Guerre, armée et épidémies–XVIIIe–XIXe siècle – Erica Charters – Benoît Pouget – Revue historique des armées–revue d’histoire militaire–service historique de la défense – Année 2021 – 13 €
Une nouvelle revue sur la Cliothèque – Un peu d’histoire
Voici une nouvelle revue qui dans ces derniers jours de l’année 2021 rentre dans le catalogue de la Cliothèque. Lors de la renaissance des comptes-rendus de lecture sur le site des Clionautes le choix avait été opéré de passer des accords avec différentes revues et de les traiter de façon systématique dans nos colonnes. Cela nous ramène près de 15 ans en arrière, une éternité dans le monde du numérique. Des revues comme Questions internationales, Le mouvement social, Textes et documents pour la classe, Sécurité globale, – et cette liste n’est pas exhaustive –, ont ainsi été traitées par différents rédacteurs.
Le temps a passé, les attachés de presse des maisons d’édition ont changé, et puis la capacité d’engagement de nos contemporains a pu aussi s’effriter.
Pourtant, ce travail de veille scientifique n’a jamais été aussi indispensable. Dans la masse documentaire que l’on peut trouver en ligne, dans le foisonnement d’informations dont nous sommes abreuvés, dont les gazouillis qui tiennent lieu d’argumentation, il est difficile de s’y retrouver. Ce que l’on appelait à une époque le butinage, ou la curation sur le Web, c’est-à-dire le recueil de sources documentaires utiles a laissé la place sur Twitter, Facebook, à des partages frénétiques de liens dont il est difficile de savoir si l’émetteur les a simplement examinés avant de les mettre en ligne.
Les Clionautes se sont développés à contre-courant de ce qu’il faut bien appeler la paresse intellectuelle, l’affichage satisfait des raisons de ne pas faire. Pourtant, lorsque l’on essaie d’aller au-delà de l’écume des choses, on constate que jamais la vie intellectuelle n’a été aussi riche, la recherche historique féconde. Et à cet égard les technologies numériques constituent de remarquables outils.
La revue historique des armées éditée par le service historique de la défense sera désormais traitée par la Cliothèque. Au-delà des contenus scientifiques de haute tenue, cette publication est aussi un bel objet, avec un support de qualité, une iconographie soigneusement documentée et d’une grande richesse.
Guerre, armée et épidémies–XVIIIe–XIXe siècle
Le choix thématique de ce dernier numéro de l’année 2021 s’inscrit dans un contexte marqué par une pandémie dont l’impact est planétaire.
Dans plusieurs pays les forces armées ont été engagées dans des missions d’accompagnement logistique et de soutien aux populations pour faire face aux conséquences de l’offensive virale de la Covid 19. L’engagement a été variable selon les pays, et on se souvient de ces images de camions militaires de l’armée italienne transportant des cercueils tout comme de ces unités de l’U.S. Army procédant à des vaccinations de masse. Pour ce qui concerne l’armée française le déploiement d’un hôpital de campagne, mais aussi la protection d’installations sensibles comme des stocks de masques, des unités de distribution de matériel médical et de produits pharmaceutiques, ont constitué, parmi d’autres, des manifestations de cet engagement.
Le regard de l’historien permet de mesurer l’intimité du lien entre les guerres, les armées et les épidémies, et cela à toutes les époques. On se souvient de cette invocation, Fame, pestis, bello, libera nos Domine, de la faim, de la peste, de la guerre, libère nous Seigneur ! Le mouvement des troupes vivant sur le pays, pillant les récoltes, contribuait à la diffusion de ces fièvres et pestes dont on ignorait les causes mais dont on subissait les terribles conséquences.
Les organismes affaiblis par les épreuves des combats et des campagnes, la promiscuité, associée à des déplacements, ont pu ainsi favoriser la prolifération des maladies contagieuses. Jusqu’au début du XXe siècle celles-ci tuaient davantage de soldats que les combats eux-mêmes. Et ce qui existait de façon embryonnaire, les services de santé des armées, se retrouvaient en permanence sous pression.
L’État moderne a très vite compris la nécessité de préserver les hommes de la maladie. L’impératif est de « une ressource précieuse ». La médecine militaire a d’ailleurs été précocement engagée, et on peut à cet égard évoquer Ambroise Paré qui intervenait déjà pendant les guerres d’Italie au début du XVIe siècle.
Cette recension, au-delà de la transmission et de la diffusion d’informations scientifiques, vise également à mettre en avant le travail de jeunes chercheurs, Docteurs ou doctorants dont les contributions particulièrement variées constituent une véritable plus-value scientifique pour l’histoire de nos sociétés. Les forces armées sont à l’image de celles-ci et elles constituent un champ d’études particulièrement fertile. La projection des forces dans les espaces extra européens a également permis d’approfondir les connaissances médicales et aussi de combattre des pathologies sévissant à l’état endémique dans des territoires lointains.
Guerre sur mer – L’épidémie tue !
Le premier article, de Guillaume Linte, « prévenir et endiguer les épidémies à bord des vaisseaux de guerre français au XVIIIe siècle », rappelle comment, à partir de 1722, la Royale a inauguré la première école destinée à former les chirurgiens de la marine. Son initiateur, Jean Cochon–Dupuy, avait alors souhaité que les élèves reçoivent un enseignement théorique, pratique à l’hôpital mais également lors des campagnes en mer.
On se souvient des ravages du scorbut, et pendant longtemps on a pu croire que cette maladie de carence était contagieuse. Ce qui était par contre évident était la difficulté de recruter des gens de mer, et par voie de conséquence, très rapidement, la nécessité de les préserver des maladies, pour les conserver à bord, s’est imposée. Tout un arsenal de dispositions, que l’on appellerait aujourd’hui la fidélisation, se développe à partir du XVIIIe siècle.
Indépendamment des officiers de l’état-major du navire, l’essentiel de la vie de l’équipage se déroule au pont supérieur et surtout dans l’entrepont. C’est dans cet espace insalubre que viennent s’entasser les hommes, mais aussi le bétail sur pied, embarqué pour satisfaire les besoins de l’état-major en produits frais. L’équipage se contente de biscuits, de légumineuses, de fromages ainsi que de lard et de morue salés. Si la ration alimentaire est supérieure à celle de la majorité des hommes vivant à terre, elle manque singulièrement de variété et permet d’expliquer bien des maladies de carence.
L’épidémie à bord est une menace permanente, surtout sur des vaisseaux de guerre, lorsque des soldats vivant également dans l’entrepont sont embarqués.
Les chirurgiens de marine dénoncent régulièrement les conditions de vie à bord, et notamment l’environnement, considéré comme étant le premier facteur préside à l’apparition et à la transmission des maladies via les miasmes.
La dysenterie, la gale, les maladies vénériennes, contractées à terre probablement, sont évoquées, de même que le scorbut. Dans la marine anglaise des 1750, en France, en 1767, on note l’existence d’une fièvre « putride, maligne, contagieuse et pestilentielle », documentée comme « la fièvre des hôpitaux et des prisons, et que l’on appellera par la suite « la fièvre des vaisseaux ». La pathologie observée semble être une forme de typhus, exanthématique, pour être précis.
à cette époque ce sont toujours les miasmes qui sont considérés comme étant le vecteur de la maladie. Les poux et leur piqûre ne semblent pas être pris en compte. Ce qui est sûr en tout cas ce que cette pathologie a durement touché l’escadre de Dubois de la Mothe entre 1757 et 1758. La maladie aurait fauché entre 5000 et 7000 brestois, en se propageant à terre.
La prévention de la contagion, et la préservation de la santé des hommes constitue alors un enjeu stratégique. Dès 1689 des mesures d’isolement, on dirait aujourd’hui de confinement, sont envisagées. Au-delà de 10 bâtiments la construction d’un navire hôpital est envisagée. Il y a toutefois une différence à prendre en compte entre les préconisations des chirurgiens de marine et la réalité de leur mise en œuvre. C’est d’ailleurs à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle que des mesures plus rigoureuses sont prises, notamment en évitant de recruter n’importe qui, y compris des malades, dans les équipages.
L’isolement des malades, l’évacuation de leurs hamacs et leur transfert dans les vaisseaux hôpitaux , lorsqu’ils existent, sont alors préconisés à bord et à cet égard la Royale a pu être un des terrains d’ expérimentation d’une politique sanitaire qui sera appelée à se développer dans les armées.
Guerre en Italie – Les moustiques, les puces et le fer
Indépendamment de l’intérêt que l’on peut porter aux guerres d’Italie conduites par Bonaparte, cet article mérite le détour car la victoire des armées françaises n’est pas simplement imputable au courage des soldats et à la qualité du commandement, mais surtout à la maîtrise des conditions environnementales et sanitaires par le jeune général.
Les médecins militaires français avaient anticipé la situation sanitaire dans laquelle pouvait se trouver l’armée d’Italie. Le territoire de Mantoue, en Italie du Nord, se situe à proximité de zones fortement marécageuses, favorisant les fièvres. Les fièvres intermittentes, c’est-à-dire le paludisme, sont fréquentes.
Bonaparte semble avoir anticipé la situation en faisant en sorte qu’aucun hôpital ne soit installé dans le secteur de Mantoue. Les installations sanitaires des armées sont positionnées dans la ville de Crémone, disposant de nombreux couvents et d’églises pouvant être transformés en hôpitaux militaires. On y prépare 1200 lits, avec un hôpital de campagne de 600 lits supplémentaires, 10 000 q de blé sont stockés tandis que des objets précieux comme des pièces d’argenterie sont confisqués. Des indications strictes sont données, pas toujours respectées d’ailleurs, pour installer les cantonnements le plus loin possible des eaux stagnantes.
Incontestablement, il y a de la part de cette armée d’Italie une volonté d’anticiper sur une crise sanitaire inévitable dont on considère qu’elle a pu toucher un tiers de l’effectif. Malgré des mesures prophylactiques, les maladies se multiplient, et cela se traduit par des commandes massives de vinaigre, considéré comme un produit antiseptique. Lorsque le paludisme diminue avec l’arrivée du froid, qui limite l’activité des moustiques, c’est la fièvre pétéchiale, c’est-à-dire le typhus, répandue par les poux, qui sévit.
Paradoxalement, alors que l’armée est fortement affaiblie par sa situation sanitaire, et que l’échec militaire se profile, c’est cette même situation qui va permettre de prendre la ville de Mantoue.
Bonaparte demande au chef du génie de briser les digues qui contrôlent le niveau du Mincio, un affluent du Pô pour inonder la ville et l’entourer d’eau stagnante. Les conséquences ne se font pas attendre, les fièvres se développent dans la ville, d’autant plus que les forces françaises empêchent les pêcheurs de la ville de s’approvisionner en roseaux qui pouvaient se substituer au fourrage permettant de nourrir le bétail de la cité.
La chaleur estivale aggrave la situation, et des trêves temporaires entre les deux armées permettent à chaque camp d’enterrer leurs cadavres respectifs. À la fin du siège plus de la moitié de la garnison autrichienne de Mantoue est morte et plus du tiers des survivants est malade.
Cet épisode doit conduire certaines réflexions à prendre en compte pour les conflits futurs. Les dimensions sanitaires et environnementales semblent essentielles. Si l’on dispose de moyens de traitements beaucoup plus efficaces qu’au tout début du XIXe siècle, il n’en demeure pas moins que les mêmes causes, à savoir les fortes chaleurs et les eaux stagnantes, peuvent produire les mêmes effets. Les armées se sont intéressées depuis plus de deux décennies aux conséquences opérationnelles du réchauffement climatique, elles n’ont fait au final que reprendre des approches beaucoup plus anciennes dont cet article révèle pourtant la modernité.