Rémi Dalisson nous livre, dans cet ouvrage paru aux presses du CNRS au mois de mars, une lecture culturelle du régime de Vichy sous un angle qui était, pour votre serviteur du moins, totalement méconnu : la politique festive de l’État Français. La réflexion que nous livre Rémi Dalisson n’est pas étrangère à ces thèmes de recherche et, comme l’évoque Pascal Ory dans la préface, l’auteur applique à l’Occupation et Vichy les clés d’analyse posées préalablement sur le Second Empire. Dans la veine de ses recherches universitaires, portant sur les politiques culturelles et symboliques des régimes politiques français, Rémi Dalisson s’interroge, in fine sur le dialogue permanent qu’entretiennent les politiques et la population à travers la fête, sa symbolique, son organisation, son appropriation. En filigrane est présentée toute l’originalité du régime de Vichy, projet politique fortement teinté d’intentions contre-révolutionnaires et totalitaires, mais demeurant débiteur des politiques culturelles républicaines ayant prouvé leur efficacité.

Les jalons de la réflexion de l’auteur sont alors posés et organisent le découpage de l’ouvrage en trois parties. Le premier élément de cette réflexion conduit Rémi Dalisson à revenir sur les sources de la politique festive vichyste, et reconnaitre les influences multiples dont elle fut l’objet, notamment l’apport du passé républicain et des expériences totalitaires voisines ; ce qui revient à poser la dichotomie continuité/rupture de la politique de Vichy.

La politique festive vichyssoise, un syncrétisme entre héritages républicains et innovations totalitaires

La Grande Guerre, le souvenir de celle-ci, et les politiques développées dans les décennies suivantes furent déterminants, en transcrivant dans les esprits et dans l’espace des thématiques, un inconscient et des mises en scène exploités par Vichy. A l’exemple de la fête de Jeanne d’Arc et du 11 novembre, l’auteur met en lumière la diffusion d’idées et de valeurs communes à la IIIème République et l’Etat Français : les valeurs hygiéniste et sportive, la promotion du folklore, et la scénographie que l’on retrouve dans l’idéologie vichyste, apparaissent pour la première fois au cours des manifestations républicaines. Les bouleversements des années 1930 et la défaite de 1940 brouilleront les repères et permettront au régime nouvellement en place, de piocher dans ces références et ces techniques, au profit de son propre imaginaire.

Associée, l’influence jouée par les expériences totalitaires voisines rappelle l’originalité de Vichy, régime dont les thématiques festives sont issues du passé républicain honni, et cherchant à user des moyens de contrôle des masses les plus modernes, principalement venus d’Italie et d’Allemagne. Que cela soit la radio, le cinéma, l’image ou les spectacles, les cérémonies totalitaires mirent en lumière les valeurs proches de la Révolution Nationale (pureté, exaltation du passé et du travail manuel) et influencèrent les pratiques vichystes.

Pour autant, la mise en place de cette politique festive nécessite une administration créée et développée pour cela, agissant tant à l’échelon national que local. L’auteur prend soin à souligner les distinctions qui s’établirent d’un point de vue géographique, entre la zone occupée, où la cohabitation des deux administrations les amenèrent à composer et se traduisit par un contrôle marqué des manifestations par les autorités allemandes, et la zone libre où les multiples services de Vichy dédiés à la propagande, le rôle central tenu par les associations maréchalistes (chantiers de la jeunesse, ligue maritime et colonial), et au premier rang duquel l’on trouve la Légion, associée à la plupart des fêtes, et l’organisation de la politique culturelle furent un puissant levier de contrôle de la population.

L’échelle départementale et communale nuance la modernité de la politique festive vichyste, et met en avant la préservation de larges pans des traditions républicaines dont l’Etat Français dut tenir compte dans l’ensemble des manifestations organisées. C’est ainsi que Rémi Dalisson trace les principaux traits d’un syncrétisme typiquement français, alliant aux héritages des pratiques festives républicaines des techniques propagandistes modernes, au service d’une relecture cohérente de l’histoire du pays, d’un pays rénové et de la promotion de figures et valeurs ante-révolutionnaires.

La Révolution Nationale par la fête : relecture d’une symbolique éprouvée

Le second jalon de la réflexion de Rémi Dalisson interroge les fondations de l’idéologie d’Etat, la Révolution Nationale, à travers l’imaginaire festif et ses figures. Ludiques, les fêtes offrent, par les figures et l’imaginaire qu’elles renvoient, un vecteur d’éducation populaire pour le régime. Et celui-ci, comme le montre Rémi Dalisson, ne manquera pas d’opérer une relecture de l’histoire du pays, et de s’approprier ses figures tutélaires et symboliques afin de nourrir ses ambitions idéologiques inscrites dans sa devise Travail, Famille, Patrie.

Pour autant l’imaginaire festif républicain ne fut pas supprimé, mais réemployé à des fins expiatoires : conserver le calendrier festif de la IIIème République facilitera la récupération opérée par un pouvoir cherchant à condamner largement les faiblesses du régime précédent. La dimension expiatoire des cérémonies maintenues convergent dans l’unité mystique autour du Maréchal, seul Salut pour la France. Le 14 juillet et 11 novembre, maintenus, devinrent un culte aux morts de la Grande Guerre et de l’été 1940, sacrifiés par « la Gueuse », tombés pour permettre la montée d’une France purifiée.

Le recyclage des héritages festifs républicains gagna les figures féminines symboliques célébrées à l’époque républicaine : Jeanne d’Arc et les Mères. Pensée comme chrétienne, soumise à l’autorité, pieuse, chaste, dévouée à sa famille, l’imaginaire féminin du régime de Vichy trouve dans l’ambiguité intrinsèque de ces célébrations un vecteur puissant de relecture symbolique servant sa Révolution Nationale. Qu’elles soient juvéniles ou mères fécondes, les femmes françaises deviennent le fondement d’un renouveau patriotique.

Cependant, et Rémi Dalisson le met bien en lumière, la cérémonie la plus emblématique du projet festif vichyssois reste la fête du 1er mai, qui ouvre le « mois du Maréchal » où se concentre les célébrations du triptyque idéologique du régime. Concentré de pétainisme, le 1er Mai de l’Etat Français a été conçu en réponse directe au Front Populaire. Se célébrant d’abord lui-même (bien souvent le 1er Mai fut renommé en fête du Maréchal), Pétain opérait une réécriture de l’histoire du pays, passant sous silence 1789, le climat contestataire que le régime lui attachait, les actions des partis révolutionnaires et ouvriéristes, pour s’attacher à la concorde, l’unité des salariés et des employeurs autour du corporatisme et du Travail, érigé en devise officiel. Vichy devient alors le défenseur du travail protéiforme (scolaire, agricole, industriel), teinté de folklore, et véritable ciment d’une nation rénovée et nouvelle.

La nation renouvelée dans le Travail se devait d’être composée d’hommes forts de corps et d’âme, assumant une virilité et une force nécessaire pour faire disparaitre la « République molle », et advenir une patrie transformée par la Révolution Nationale. L’institution la plus emblématique fut la Légion, dont Vichy exploita la fondation au cours des cérémonies anniversaire, et plus particulièrement l’anniversaire 1942 organisé à Gergovie, la symbolique est forte, durant lequel des sachets de terre venus de la France entière (l’empire compris), furent déposés dans une vasque du « creuset de l’Unité française ». Les valeurs héroïques et musclées du régime trouvèrent ainsi écho dans l’organisation des célébrations sportives sur tout le territoire. Le sport, élevé au rang de discipline essentiel de l’éducation, exalte l’héroïsme, la virilité, la force et les « bienfaits » de l’empire représenté par le sport colonial.

L’unité autour du Maréchal et la communion mystique dans le culte de la personnalité dont fait l’objet Philippe Pétain clôture la politique culturelle conçue pour assurer les fondations idéologiques du régime. Pour cela Vichy usa des voyages du Maréchal, symboliquement présent sur tout le territoire, et exalta l’Empire et ses bienfaits. La gloire de l’Empire se fit au travers de deux cérémonies que sont la Quinzaine Impériale et la Semaine d’Outre-Mer. Objet de nombreuses entreprises innovantes, notamment le train de la Quinzaine Impériale, la thématique coloniale joua un rôle majeure dans la propagande maréchaliste : l’Empire exprime la grandeur de la nation rénovée, tirant le meilleur de ses hommes à travers l’idéologie de la Révolution Nationale (sport, autorité et unité derrière le Maréchal).

L’unité autour du Maréchal fut affirmée par les services de Vichy à travers les voyages entrepris par le Maréchal Pétain autour de « son pays rêvé » afin de voir et se faire voir, et présenter les bienfaits de la Révolution. Depuis Toulouse en septembre 1940 et jusqu’à la fin de la guerre, ce sont 86 voyages que Pétain fit dans tout le territoire, répondant alors toujours à un rituel codifié, et faisant l’objet d’une très vivre promotion. Les fêtes d’inauguration et d’identification, organisées dans les lieux non visités, démultipliaient son visage et tendaient à assurer symboliquement l’ubiquité du chef providentiel.

L’imaginaire festif et les français et récupération : un dialogue permanent

L’ultime point de la réflexion de Rémi Dalisson se propose de donner une clé de lecture à une interrogation posée par la rédaction même de son ouvrage, à savoir lire l’Occupation et Vichy à travers la capacité du politique à influencer le social.

S’interroger sur la réception de l’imaginaire vichyste dans la population, c’est d’abord aborder les moyens mis en oeuvre : Vichy employa les techniques modernes de propagande, à savoir la radio, le cinéma, l’image,ou encore le sport, dans une politique globale visant finalement à instituer une nouvelle temporalité dans l’imaginaire collectif. Ainsi l’expérience festive de Vichy devient le reflet d’une France imaginée et renouvelée par la discipline individuelle et collective, une morale chrétienne et une idéologie de la pureté retrouvée par le sang, le terroir et le folklore qui « parlent vrai ».

Cependant l’auteur met en lumière les limites de la politique culturelle de l’Etat Français. Deux réalités distinctes cohabitèrent sur le territoire national : la fête de « substitution » en zone occupée, avec une faible pratique des fêtes maréchalistes au profit de manifestations perçues comme étant plus « neutres » politiquement, tel le 1er Mai ; et les fêtes de « connivence » dans la zone libre, caractérisées par leur radicalité et l’adhésion aux valeurs vichystes. Pour autant si la complémentarité de ces réalités permit à Vichy, dans un premier temps, et à l’aide de son ambiguité sur l’héritage républicain, de gagner en efficacité en touchant une plus grande part de la population, elle permit aussi une récupération plus facile de l’évènement, potentiellement source de contestation et de résistance.
Progressivement, et Rémi Dalisson le montre bien, au cours du conflit, l’appropriation de la symbolique festive et des manifestations par la population, ne conduisent pas à un dialogue renforçant la domination de Vichy sur celle-ci, mais bien à une contestation culturelle protéiforme, allant du chant de la Marseillaise, aux sifflets lors des discours du Maréchal, et selon des temporalités distinctes selon les zones. Les fêtes de rébellion, qui offrent un nouvel imaginaire , constituent la forme la plus poussée d’appropriation. Retournant les armes de Vichy contre lui, les opposants et contestataires, souvent rattachés à la résistance, mobilisèrent autour de valeurs et figures étrangères au régime, et cherchèrent à recruter la population. Avec la radicalisation de l’État Français en 1943-1944, les tensions symboliques prirent corps, et la violence développée au cours des fêtes préparèrent et annoncèrent les incidents et les violences de l’épuration.

Il se dégage ainsi du travail proposé par Rémi Dalisson un profond sentiment d’efficacité à cerner les enjeux de son sujet, et à y répondre. Le sérieux méthodologique dont fait preuve l’auteur, doublé de très nombreuses annexes, notamment bienvenues pour permettre une plus facile appréhension de l’organisation administrative de la politique festive en zones nord et sud, et d’un style littéraire agréable à la lecture, rendent la lecture de l’ouvrage de Rémi Dalisson nécessaire pour comprendre d’autant mieux une période de notre passé commun trop méconnue et à fort enjeu mémoriel.