Léningrad vue par un pétersbourgeois
La particularité de l’ouvrage tient aussi à son auteur, Alexander Werth. Un journaliste anglais qui passa une grande partie de la Seconde guerre mondiale en URSS. Il en tira la matière de son livre la Russie en guerre.
Mais surtout, Werth est né à saint Petersbourg et y vécut jusqu’à la révolution soviétique et il fut le premier journaliste occidental à se rendre dans la ville durant le siège.
Son récit est donc intéressant à plusieurs niveaux, il nous renseigne sur ce qu’est la situation en septembre 1943 au moment de sa visite. A travers les témoignages recueillis, on a une meilleure idée des évènements de l’hiver 1941-1942. Mais aussi, par sa volonté de retrouver les lieux de son enfance, il nous permet de découvrir les métamorphoses de la grande cité du nord. On a ainsi tout à la fois al description des rues de Leningrad et de ce qu’elles étaient avant la révolution d’octobre.
L’ouvrage d’Alexander Werth est paru pour la première fois en Grande-Bretagne en 1944. Et la lecture de sa conclusion nous montre que Churchill ne semblait pas être le seul britannique à s’inquiéter des possibles avancées soviétiques en Europe orientale et de la renaissance d’un « impérialisme russe ».
Une mise au point historiographique
Le livre bénéficie également d’une préface de Nicolas Werth qui rappelle le parcours de son père. Il contextualise également avec le récit des grandes phases de la bataille. L’ouvrage d’A. Werth est centré sur le quotidien et non sur les opérations militaires.
Surtout, cette préface est l’occasion de faire le point sur les études consacrées à cette bataille, la quasi-totalité étant le fait de chercheurs anglo-saxons ou russes non traduits.
Le quotidien d’une ville en guerre.
Lorsqu’Alexandre Werth effectue son séjour à Leningrad, la ville est toujours en partie assiégée par les Allemands. Les bombardements sont quasi quotidiens. Il ne semble pas y avoir un lieu qui puisse leur échapper. Des bombardements qui n’ont à ce moment là qu’un but, celui de terroriser la population. Les Allemands n’ont déjà plus les moyens de tenter de prendre la ville. Les tirs d’artillerie sont le quotidien des habitants de la grande cité, tantôt des bombardements qui semblent viser un objectif, tantôt des tirs d’obus qui semblent pleuvoir au hasard sur les civils.
L’auteur arrive à rendre l’atmosphère, les sentiments des habitants. Les réactions de ceux-ci ne semblent pas trop différentes de celle des britanniques durant le blitz. Encore une fois, ces bombardements de terreurs provoquent plutôt une réaction opposée. La vie continue, les musées sont ouverts, des spectacles se tiennent, les enfants peuvent être envoyés se reposer sur les îles du golfe de Finlande.
Partout dans la ville on s’est organisé. Si les abris, les défenses en tous genres, le couvre-feu sont le quotidien des villes en guerre, on est frappé par les nombreux espaces verts. Des plantations d’un type particulier, la ville s’est couverte de jardins potagers destinés à subvenir aux besoins de ses habitants.
Chaque chapitre décrit un lieu, des personnages différents, Alexandre Werth nous amène ainsi à la rencontre des membres de l’Union des écrivains, du directeur de l’usine Kirov, d’écoliers… Autant de moments qui, au-delà du conflit, sont l’occasion de découvrir les composantes de la société soviétique de l’époque.
Le souvenir de l’hiver 1941/1942
Tout au long de ses entretiens, l’auteur évoque avec les habitants le premier hiver du siège, le plus terrible. La mobilisation de la population et des milices ouvrières qui sont envoyées construire les défenses ou combattre désespérément (les pertes sont énormes) pour freiner l’avance allemande. Les usines doivent fournir des combattants, mais aussi continuer à produire (de nombreuses usines d’armements sont à Leningrad) et préparer l’évacuation du matériel vers l’Est.
Dans ce désordre, la population n’est pas évacuée, lorsque les autorités s’en préoccupent, c’est trop tard, la ville est encerclée, elle n’est plus reliée au reste du territoire soviétique que par le lac Ladoga. Un lac, qui ,une fois gelé, constitua la principale voie d’approvisionnement de la ville.
A travers la diversité des témoignages, on perçoit les souffrances endurées. Dans la cité les rations varient de 250 grammes de pain quotidien pour les ouvriers à 125 grammes pour les autres. Le pain qui est le seul aliment disponible. Bien dérisoire pour faire face aux rigueurs de l’hiver lorsqu’il n’y a plus de chauffage, plus d’eau potable…
C’est par dizaines de milliers que chaque mois les habitants de Leningrad meurent de faim : dans la rue, à leur appartement, à l’usine, à l’école… L’objectif d’Hitler d’anéantir par la faim la population de la ville semble proche. Heureusement, avec le gel, les évacuations reprennent. La contre offensive soviétique durant l’hiver permet de desserrer un peu l’étau mais la ville reste assiégée.
Conclusion
Un témoignage rare sur un aspect souvent oublié en occident de la Seconde Guerre mondiale. Par la diversité de ses rencontres (enfants, soldats, ouvriers, artistes…) l’auteur arrive à dresser le portrait de ce que pouvait être l’état d’esprit de l’opinion. Même si l’on ne doit pas oublier les conditions de sa visite, son encadrement permanent par des officiers soviétiques, il semble jouir d’une certaine liberté de parole. Ses interlocuteurs ont l’air d’aborder franchement toutes les difficultés qu’ils ont pu rencontrer, même s’ils se gardent cependant de toute considération politique.
Une étude utile pour comprendre les souffrances d’une population civile ce qui permet de renouveler les exemples utilisés en cours. Mais également un bon aperçu des différents groupes de la société soviétique et des transformations que connut Leningrad.
François Trébosc © Clionautes