On le sait, la Grande-Bretagne insulaire pratique dès les temps modernes une politique impérialiste qui l’amène au XIXe siècle au rang de première puissance mondiale, à la tête du plus grand empire jamais créé. C’est dans cette perspective, et en y incluant toutes ces possessions, que l’auteur place son étude. Il l’articule autour de ce qui peut apparaître comme la dernière époque impériale de la Grande-Bretagne, et peut-être son âge d’or, la période 1857-1947. Ces deux termes calendaires sont liés à son « joyau », l’Empire des Indes ; en 1857 y éclate la révolte des Cipayes, qui débouche sur la fin de la domination de la Compagnie britannique des Indes Orientales et une prise de contrôle directe par la Couronne avec la création du Raj et de son bras armé, l’Armée des Indes. En 1947, la reconnaissance de l’indépendance y met fin à la présence de la Grande-Bretagne, premier grand jalon d’une décolonisation qui va ramener le Royaume-Uni à ce qu’il est aujourd’hui.
Tout amateur français d’histoire militaire a probablement croisé à un moment ou un autre de cette dernière décennie la mention de Benoît Rondeau, tant celui-ci s’y est montré prolifique. Né à Caen, chercheur pendant trois ans auprès de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation, titulaire du CAPES privé en histoire-géographie-EMC et toujours basé dans l’académie de Rouen, l’auteur a en effet livré auprès des éditeurs régionaux que sont YSEC et Ouest-France des productions régulières. Il a aussi contribué à de nombreuses reprises à différents magazines : Batailles & blindés, Ligne de front (éditions Caraktère), Batailles (Ysec), 2è guerre mondiale magazine (Mars & Clio)… L’ensemble porte sur ses sujets de prédilection : surtout la Seconde Guerre Mondiale, particulièrement en Europe de l’Ouest et en Afrique du Nord, et l’Antiquité égyptienne et grecque ainsi que la guerre civile américaine. L’auteur a avec la même constance émis quelques monographies plus conséquentes, d’abord chez Tallandier, puis chez Perrin, avec une biographie de Rommel (2018), Etre soldat de Hitler (2019), Le soldat britannique. Le vainqueur oublié de la Seconde Guerre Mondiale (2021), et donc le présent ouvrage qui peut en être vu comme un prolongement.
Combattre pour un Empire sur lequel le soleil ne se couche jamais
Le récit de cette période fertile en épisodes belliqueux est essentiellement chronologique, avec quelques passages plus analytiques. Une courte introduction rappelle ainsi les bases de cet impérialisme totalement assumé à l’ère victorienne : souci du prestige national, concurrence avec les autres puissances, volonté de s’assurer l’accès à certaines ressources économiques, appuyés sur une puissance industrielle, navale et militaire sans égale. Puis la première partie (« The sun never sets ») s’attache à la présentation des premières grandes expéditions coloniales des années 1850-1870. Née d’un concours de circonstances et d’une accumulation de maladresses de la part des Britanniques, la guerre des Cipayes, révolte à la fois militaire, paysanne, politique et religieuse, ensanglante l’Inde du début de 1857 à la fin de 1858. D’abord rudement malmenés, à Meerut, à Cawpore et dans bien d’autres points, les Britanniques rameutent des forces de partout et les contingents restés fidèles, reprennent Delhi, épicentre de l’insurrection, libèrent Lucknow assiégée, et écrasent la rébellion dans le sang. La mutinerie, un choc pour Londres, amène comme déjà mentionné le transfert de l’autorité sur place de l’East India Company au gouvernement britannique, dorénavant représenté en Inde par un vice-roi, et la complète réforme de l’armée stationnée dans le sous-continent, avec une augmentation de la proportion d’unités britanniques désormais intégrées à l’armée régulière, et une réorientation du recrutement des contingents locaux (toujours prépondérants) vers les peuples du nord du pays (Sikhs, musulmans…), considérés comme plus martiaux, et les Gurkhas népalais. A la fin du XIXe siècle, cette armée des Indes, solidement réorganisée et qui maintient ses particularités, est devenue elle-même un outil de colonisation. Elle seconde en cela les autres forces militaires de l’Empire (ch.2, p.34-76). La Royal Navy, inégalée, assure son emprise sur toutes les mers du globe et l’impunité de la Grande-Bretagne. Haut-commandement, importance qu’y tiennent les « cercles », encadrement, organisation, volontariat, équipement et armement, vie en garnison et en campagne outre-mer, récompenses : l’auteur passe ensuite en revue les différents aspects de l’armée de terre à l’époque victorienne. Celle-ci est impliquée de manière croissante dans des expéditions impérialistes (ch.3, p.77-106) : guerres « de l’opium » avec la Chine, campagnes répétées aux frontières Nord-Ouest et Nord-Est de l’Inde, seconde guerre afghane (1878-1880), premières campagnes en Afrique (contre les Ashantis, en Ethiopie…), guerres maories, troubles au Canada…
Du zénith au crépuscule
La grande période de l’expansion coloniale (deuxième partie, « Cape to Cairo ») s’ouvre. En 1879, les Zoulous sont écrasés dans une guerre sanglante. Contre les Boers, en Egypte, en Afrique noire, la Grande-Bretagne affermit sa domination sur le continent africain dans les années 1880 dans nombre d’opérations parfois méconnues. Le Soudan théoriquement égyptien est le théâtre d’une campagne pleine de morceaux de bravoure mais d’abord infructueuse (1884-1885), avant d’être reconquis par Kitchener (1898).
En Asie, les affrontements se succèdent aux frontières des Indes, une grande campagne étant menée au Tirah (1897-1898) ; la Malaisie, la Birmanie et Weï-Haï-Weï en Chine tombent sous le contrôle des Britanniques. Ceux-ci sont alors confrontés au plus dur de leurs conflits coloniaux : la seconde guerre des Boers nécessite un effort considérable et illustre nombre de faiblesses d’un outil jusqu’ici irrésistible.
S’ouvre alors le temps des guerres mondiales et du crépuscule de l’Empire (troisième partie). Au début du XXe siècle, les forces britanniques sont encore impliquées dans quelques expéditions, mais le temps de l’expansion est terminé et l’heure est à la réorganisation face à la menace allemande. La terrible épreuve de la Grande Guerre entraîne pour elles une mue considérable : la petite armée de métier devient progressivement une force colossale constituée de volontaires et de conscrits, véritablement nationale et faisant appel aux avancées techniques et technologiques les plus récentes ; et l’apport des dominions (Canada, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud) est remarquable. Les années 20 et 30 se traduisent d’abord par une fonte des effectifs alors que la couronne hérite de nouvelles responsabilités impériales ; la priorité est donnée à la flotte et à l’aviation, et le réarmement tardif. Il faut pourtant mener une nouvelle lutte d’ampleur mondiale, contre les totalitarismes, de 1939 à 1945. L’armée, de nouveau composite et impériale, combat sur tous les fronts, alterne revers et succès, s’adapte, et contribue de façon décisive à la victoire finale sans pour autant pouvoir être comparée aux puissantes armées américaine et soviétique. La décolonisation s’annonce… Un bref épilogue retrace la fin de la présence militaire britannique en Inde.
Au final, Benoît Rondeau livre ici une synthèse commode, quasiment exhaustive dans la mention des affrontements menés, relatés plus ou moins de détails, et qui permet d’embrasser à grands traits toutes les évolutions d’une période particulièrement mouvementée. Il replace ses phases distinctives (l’ère victorienne, la transition du début du XXe siècle vers la guerre de masse, la Première Guerre Mondiale, l’entre-deux-guerres puis la Seconde Guerre Mondiale…) dans une continuité éclairante. Comme pour ses autres ouvrages, l’auteur se montre un habile compilateur, ainsi qu’en témoigne l’éclectisme de la bibliographie utilisée : sont exploitées nombre de sources secondaires, des études et des écrits de (bonne) vulgarisation ; on retrouvera ainsi beaucoup de titres des éditions Osprey, Ysec… Le féru du sujet n’y apprendra donc pas grand-chose de nouveau, mais l’ensemble, bien organisé et aéré de nombreux intertitres, reste très agréable à parcourir, même si une relecture plus attentive aurait permis d’éviter nombre de coquilles, et que quelques cartes l’auraient avantageusement complété.