par Marc Lohez, professeur d’Histoire-géographie en section européenne, Lycée Rosa Parks, Neuville-sur-Saône.

Copenhague n’a pas changé le monde de l’énergie, nous le savons désormais. Les analystes qui projetaient il y a quelques mois les tendances à moyen et long terme des marchés de l’énergie ne se faisaient d’ailleurs guère d’illusion et pouvaient tranquillement décrire des tendances si lourdes que la perspective d’une inflexion majeure dans la capitale danoise semblait peu réaliste. Le pétrole restera donc incontournable, mais de plus en plus cher et concentré dans des mains de moins en moins nombreuses, le charbon continuera son spectaculaire come-back, les énergies renouvelables feront ce qu’elles pourront, c’est à dire peu en proportion; mais les flux énergétiques alimenteront alors un ordre économique mondial bouleversé par la montée de la Chine et des autres émergents.

Publiée par les éditions Choiseul, diffusée par la Documentation française la revue Geoéonomie a confié son dossier sur l’énergie à des Enseignants de la chaire « Energie et finance » de HEC, Antoine Hyafil et Jean-Michel Gauthier. De nombreux auteurs de ce dossier font partie de sociétés de consulting comme Deloitte (qui finance la chaire) ou d’institutions financières. Ce prisme particulier fait l’un des intérêts de ce dossier: il permet d’articuler les tendances longues des marchés de l’énergie avec les effets, négatifs à moyen terme, de la crise financière. Une « finance énergétique » est en place et le dossier montre que, là aussi, une régulation serait souhaitable.

Une géopolitique de l’énergie bouleversée ?

Dans les deux premiers articles, Jean-Michel Gauthier trace jusqu’en 2030 les perspectives des énergies: l’approche est technique et géographique sur les problèmes d’extraction mais surtout géopolitique quant aux rapports spatiaux entre la demande et l’offre. Jean Pierre Favenec précise dans un article suivant les aspects techniques de la production. Pour les hydrocarbures dont la part resterait dominante, l’évolution des réserves, des prix et des coûts d’extraction devrait conduire à un renforcement de la place du Moyen-Orient et à un affaiblissement des «majors ». En 2030 plus encore d’aujourd’hui, notre approvisionnement énergétique dépendra de la tranquillité du détroit D’Ormuz. Du coté des importateurs, les tendances actuelles indiquent la montée d’une guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine. Cette dernière construit en solitaire une stratégie pour sécuriser ses approvisionnements par des contrats et se ménager un accès direct au moyen-Orient qui contrarie fort l’Empire américain car il s’agit de passer par l’allié Pakistanais.. Jean-Michel Gauthier et Jean-Paul Favenec soulignent également le retour en force du charbon justement bien réparti chez ces deux grands consommateurs. Cette remontée, déjà engagée, devrait s’accentuer surtout dans le cadre de la production électrique. Jean-Paul Favenec passe en revue l’ensemble des formes et des modes de production énergétique: ce mémento pratique et rapide, avec de nombreux graphiques en noir-et-blanc gagne peut-être à être lu avant les approches géopolitiques de J.M. Gauthier.

Entre cette partie, consacrée aux problèmes de production, de réserves et de demande, et la partie suivante, Emlie Alberola et Emmanuel Fagès consacrent une douzaine de page à l’expansion des marchés du carbone. Ils expliquent comment les engagements de réduction de gaz à effet de serre ont conduit à ces systèmes de quotas d’émission de CO2 que l’on peut vendre si l’on a moins pollué et acheter si les objectifs sont dépassés. Ils abordent toutes les échelles de ces marchés depuis le système international mis en place en 2008 à la suite du protocole de Kyoto jusqu’aux marchés régionaux comme le marché américain, australien ou néo-zélandais. Ils consacrent une large part de leur article au principal marché dans le monde: celui de l’Union Européenne, décrit ici depuis son lancement en 2005. En décrivant l’évolution des échanges de tonnes de CO2 entre industriels de l’UE, les auteurs analysent les mécanismes qui rapprochent le marché carbone des marchés financiers (on parle d’une « finance carbone »), ce que confirme l’impact de la crise de 2008/2009.

L’énergie investie.

C’est dans la deuxième partie du dossier que l’on trouve les contributions les plus stimulantes, portant sur les liens entre la finance mondiale et les marchés des énergies:

Caroline Bertin-Delacour décrit les liens entre les fonds souverains et les marchés énergétiques. Ces fonds de placements créés par des états qui bénéficient de revenus importants issus des exportations sont présents de deux façons: deux tiers sont issus des rentes énergétiques fournies par les revenus des exportations d’hydrocarbures: ils servent alors à parer contre les risques et les déséquilibres économiques: épuisement à terme des ressources, faible diversification de l’économie, perturbation du tissu économique hors du secteur de l’énergie. Les placements des fonds souverains servent alors à la fois de garantie, d’amortisseur ou d’outil économique pour sortir le pays rentier de sa dépendance. Mais inversement certains fonds souverains comme ceux de la Chine servent aussi à assurer leurs approvisionnements énergétiques par des investissements dans les sociétés et les pays producteurs. Dans cet article qui définit les fonds et décrit leur fonctionnement avec une grande clarté, quelques tableaux brefs et efficaces permettent de faire le tour des principaux acteurs et de leurs « cibles ».

Pour comprendre le fonctionnement du marché à terme du pétrole, Mathieu Thomas rappelle les règles de formation des prix à partir des bruts de référence. Mais il montre surtout que le pétrole est devenu un objet de placement comme les autres: il existe désormais des produits (véhicules de placement) qui permettent d’insérer le pétrole dans un portefeuille d’actifs. et que l’on a vu apparaître une « bulle spéculative pétrolière » en 2007-2008. La hausse des prix a été alors très éloignée des simples contraintes d’approvisionnement face à une demande certes croissante du fait de l’appétit des pays émergents. Les courbes des prix ont fini par ressembler au courbes des indices boursiers. L’auteur conclut par la nécessité du retour d’une certaine régulation des marchés énergétiques, qui devrait s’insérer dans celle de la finance mondiale.

Le dossier s’achève sur une réflexion engagée d’Antoine Hyafil (HEC) concernant l’impact de la crise financière de 2008 sur les évolutions énergétiques. L’Auteur y démonte d’abord longuement les mécanismes de la crise, préférant voir dans ses origines les déséquilibres de l’économie réelle. Il replace d’ailleurs cette crise dans le basculement de l’économie mondiale vers l’Asie et les pays émergents. Les conséquences dans le domaine de l’énergie peuvent être sévères, du fait d’une pause dans l’investissement. La chute du prix du pétrole et la panne de crédit limitent l’effort d’investissement à la fois dans le secteur des hydrocarbures et des énergies renouvelables, ces aspects ayant été précisés dans le premier article du dossier. Pour les énergies fossiles, cela conduira à accentuer les tensions sur les prix du pétrole quand la demande repartira; d’autre part, le faible coût relatif d’une centrale au charbon favorise un peu plus dans ce contexte le retour en force de cette énergie polluante. Antoine Hyafil achève son analyse par un plaidoyer à ne pas sacrifier les investissements permettant de changer de système énergétique au nom du retour à la rigueur budgétaire.

A la suite de la lecture de ce dossier on peut sans doute regretter l’absence de cartographie pour des sujets comme celui des fonds souverains entre autres, mais la clarté des exposés peut rendre un grand service dans ce domaine énergétique que les enseignants d’histoire-géographie devraient pouvoir intégrer aux approches de la mondialisation.

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le sommaire de ce numéro (site de la Documentation Française)

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