La Bretagne est secouée par de vigoureuses contestations dès le début des années 1960. Elle est aussi confrontée à des mutations importantes et rapides. Le recul de la pratique religieuse en est une des plus marquantes peut-être.
L’auteur, professeur émérite de l’Université de Brest, est un spécialiste de l’histoire de la Bretagne. Il est, entre autres, l’auteur d’une biographie de Tanguy-Prigent (paysan breton, militant socialiste, ministre de l’agriculture à la Libération) : Tanguy-Prigent, paysan ministre, (PUR, 2002). Il a participé à la direction de nombreux ouvrages dont L’Ouest dans les années 1968, PUR, 2012, (avec Vincent Porhel, Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier). S’il ne cache pas son empathie pour celles et ceux « qui se sont battus pour transformer la société », son travail rigoureux et nuancé est bien celui d’un historien. Quel intérêt présente ce nouvel ouvrage ?

Tout d’abord, il s’agit d’un très bel objet dont le format 22cm sur 28 cm a permis d’intégrer une riche iconographie. L’auteur a consulté de nombreux fonds et le néophyte comme le connaisseur trouveront de quoi satisfaire leur curiosité : nombreuses photographies de villes en transformation, de manifestations de masse, de personnes anonymes comme de personnalités (élus de droite et du centre dont certains furent ministres tels Raymond Marcellin, Olivier Guichard mais aussi jeunes responsables socialistes promis à bel avenir : Jean-Yves Le Drian, Jean-Marc Ayrault, Bernard Poignant…), reproductions de tracts, d’affiches, de premières pages de journaux (ainsi du numéro 1 de l’hebdomadaire Rouge de septembre 1968)… Les transformations et l’effervescence contestataire de toute une région sont ainsi présentées et finement analysées grâce aux nombreux tableaux (résultats d’élections, évolution de la pratique religieuse…) et aux cartes qui permettent de mieux percevoir les tendances à l’œuvre dans cette région ainsi que les différenciations qui traversent la Bretagne.

Là réside un des intérêts majeurs de l’ouvrage ancré dans une région périphérique qui connaît des transformations majeures dans ces années. La Bretagne ici présentée n’est pas la région administrative à quatre départements définie en 1941 et confirmée sous la IVe puis la Ve République, nous dit l’auteur, mais la « Bretagne historique » avec la Loire-Atlantique. Pour lui, ce choix s’explique car au-delà des similitudes économiques et sociales, sont entrées en action des forces politiques, économiques, sociales et syndicales dans ces années qui agissent au-delà des départements dans un cadre régional (p. 12). De plus les mutations de la société concernent l’ensemble de ces départements, en particulier, la baisse de la pratique religieuse et la politisation d’une partie des chrétiens dans les années 1960-1970. Enfin, nombre d’habitants ont le sentiment que leur région a été délaissée sinon « sacrifiée » par le pouvoir central. Ce qui favorise la renaissance d’un courant régionaliste plutôt ancré à gauche alors et entraine, au-delà de celui-ci, de vigoureuses interpellations des pouvoirs publics nationaux. Ces années sont ainsi le théâtre de manifestations paysannes nombreuses, massives et qui débouchent parfois sur des déprédations matérielles ou des violences envers les forces de l’ordre.
L’auteur reprend, dans le titre du livre, l’expression : « les années 68 » qui s’est imposée chez les historiens pour caractériser cette période de transformation qui s’étend du début des années 1960 à la fin des années 1970. Dans sa conclusion, il qualifie même celles-ci de « Vingt Glorieuses » pour signifier la rapidité avec laquelle s’opèrent les changements dans cette région. En quoi ce choix est-il justifié dans le cas breton ? Plusieurs raisons l’expliquent. Au début des années 1960, la Bretagne est encore fort rurale, plutôt conservatrice et marquée par l’empreinte du catholicisme. Dans les années 1968, cette région est secouée par des contestations puissantes, multiples, dynamiques, parfois coordonnées qui ont commencé bien avant le « joli mois de mai », agitent paysans, ouvriers, étudiants et bien d ‘autres encore et surprennent nombre d’observateurs de l’époque. Même si elles ont fait peur en mai-juin 1968, même si elles sont minoritaires, elles ébranlent peu à peu la tradition et la Bretagne se rapproche des évolutions sociétales et politiques que connaît le reste du pays. Les comportements changent et la société « se normalise […] et se modernise ». Des courants féministes s’affirment. Là est peut-être la seule ombre de l’ouvrage l’auteur aurait pu développer les remarques qu’il fait (dans les commentaires des photographies) sur l’omniprésence des hommes dans les réunions de responsables syndicaux ou dans d’autres instances. Sur le plan politique, les changements se traduisent par le lent recul de la droite et du centre longtemps très puissants, par le dynamisme puis le reflux des extrême-gauches et des courants régionalistes après 1968, par la montée progressive du Parti socialiste et par l’affirmation d’une sensibilité écologiste. Sur le plan culturel, les nouvelles générations s’approprient la culture bretonne et celtique : Gilles Servat chante La Blanche hermine, Alan Stivell publie Renaissance de la harpe celtique. Autant de succès musicaux du début des années 1970…. Ces mutations sociales et politiques accompagnent les transformations économiques de la région même si la crise l’affecte à partir du milieu des années 1970.

1981 marque un tournant. La droite est encore majoritaire, de peu, dans cette région aux élections présidentielles mais les élections législatives de juin voient déferler une « vague rose » sur la Bretagne. Et ce, alors que les luttes syndicales sont devenus défensives et que les courants les plus contestataires sont affaiblis.
Un livre riche au plan classique, écrit dans une langue claire qui enrichit et nuance notre connaissance tant de cette région que des années 1968.

Jean-Philippe Martin.