Fabrice Grenard, agrégé et docteur en histoire, directeur historique de la Fondation de la Résistance publie aujourd’hui son douzième ouvrage. Auteur d’une thèse sur le marché noir publiée en 2008, il est devenu l’historien français spécialiste des maquis, histoire qu’il avait abordé en 2011 par la question mal connue des « maquis noirs » et des « faux maquis ». Trois ans plus tard il publiait une magistrale biographie du « premier maquisard de France », Georges Guingouin, Une légende du maquis. Georges Guingouin, du mythe à l’histoire (2ème édition revue et augmentée, Vendémiaire, 2018). En 2019, parut la première synthèse à l’échelle nationale de l’histoire des maquisards, fruit de plus de dix ans de recherches,  Les Maquisards. Combattre dans la France occupée.

Une large place accordée aux documents                                                                                                                           

L’ouvrage qu’il signe aujourd’hui est une version simplifiée et illustrée de cette étude magistrale. Mais ces deux adjectifs ne rendent que trop modestement compte de la réalité : simplification certes, mais le texte proposé est très complet et précis, avec deux niveaux de lecture, celui du texte proprement dit et celui des légendes des documents ; illustrations certes, mais d’une grande variété, originalité  et qualité. Un ouvrage qui allie un contenu scientifique de haut niveau sur l’histoire des maquis et sur les aspects matériels et concrets de la vie quotidienne des maquisards, avec plus d’une centaine de documents (photographies, tracts, documents d’archives, témoignages), dont beaucoup sont inédits, reproduits en grand format et commentés.

Fabrice Grenard insiste dans son introduction sur le fait que des sources existent sur ce phénomène clandestin que sont les maquis : archives de la répression, souvenirs de maquisards, mais aussi des sources photographiques, qui permettent mieux que toutes autres d’évoquer la vie quotidienne. Des maquisards on désobéi à la consigne de ne pas faire de photos aux maquis, et on pu trouver un appareil et des pellicules, pourtant très rares. Il évoque aussi le cas de photographes ayant gagné le maquis avec leur matériel, et celui d’une photographe de presse ayant réalisé des reportages au maquis. Des films ont aussi été tournés au cœur des maquis, par exemple dans l’Ain et en Haute-Savoie au cours de l’hiver 1943-1944.

L’histoire des jeunes hommes qui prirent le maquis

Comme le dit le titre du livre, l’étude de Fabrice Grenard est résolument tournée au niveau des hommes qui furent des maquisards, qui décidèrent de ne pas partir travailler en Allemagne quand la loi de Vichy les y obligea, qui acceptèrent les dures conditions de vie du maquis  et la discipline imposée, qui combattirent, et pour beaucoup moururent au combat. Dans l’introduction de son précédent ouvrage, Fabrice Grenard disait vouloir écrire « non pas seulement une histoire des maquis, mais une histoire des maquisards ». Dans celui-ci, il écrit l’histoire des maquisards davantage encore que celle des maquis. Et les documents reproduits participent pour une large part à l’écriture de cette histoire.

Un plan chronologique et thématique

Les conditions de vie et les horizons d’attente des petits groupes d’hommes qui se cachent dès l’automne 1942 en zone Sud diffèrent de ceux qui vivent dans les gros maquis de combat du printemps 1944. Le plan choisi permet de tenir compte de la chronologie et de la géographie, tout en insistant sur les permanences dans les conditions de vie des hommes. Il est structuré en cinq parties : Devenir clandestin ; Intégrer la Résistance ; Agir pour survivre ; Tenir ; Mobilisation et Libération ; Après le maquis. Les documents, reproduits souvent pleine page et parfois sur deux pages sont également répartis dans toutes les parties.

Devenir clandestin

La naissance des premiers maquis est consécutive de la loi du 4 septembre 1942 qui instaure un système de réquisition de la main d’œuvre parmi les travailleurs masculins de 18 à 50 ans et les Françaises célibataires de 21 à 35 ans. Les hommes se cachent d’abord individuellement dans les fermes qui accueillent volontiers cette nouvelle main d’œuvre. Mais l’afflux (relatif au regard de ce qu’il sera plus tard) impose aux organisations de résistance, qui l’encourage sans l’avoir prévu, de créer des camps dans des espaces isolés, néanmoins pas trop éloignés d’une ferme ou d’un hameau pour pouvoir être contactés et ravitaillés. Ainsi apparaît « une première génération de camps », sur le plateau du Vercors, en Ardèche, dans le Jura, en Haute-Savoie, dans le Cantal, au cours de l’hiver 1942-1943, presque essentiellement dans les régions montagneuses de la zone Sud. Ce sont des camps d’hébergement, des maquis refuges, sans fonction militaire.

Un large mouvement de refus de la loi imposant le Service du travail obligatoire en février 1943 se manifeste dans tout le pays. Les organisations de résistance, aussi bien gaullistes que communistes, appellent à la désobéissance. Les requis se présentent à la visite médicale obligatoire, puis, surtout à partir d’avril 1943, ils passent dans la clandestinité. Beaucoup ne deviendront pas maquisards mais se limiteront à se cacher. Les camps refuges qui existaient dans les massifs montagneux essaiment pour absorber les réfractaires, dans l’Ain, la Haute-Savoie, le Vercors, le Vaucluse, la Corse, la Haute-Corrèze, les Vosges, le Morvan.

Des filières fonctionnent sur l’ensemble du territoire, depuis des régions de plus en plus lointaines, vers les camps principaux de la zone Sud. Elles sont difficiles à trouver et le temps pour gagner le maquis est souvent bien long pour celui qui a décidé de s’y rendre. Les commerçants, les prêtres, les médecins, ont joué un rôle crucial dans ces passages. On voit le maquis recruter dans les gares ; on voit des groupes gagner le maquis : un basculement collectif vers le maquis qui s’observe aussi à travers les étrangers fuyant les Groupes de Travailleurs étrangers au sein desquels Vichy les avait assignés.

Intégrer la Résistance

Les premiers maquis sont nécessairement mobiles, pour des raisons de sécurité et de ravitaillement. Les groupes se limitent à une dizaine d’hommes ; chalets, fermes, abris souterrains sont des installations temporaires. Il faut choisir les emplacements avec soin : à l’écart des hameaux et des villages, mais pas trop afin de pouvoir se ravitailler et garder le contact avec l’organisation : les premiers emplacements sur le plateau des Glières et sur celui du Vercors correspondent à ces critères. Au camp règnent l’inconfort et la précarité. Texte et documents évoquent les tenues vestimentaires, les soins corporels, l’alimentation, l’organisation de la journée, les corvées, le ravitaillement et le désœuvrement et le sentiment d’ennui, les veillées, l’attachement au chef qui est fondamental car il construit la cohésion du groupe.

Transformer le réfractaire en maquisard est un défi considérable. Les maquisards n’ont aucune expérience des armes, qui d’ailleurs sont rares, ainsi que les militaires qui acceptent de les encadrer. De plus, ces derniers ne sont pas compétents pour enseigner les techniques de la guérilla, et ceux qui sont issus de la société civile n’ont pas d’expérience militaire. La pénurie d’armes et de munitions freine la capacité d’action des maquis. Il y a peu de parachutages d’armes en 1943 car les Britanniques estiment que le risque est trop grand de voir les armes parachutées tomber directement aux mains de l’ennemi.

Agir pour survivre

A partir de l’automne 1943, la Résistance s’attache à démontrer aux populations que les maquis ne sont pas source de désordre et de chaos, mais qu’ils sont l’expression d’une autorité nouvelle, capable de contrôler le territoire et de faire régner un ordre plus juste. Les maquisards ne sont pas des hors-la-loi mais ils incarnent une nouvelle légitimité. Ainsi Guingouin fait il apposer des affiches fixant les prix des denrées qu’il signe « préfet du maquis » et qui annulent la législation de Vichy. Les coups de mains nécessaires au ravitaillement des maquis  sont rigoureusement encadrés par les chefs et la loi du maquis s’applique durement aux maquisards qui désobéissent.

Les organisations de résistance décident de célébrer le patriotisme et l’unité de la nation à l’occasion du 11 novembre 1943. Des documents évoquent la manifestation la plus célèbre, celle des maquis de l’Ain à Oyonnax, qui fut la plus importante (200 maquisards défilent en plein jour dans la ville), la plus risquée et la plus médiatisée.

Tenir

De décembre 1943 à mars 1944, les maquis traversent une période difficile. Cette période noire s’explique par la désillusion créée par l’absence du débarquement attendu pour l’automne, par les conditions hivernales qui rendent insupportables la vie dans les camps, par la répression qui s’accentue et n’est plus seulement le fait de la gendarmerie, mais aussi de la Milice et des Allemands. Il faut tenir.

L’hiver aggrave les conditions de vie et d’approvisionnement des maquisards. La neige complique les déplacements et les rend plus visible. Les hommes ont froid et faim, tombent malades et broient du noir. Certains désertent. Les effectifs chutent. Deux solutions opposées sont alors choisies : la concentration et la dispersion. En Haute-Savoie, dans le Vercors, dans le Bugey, les maquis les mieux organisés et les mieux équipés, bénéficiant de chalets d’alpage et d’habitations isolées, les hommes sont regroupés et le maquis maintenu. Dans les autres régions on choisit le décrochage et la dislocation. L’hébergement se fait dans des fermes et les conditions restent précaires. Quelques groupes optent pour le nomadisme. A l’opposé, des centaines de maquisards se rassemblent sur le plateau des Glières en Haute-Savoie durant l’hiver 1943-1944.

Au début de 1944, les Allemands décident d’engager une véritable répression militaire contre les maquis dans les régions où ils ont pris une réelle ampleur, les Alpes, le Jura et le Sud-Ouest. Les maquisards, qualifiés de « bandes » et de « terroristes » ne seront pas considérés comme des combattants réguliers et seront donc immédiatement exécutés. La Wehrmacht reproduisant les méthodes utilisées sur le front russe, les populations civiles seront terrorisées : exécutions, déportation, incendies de fermes, hameaux et villages. L’opération Korporal vise les maquis de l’Ain et se déroule en février 1944.  En mars 1944, l’opération Hoch-Savoyen vise le maquis des Glières. Le maquis décide de tenir afin de préserver les armes parachutées. Les Allemands bombardent le maquis et mènent une offensive frontale contre les maquisards qui reçoivent l’ordre de repli. 105 maquisards sont tués dans la chasse à l’homme qui s’en suit ainsi qu’une vingtaine de civils. Mais les maquisards ont tenu pendant près de deux mois, contre les Allemands et la Milice. Fin mars, l’action Brehmer est entreprise contre les maquis du Sud-Ouest, en Dordogne et en Corrèze. La répression est terrible contre les civils. Le maquis de Guinguoin adopte la stratégie du repli et de la dispersion, dure à vivre pour les maquisards, mais efficace. Des opérations sont encore menées dans le Cantal, l’Isère et le Vercors, tandis qu’une unité spécialisée dans l’infiltration des maquis, la division Brandebourg, opère dans les Basses-Alpes et le Vaucluse.

Mobilisation et Libération

Au printemps 1944, réfractaires et maquisards regagnent les bois et les montagnes redevenus protecteurs. La répression n’a pas anéanti les maquis et les populations restent solidaires. Les maquisards sont intégrés au sein des FFI qui se mettent en place en mars 1944. La stratégie reste celle du sabotage, de la guérilla et de la dispersion avant tout combat frontal.

Le débarquement de Normandie le 6 juin 1944 marque un tournant décisif ; les effectifs explosent pour aboutir à 100 000 maquisards fin juin. Les maquis participent à l’exécution des plans de sabotage mis au point à Londres et déclenchés par les messages de la BBC. Des appels à l’insurrection sont lancés et des villes sont libérées, de petites brigades territoriales de gendarmerie rallient les maquis. Beaucoup de camps ne sont plus vraiment camouflés et s’adossent à des villages : c’est le cas dans le Vercors et pour le maquis de Guingouin.

Les plus puissants maquis se lancent dans des batailles frontales avec l’ennemi. La répression elle aussi franchit un cran. Sont évoquées les tragédies de Tulle » le 9 juin 1944 et d’Oradour-sur-Glane, puis les combats du mont Mouchet. Soldats et officiers alliés, commandos de SAS et missions Jedburgh sont parachutés pour encadrer, armer et renforcer les maquis. Dans quelques villes et enclaves libérées par les maquis en juin 1944, et qui le restent de plusieurs jours à plusieurs semaines (su le plateau du Vercors par exemple), les maquisards incarnent le nouveau pouvoir. A Nantua, Henri Romans-Petit proclame la IVème République et assume à titre provisoire les fonctions de préfet ; sur le plateau du Vercors, la République est officiellement restaurée. Les maquisards sont militarisés et le maquis assure l’administration et l’épuration. La réaction des Allemands porte la répression à son plus haut niveau. Sont évoquées l’opération Trettenfeld dans l’Ain et l’opération Bettina dans le Vercors.

Viennent les victoires d’août et septembre 1944. La stratégie choisie consiste à asphyxier les garnisons allemandes qui se rendent, d’autant plus facilement que des officiers des services secrets alliés leur permettent de ne pas se rendre directement au maquis, ce qui les terrifie. Le long de la vallée de la Seine et de la vallée du Rhône, le rôle des maquis est moins déterminant dans la libération du territoire. Les dernières doubles pages sont consacrées  à la fusion des FFI au sein de la 1re armée de De Lattre, aux désillusions de l’amalgame, au retour obligatoire dans leur foyer des hommes qui ne veulent pas s’engager « pour la durée de la guerre », la déflation des grades mal vécue par les officiers des maquis.

Après le maquis

Les derniers thèmes traités, toujours avec texte et documents reproduits, concernent le maquisard dans la culture populaire, le difficile retour des maquisards à la réalité (réadaptation à la vie civile, chasse aux FTP dans l’atmosphère anticommuniste de la guerre froide), et enfin au fait que la mémoire des maquis est surtout devenue une mémoire locale.

Terminons ce compte-rendu axé sur le contenu, en précisant que la qualité de reproduction et de mise en page des documents  rend la lecture de l’ouvrage particulièrement agréable. Un livre indispensable dans tous les CDI, peut-être même capable de concurrencer la consultation d’Internet dans les travaux de recherche de nos élèves.

Joël Drogland pour les Clionautes