Les opinions publiques arabes s’affirment et s’autonomisent au grand dam des Américains
Comme on le verra ci-après, l’auteur a des opinions très tranchées, et qui ne sont pas partagées dans tous les milieux occidentaux ou arabes, notamment ceux qui sont sensibles à certains dérapages palestiniens ou d’Al Jézira, ou aux différences culturelles. Il est néanmoins utile de connaître son argumentation, qui est basée sur une très bonne connaissance des médias régionaux et qui, à ma connaissance, reflète bien l’état d’esprit d’une large part des populations arabes.

L’étude de cette « opinions publique arabe » (ou de « la rue arabe ») est devenue centrale dans le débat politique aujourd’hui, bien qu’elle ne soit pas mesurable, et que la meilleure façon de l’appréhender serait d’avoir des élections libres et honnêtes.

L’importance de cette « opinion publique » a été révélée (aux Américains surtout) par le 11 septembre. Auparavant si l’on savait vaguement que les régimes « pro-occidentaux » n’étaient pas vraiment soutenus par leurs peuples, c’était l’affaire de ces régimes, et on n’avait pas à s’en préoccuper. Tout a changé ensuite et l’intérêt américain pour ces opinions est donc d’abord lié à des questions de sécurité : elles sont un obstacle aux idées américaines, poussent à soutenir la violence contre elles et contre les régimes alliés. Elles poussent en réaction ces mêmes régimes à la violence pour rester au pouvoir, ce qui ne fait que renforcer la tendance de l’opposition à riposter par une même violence. Le rapport 2004 du PNUD sur le développement humain dans le monde arabe a mis l’accent sur les dégâts découlant de cette non démocratisation.

Parallèlement on assiste à une crise des identités nationales, particulièrement en Irak, au Liban et au Soudan, mais aussi dans une moindre mesure ailleurs. L’étude de l’opinion bute donc sur le fait qu’il n’y a pas de Libanais moyen, d’Irakien moyen etc.

La lutte médiatique voit d’un côté Al Jezirah et la majorité des éditoriaux et débats télévisés pousser en faveur de la prise en compte de l’opinion par les régimes, tandis qu’une minorité se méfie du peuple et estime que les hommes politiques ne doivent pas être esclaves de l’opinion, qui de toute façon a montré son impuissance. Ils estiment que « la menace de la rue arabe » est une invention des gouvernants de la région pour faire pression sur les Occidentaux. Les seules manifestations anti-occidentales, soulignent-ils, ont lieu… en Occident.

Sur le plan interarabe, l’auteur décrit le verrouillage « libano-séoudien » (argent séoudien, journalistes libanais) qui a longtemps été prédominant dans les médias arabes internationaux, télévision comme presse, et qui était indirectement pro américain et « anti panarabe » au sens de Nasser ou du baht (socialiste et relativement laïque). Ce verrouillage n’existe plus depuis la montée notamment d’Al Jézira, mais aussi d’Internet qui est utilisé pour tout ce qui est interdit, et notamment par les terroristes (« comment fabriquer une bombe dans sa cuisine »).

L’auteur estime que la montée des opinions vient de l’urbanisation et de l’alphabétisation, ainsi que de la perte du sentiment national qui pourrait rassembler la population derrière ses gouvernants. Il expose donc ce qui est commun aux différents pays du monde arabe : l’unité éventuelle de ce monde, la Palestine, l’Irak, les interventions étrangères…

Les Américains ont conclu qu’ils devraient être présents pour expliquer le sens de leur action. Mais ils n’ont pas parfaitement compris : ils estiment que la méfiance à leur égard est due à des raisons culturelles (religion, méfiance envers la démocratie et plus généralement envers la civilisation occidentale). Or l’auteur estime, sondages à l’appui, que ce n’est pas le cas et en particulier que l’aspiration à la démocratie générale. Le rejet des Américains vient de leur politique extérieure, trop israélienne et interventionniste, soit directement soit par soutien des régimes alliés. Mais par ignorance ou suite à l’action du lobby pro-israélien, les États-Unis persistent dans cette erreur et le résultat est une hostilité générale : le « pro-américanisme » va d’un maximum de 34 % au Liban à 4 % en Arabie.

Certes, les Américains les plus lucides se sont aperçus que la raison principale de l’agressivité arabe était leur politique étrangère. Mais comme cette dernière est intouchable, ils estiment que c’est cette opinion publique arabe qui doit changer, et non la politique américaine. Ils mènent donc une contre-offensive à la fois par de nouveaux médias et probablement par une infiltration de la presse et des milieux intellectuels arabes, dont les résultats sont difficiles à quantifier.

Cette attention de l’Amérique montre l’importance qu’a prise l’opinion publique arabe.