est tourné sur St Ex, comme une obsession qui rend toutes ses rencontres assez fades et peu humanisées : le rôle des femmes dans sa vie est souligné, mais elles ne prennent pas vie sous la plume de Bernard Chabbert, et les amis, pourtant si importants et hauts en couleur restent des listes de noms ou des clichés, comme Mermoz par exemple, pour lequel l’auteur répète combien il est « beau gosse », « orgueilleux » « fin pilote » à de nombreuses reprises, sans creuser l’homme. Ce n’est pas un hasard, puisque Chabbert souligne à quel point St Ex reste à part : de nombreux pilotes ne lui pardonnent pas Courrier Sud, justement pour son réalisme (« ce type semble persuadé qu’on n’a le droit d’écrire que ce qu’on a vécu et qu’on connaît intimement, comble de l’honnêteté »(p.72), qui séduit le monde de l’édition mais est vécu comme une trahison par le milieu des pilotes (p.74). C’est dans les grands espaces, montagnes, océans ou déserts qu’il semble le plus lui-même.
Une exception cependant, plus que pour les autres pilotes, les pages consacrées à Latécoère, Massimi et Daurat, qui inventent l’aéropostale comme nouveau Poney express sont passionnantes (pp.40-47)
Pour St Ex en revanche, sa passion est sans faille, et le pousse à la fois au lyrisme et à la philosophie. Les paradoxes de l’homme sont mis en évidence, tout comme sa cohérence et ses choix, en particulier sur sa dernière année, écrite quasiment au jour le jour, ou plutôt mission par mission, avec un suspens haletant. Pour chacune, on se demande : est-ce celle là ? Car tout le monde connaît la fin. Y compris St Ex, qui d’après l’auteur, se place dans une fatalité acceptée et recherchée un peu à l’image de son frère décédé de maladie en 1917 (p.21). Car tout comme en 1930, il estime que« si on veut avoir le droit de parler, il faut mériter ce privilège. Et dans son cas, il faut s’exposer, prendre le risque. c’est cela être un homme respectable. » (p.208)et qui confie « qu’il a la certitude qu’il va disparaître, et qu’il souhaite que ce soit en mission de guerre. Pour l’honneur et pour avoir le droit d’écrire. » (p.218)
On en apprend beaucoup grâce à Bernard Chabbert, et mieux, on a envie de relire St Ex après ce bon moment passé avec lui.
Évidemment St Ex comme témoin de son temps et dans ses engagements dans la guerre a toute sa place dans les programmes. Cependant, d’autres ouvrages de Romain Hugault sur l’aviation et sa place dans les conflits du XXe siècles et sur d’autres aviateurs, en bandes dessinées, sont plus accessibles pour les élèves que celui-ci.