La périurbanisation n’est pas un phénomène nouveau. Amorcé dans les années 1960 en Ile de France, elle s’est généralisée autour des autres villes dans les décennies suivantes. D’intensité moindre, dans les années 1990, ce fait a surtout gagné en extension. L’espace de l’agglomération dijonnaise est un bon exemple puisque entre 1990 et 1999, la couronne périurbaine a augmenté de 40%. L’hypothèse de départ de cet ouvrage est se demander si les gens qui partent habiter si loin de leur lieu de travail, le font parce qu’ils sont à la recherche d’un paysage.

Ce volume des cahiers de la Maison des Sciences de l’Homme Ledoux a été mené par 2 équipes de recherche : le CESAER UMR INRA – ENESAD et THéMA UMR CNRS, université de Franche Comté et de Bourgogne. Le projet a bénéficié du soutien financier de la Région Bourgogne, du Conseil Général de Côte d’Or et de la Communauté d’agglomération de Grand Dijon. Les 2 équipes (géographes et économistes) ont mené un travail transdisciplinaire de géographie quantitative (SIG) et d’évaluation économique (méthode hédoniste).

Le cadre d’étude

Si l’agglomération dijonnaise (Dijon + banlieue) voit sa population augmenter aujourd’hui, c’est en raison d’un accroissement naturel positif. Le solde migratoire est déficitaire et profite aux communes périurbaines de l’agglomération. La plaine de Saône et le Nord de Dijon ont vu dans la période étudiée le nombre de leurs logements augmenter de 16%. Agriculteurs et ouvriers achètent les terrains les moins chers alors que les cadres acquièrent des terrains beaucoup plus coûteux au m2. En règle générale, les ménages achètent dans un rayon de 3 à 7 kms de leur lieu de travail. Les communes bien desservies par l’autoroute ou par des voies rapides sont privilégiées. Ces nouvelles manières de vivre l’espace (dissociation lieu de travail – lieu de résidence) sont au cœur des problématiques de mobilité et de développement durable. On constate que plus on s’éloigne de la ville de Dijon plus la taille des parcelles acquises est importante : 250 à 1000 m2 dans les communes proches de Dijon, 1000 à 2500 m2 dans la périphérie éloignée. Si l’éloignement joue un rôle sur la taille des lots et le prix au m2, les auteurs de l’étude se sont rendus compte que les résultats sont différents selon les catégories socio-professionnelles. Cette remarque tend à prouver que le paysage et les aménités qu’il offre joue un rôle dans la distribution.

Les moyens et la méthode mis en œuvre

Travailler sur le prix du paysage n’est pas chose facile car le paysage est par essence quelque chose qui se définit de manière subjective et qui n’a pas de prix. C’est pourquoi les auteurs ont travaillé à partir de données du marché immobilier (sources notariales : base de données Marché Immobilier des Notaires : MIN, 1995 – 2002). Ils ont, par ailleurs, utilisé des images satellitales, BD carto de l’IGN, la base Corine Land Cover de l’IFEN et des cartes topographiques. L’unité de base de l’étude est la cellule de 7 m x 7m, système « Lambert 2 étendu ». Pour définir des unités morphologiques de paysage (tenant compte de l’exposition, de la pente, du rayonnement, de l’altitude), les logiciels de traitement de données ont montré leurs limites. C’est à l’Homme qu’est revenu la tâche de décider d’affecter telle cellule à une unité morphologique (la précision des images satellitales ne permettait pas de dégager une tendance quelques fois). Le croisement des données vise à élaborer des simulations de la « vue d’en bas » (ce que l’on voit de la maison). Cette vue est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre que la « vue d’en haut ». Les auteurs de l’ouvrage livrent ici tous les modèles qu’ils ont établi pour y parvenir. Ils ont travaillé à l’échelle du pixel. Bien que cette partie soit très technique, ils ont eu le souci d’expliciter très clairement leurs méthodes. L’ouvrage est richement illustré de 4 cahiers de documents couleurs présentant des cartes et des graphiques, sans compter les nombreux croquis en noir et blanc qui parsèment le volume. De même, les économistes de l’équipe présentent leur méthode d’analyse, celle dite des prix hédonistes. Il s’agit, dans le cas présent, d’évaluer le prix du paysage en fonction du lieu où l’on se trouve.
Les auteurs portent un regard critique sur leurs méthodes même si quand elles ont été utilisées, elles en étaient encore au stade primaire de leur développement. Ils invitent le lecteur à prendre les chiffres proposés avec précaution. Ils se sont associés avec des experts pour valider leur étude : notaires, responsables de gestion des Domaines ou des SAFER.

Les résultats de l’étude

A l’issue de l’enquête, les auteurs estiment que le paysage entre à hauteur de 2,3% dans le prix d’un bien. D’un côté, cela peut paraître peu mais, d’un autre côté, les chercheurs sont contents car cela prouve que leur hypothèse de départ était bonne, puisque le paysage a une incidence, certes faible mais pas nulle, sur le prix.
Peu de maisons ou de terrains bénéficient d’une « vue imprenable ». De nombreux biens, situés dans la Plaine de Saône, bénéficient d’un « vu global » important (sur des champs, essentiellement) mais cela n’entre que peu en ligne de compte dans le prix de la vente. En revanche, le fait d’avoir un vis-à-vis fait baisser le prix de la maison ou du terrain à vendre. Cet élément explique la profusion de hauts murs et de haies végétales pour se cacher du regard dans le périurbain.
Un certain nombre de facteurs entrent en ligne de compte dans le prix des biens et participent à la notion de paysage, au sens d’environnement : la distance au pôle urbain, la densité de population (et les services privés et publics qui en découlent) et la qualité du voisinage (la présence de populations à hauts revenus accroît la valeur des biens immobiliers). De même, la présence d’un espace arboré de moyenne taille valorise un bien alors que la proximité d’une forêt (liée à une sensation d’isolement) fait baisser cette valeur. D’autres facteurs dévaluent le prix d’une maison : la proximité de voies de communication (en raison des nuisances qu’elle induit), d’un cours d’eau (en raison des risques d’inondation), la pente d’un terrain et l’orientation de l’habitat vers le Nord.

L’ensemble de la démonstration présentée est convaincant. La mise en œuvre de modèles « vu d’en bas » est novatrice et apporte beaucoup à l’analyse du paysage, par rapport aux modèles géographiques qui sont le plus souvent « vu d’en haut ». Les auteurs entendent continuer leur travail par l’analyse des plans de vision à partir des maisons. Ils voudraient pouvoir conduire ce genre d’études dans d’autres régions afin de permettre une comparaison.
Ce cahier de la Maison des Sciences de l’Homme Ledoux offre des documents intéressants que les enseignants de la région dijonnaise pourront exploiter avec bénéfice en classe (cartes 1 à 7 du cahier 1).

Pour aller plus loin :
Guide de l’observation du paysage.

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