Editeur : La Documentation française.
Dépôt légal : 27 mars 2015. ASIN: B00QI0A2MC
64 pages – 4,90 €.
Déjà le numéro 3108, comme le temps passe… La Documentation française, dont chacun connait l’apport inestimable à nos disciplines, au travers de parutions de grande qualité, met à notre portée de généralistes de l’histoire et de la géographie les derniers articles d’intérêt dans son dernier numéro de Problèmes économiques.
La revue Problèmes économiques présente l’originalité de compiler, depuis différentes sources, « les articles les plus pertinents de la presse française et internationale pour donner une analyse distanciée de l’actualité économique ». L’équipe des Problèmes économiques réalise ainsi une veille qui permet ainsi de rester informés des grandes questions économiques actuelles. C’est dire tout l’intérêt d’une revue bimensuelle dont la parution débuta en 1948 : comme le temps passe…
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Ce numéro 3108 est consacré essentiellement à la Russie, dont l’économie traverse actuellement une passe difficile, pour des raisons que cinq articles mettent au jour, et que complètent le classique « éclairage de Problèmes économiques » ainsi qu’une bibliographie de 53 références, permettant ainsi d’aller plus loin. En fin de numéro, le lecteur trouvera trois articles hors dossier, consacrés pour cette livraison à l’harmonisation fiscale en Europe, au prix du pétrole (qui n’est pas sans rapport avec le dossier russe) et à l’agroécologie.
Les sources de ce numéro sont présentées clairement en page 4. Leur diversité garantit la pluralité des points de vue. On y trouvera en effet Alternatives économiques comme Études, Politique internationale comme les Études économiques de l’OCDE ou, pour la partie étrangère, RBC Daily et The World Today, et d’autres encore.
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Le dossier sur « l’économie russe dans la tourmente » commence par un article de Politique internationale qui fait le point sur la nouvelle crise du rouble. La devise russe a perdu en effet près de la moitié de sa valeur face au dollar entre janvier 2014 et février 2015. Si, en juin 2015, le rouble a retrouvé un certain équilibre, il demeure toutefois autour de 60 roubles pour 1€ contre 40 avant la crise. Une crise monétaire qui rappelle les heures sombres de 1998 où la Russie fit défaut. La crise actuelle s’explique d’abord par la chute des prix du pétrole, le baril WTI passant de 110 à 50 $, avec des creux vers 40 $ avant de se stabiliser aujourd’hui autour de 60 $ (une baisse notamment due à la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis… mais passons !). Or, le budget de l’Etat russe dépend des recettes pétrolières pour une bonne moitié ! Cela illustre un point que nous, enseignants, rappelons régulièrement, à savoir la dépendance d’un certain nombre de pays envers un ou deux produits d’exportations. Cela souligne la faible diversification des exportations russes, et donc sa fragilité face à une conjoncture fluctuante. Avec un budget bâti sur l’hypothèse d’un baril à 100 $, on comprend aisément dans quelle impasse se trouve actuellement le pouvoir russe. Une solution aurait été d’emprunter sur les marchés financiers internationaux, en attendant que le baril remonte, mais les sanctions occidentales, prises suite à la crise ukrainienne, l’en empêchent. Contrainte, pour limiter la fuite des capitaux (120 Mds $ en 2014, soit 10% du PIB russe !), de hausser les taux d’intérêt (de 10 à 17%), la Banque centrale russe prend le risque d’étouffer l’activité économique et, en fournissant des devises aux banques et entreprises russes, d’assécher ses réserves pourtant confortables (autour de 400 milliards de dollars). Au-delà d’un an à ce régime, les problèmes posés à l’économie et au pouvoir russe risquent de provoquer des révisions déchirantes : inflexion de sa politique étrangère, anémie de la croissance économique, défaillance des obligations sociales de l’Etat, avec les conséquences qu’on imagine sur l’indéniable popularité de Vladimir Poutine.
L’économie russe a d’autant plus de mal à absorber ces chocs conjoncturels qu’elle souffre de problèmes structurels majeurs, bien analysés dans les Etudes économiques de l’OCDE (pages 12 à 26). La croissance potentielle de l’économie russe est en effet évaluée à moins de 3% en 2015, soit bien en-dessous non seulement de l’objectif du gouvernement (5%), mais plus encore du taux moyen annuel enregistré pour la période 1999-2008 (7%). L’étude de l’OCDE fait le tour des problèmes structurels qui entravent la croissance : faible efficacité énergétique d’une économie par ailleurs 4e émetteur mondial de gaz à effet de serre, gaspillages et pollutions, inégalités régionales, faiblesse démographique qui réduit l’offre de main d’œuvre, corruption endémique, prédominance de l’Etat dans l’économie, « malédiction hollandaise » des matières premières, qui aspirent l’essentiel des investissements au détriment des autres secteurs de l’économie, goulets d’étranglement des transports… La liste est impressionnante ! Pourtant, se dit-on, que de leviers à actionner pour améliorer les choses !
Le pouvoir russe a cependant choisi d’en actionner un autre : le levier chinois, analysé dans l’article tiré d’Alternatives économiques (pages 27 à 32). La Russie, face aux sanctions occidentales, se tourne en effet davantage vers la Chine, signant en octobre 2014 38 accords bilatéraux, avec l’objectif de doubler ses échanges commerciaux. Le fameux « pivot vers l’Asie » cher à l’administration Obama trouve donc un écho en Russie. Certes, on part de loin : l’Union européenne représente encore près de la moitié des échanges russes ! Mais l’évolution est en marche : la Chine devrait représenter 25% des exportations russes d’hydrocarbures vers 2020, autant dire demain, contre 5% aujourd’hui.
L’accroissement des importations chinoises permettra-t-il à la Russie de demeurer la superpuissance énergétique que nous connaissons ? L’article tiré de The World Today (pages 33 à 35) en doute dès le titre : « Le mythe de la superpuissance énergétique ». En effet, malgré des réserves considérables, les compagnies russes, en mal de compétences technologiques (empruntées aux compagnies occidentales), en mal d’exploration faute d’investissements (alors que l’Etat russe a capté depuis 2000 environ 2 000 milliards de dollars en provenance du secteur énergétique !) souffrent de la baisse de la demande occidentale en énergie. La Russie n’est donc plus qu’un acteur parmi d’autres – certes important – d’un marché énergétique sur lequel les acheteurs ont la main.
Dès lors, « quel avenir pour l’économie russe ? », s’interroge RBC Daily (pages 36 à 44) dans un entretien avec le ministre russe des Finances entre 2000 et 2011, Alexeï Koudrine. Ces pages montrent que certains cercles du pouvoir russe sont bien conscients des problèmes structurels de l’économie de leur pays ainsi que de l’insuffisance du recours à la Chine, dont les taux de croissance diminuent. Des réformes sont donc indispensables, mais les équipes actuellement au pouvoir semblent miser sur des solutions conjoncturelles : faire le gros dos grâce au Fonds de réserve, en attendant que la crise passe et que les cours du pétrole remontent. Alexeï Koudrine, qui voit aux sanctions occidentales et à la faiblesse du prix de l’énergie un caractère durable, défend au contraire des solutions plus énergiques, comme le contrôle des capitaux et une réforme de l’Etat. Ses prévisions pour 2015 sont en effet pessimistes, avec notamment un recul du PIB de 2 à 4% et une inflation à deux chiffres. Pire ! Les revenus réels de la population, pour la première fois depuis 2000 – soir le début de l’ère Poutine – vont baisser de 2 et peut-être jusqu’à 5%. Le lecteur ne peut que se demander, à nouveau, ce qu’il adviendra de la popularité de Poutine, et si des changements politiques pourraient sortir de cette période de crise… Une porte qu’Alexeï Koudrine referme sans équivoque, « compte tenu du fonctionnement du pouvoir ».
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Ce dossier sur « l’économie russe dans la tourmente » est augmentée par l’équipe des Problèmes économiques d’encarts très utiles sur les chiffres-clés de l’économie russe, la classe moyenne russe ou encore l’embargo UE-Russie et Russie-UE. Le premier encart (pp. 6-7) souffre certes d’une sémiologie un peu basique, mais on y trouve des chiffres (sourcés) à foison ; le deuxième encart (pp. 18-19) fait un point précieux sur les inégalités en Russie, avec un tableau permettant de comparer les années récentes à l’époque soviétique (années 1970, 1980 et 1990) ; le troisième permet de faire le point sur les embargos réciproques de l’UE et de la Russie, avec là encore des données précises.
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Des articles hors dossier, outre le serpent de mer de l’harmonisation fiscale en Europe (mon Dieu, que va devenir le Luxembourg ?), outre les potentialités d’une agroécologie vue comme la transition écologique de l’agriculture à grand renfort de biotechnologies d’avenir, on retiendra une note sur le prix du pétrole, dont les évolutions capricieuses entraînent des conséquences contrastées selon que l’on est producteur ou consommateur.
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Bref, encore un numéro fort bien fait des Problèmes économiques, qui remplit parfaitement son rôle de veille sur les problèmes de notre temps, en nous permettant de découvrir des sources variées et de grande qualité. On ne peut s’empêcher de penser, en fin de dossier, aux occasions ratées de tirer la Russie vers l’Ouest, plutôt que de la laisser s’en détourner au profit du mirage oriental… Mais c’est là matière à d’autres réflexions, qui soulignent la fonction d’éveil intellectuel des Problèmes économiques.
Christophe CLAVEL
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