Laurent Wetzel est ainsi présenté sur la 4ème de couverture : « Ancien élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm et agrégé d’histoire, a travaillé avec René Rémond et Alain Peyrefitte. Il a été maître de conférence d’histoire contemporaine à Sciences Po et professeur d’histoire politique à Sup de Co et a également exercé la fonction d’inspecteur pédagogique régional dans plusieurs académies ». La publication en 2012 d’un ouvrage intitulé Ils ont tué l’histoire-géo est également mentionnée. Une recherche plus complète nous apprend qu’il a été un homme politique de droite très virulent, qu’il été maire (UDF) de Sartrouville et conseiller général. Il ne semble avoir publié jusqu’ici aucun article ou ouvrage historique.
Trois parties composent l’ouvrage : « Figures d’intellectuels résistants » (8 portraits, 72 pages) ; « Figures d’intellectuels collabos » (8 portraits, 90 pages) ; « Figures d’intellectuels ambivalents » (4 portraits, 36 pages). Les intellectuels résistants sont : Marc Bloch, Pierre Brossolette, René Cassin, Jean Prévost, Jules Saliège, Jacques Soustelle, Germaine Tillion et Simone Weil. Les intellectuels collaborateurs (ou plutôt collaborationnistes par le choix qui est fait) sont Alfred Baudrillart, Jacques Benoist-Méchin, Robert Brasillach, Marcel Déat, Pierre Drieu la Rochelle, Jean-Paul Hütter, Claude Jamet, Georges Soulès. Les quatre intellectuels « ambivalents » sont Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, Georges Pompidou et François Mitterrand. Chaque « figure » est traitée sur une dizaine de pages, dont beaucoup de citations des écrits de la personne choisie
Questions sans réponses
L’auteur est évidemment libre du choix des personnes qu’il veut présenter mais on aimerait avoir des éléments de réponse aux questions que tout lecteur se pose : Pourquoi eux ? Pourquoi pas d’autres ? Pourquoi pas Jacques Chardonne, Marcel Jouhandeau, Paul Morand ou d’autres hommes ayant fait le choix de la collaboration ou du collaborationnisme (qu’il faudrait distinguer) ? Pourquoi pas Albert Camus, René Char, Robert Desnos, Boris Vildé, Jacques Decour ou d’autres femmes et hommes s’étant engagé dans la Résistance ? Et, davantage encore, pourquoi ces quatre hommes dits « ambivalents » (la notion de vichysto-résistant n’est pas abordée) ? Pourquoi Georges Pompidou y figure-t-il, lui qui n’a pas été résistant ? Où est l’« ambivalence » de Raymond Aron, lui qui arrive à Londres le 28 juin 1940 pour s’engager dans la France libre ? Pourquoi aucun intellectuel communiste ne figure-t-il dans cette liste ? Pourquoi la notion d’engagement de l’intellectuel n’est-elle pas abordée ? Comment l’auteur comprend-t-il l’ambivalence ?
On ne trouve pas de réponse à ces questions. Aucune problématique ne justifie les propos. Il n’y a pas d’introduction véritable, mais un court avant propos ; il y a une page de conclusion qui est un résumé. Lisons donc l’avant propos pour connaitre le projet de l’auteur. Il nous dit qu’il s’agit d’un « essai » qui consistera à « dépeindre des figures d’intellectuels engagés » ou qui « chacun à sa façon adoptèrent des positions ambivalentes ». « Il ne s’agit pas de relater dans le détail, la vie de ces personnalités. Plusieurs historiens s’y sont déjà employés, à une ou deux exceptions près ». Effectivement, à part peut-être Jean-Paul Hütter, tous ces personnages sont connus et leur action de résistance ou de collaboration aussi. Le vrai projet de l’auteur est donc le suivant « reconstituer, au travers de récits et de propos (effectivement les citations constituent une bonne part du texte), souvent peu connus mais tous éclairants, les tempéraments, les motivations et les convictions de ces intellectuels ».
Des partis pris insidieux
Chaque personnage est donc évoqué en quelques pages, puis on passe au suivant Mais alors pourquoi ne pas avoir proposé la moindre réflexion synthétique, par exemple sur la profondeur du pacifisme qui conduit les uns et les autres dans des voies opposées ? Il nous faut encore signaler des partis pris insidieux. Jean-Paul Sartre a droit a cinq pages seulement. Le chapitre s’ouvre et se ferme par une citation d’un article intitulé « La République du silence », que Sartre publia dans Les Lettres françaises du 9 septembre 1944. La citation est la suivante « Jamais nous n’avons été plus libres que sous l’Occupation allemande ». L’auteur qualifie cette citation d’« étonnante », ainsi que quelques autres complètement sorties de leur contexte. Il laisse entendre que Sartre dit n’importe quoi. Il fait donc semblant (espérons-le) de ne pas savoir que cette formule prend sens qu’au prix d’une nouvelle définition de la liberté et nous renvoie pour être comprise à la philosophie existentialiste. La dizaine de pages consacrée à François Mitterrand, sous une apparence factuelle et distancée, est insidieusement malveillante.
© Joël Drogland pour les Clionautes