L’ouvrage Édouard Herriot en quatre portraits (le Lyonnais, l’humaniste, le politique, l’européen), publié sous la direction de Bruno Benoit, est paru en janvier 2020, aux Presses universitaires du Septentrion. Universitaire et historien français, né le 30 janvier 1949 à Lyon, il est l’un des spécialistes français de l’histoire de la ville de Lyon et de l’époque contemporaine, en particulier, de la période de la Révolution française.

Bruno Benoit a contribué à plus d’une trentaine d’ouvrages, comme auteur unique, en collaboration ou en tant que directeur de la publication. Il s’intéresse particulièrement à l’histoire politique lyonnaise, de la Révolution à nos jours, mais aussi, à tout ce qui a trait aux violences, à la mémoire, et aux problèmes d’identité. Il enseigne l’histoire contemporaine en qualité de professeur des universités à Sciences Po Lyon. Père du concept de « lyonnitude », il est considéré par ses pairs et désigné dans les médias comme un spécialiste de l’histoire et de l’identité lyonnaises.

Fils de l’historien lyonnais Félix Benoit, il effectue ses études secondaires au lycée du Parc, à Lyon. Après l’agrégation d’histoire obtenue en 1972, à 23 ans, il commence sa carrière dans un lycée à Belley, dans l’Ain, qu’il quitte ensuite pour rejoindre le collège Elsa Triolet, dans le quartier des Minguettes, où il reste 8 ans. Puis, il enseigne au lycée d’Oullins et ,enfin, au lycée Ampère en classes préparatoires HEC avant de rejoindre l’Université, en 1990.

Cette publication de 292 pages inclut une table des matières (p. 7-9), des remerciements (p. 11), une préface de l’historien Jean Garrigues (p. 13-17), une introduction générale (p. 19-24), un témoignage d’André Soulier (p. 25-28), 16 contributions (p. 29-278) réparties en 4 parties : Édouard Herriot, le Lyonnais (p. 29-82), Édouard Herriot, l’humaniste (p. 83-142), Édouard Herriot, le politique (p. 143-206), Édouard Herriot, l’européen (p. 207-258), une conclusion (p. 259-264), un article de l’historien Nicolas Beaupré intitulé Agir et Créer. Les « écrits de guerre » d’Édouard Herriot (p. 265-278), un index (p. 279-286), une présentation des auteurs (p. 287-288) et, enfin, une liste des sigles utilisés (p. 289).

Premier portrait : Herriot, le Lyonnais

La première partie de l’ouvrage Édouard Herriot, le Lyonnais, d’une cinquantaine de pages (p. 29-82), comporte 4 contributions : Herriot et l’herriotisme, rencontre entre un homme et une ville (p. 33-40) de Bruno Benoit (Professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’IEP de Lyon et membre du Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes – LARHRA), Édouard Herriot et le Cardinal Gerlier : une entente cordiale au service de la cité et de la France (p. 41-56) d’Olivier Georges (Docteur en Histoire, Inspecteur pédagogique régional), Herriot et la cité moderne : un édile hygiéniste ? (p. 57-70) de Stéphane Frioux (Maître de conférences en histoire contemporaine, Université Lumière-Lyon 2 et membre de LARHRA), Herriot et les droites lyonnaises (p. 71-82) de Yann Sambuis (Professeur agrégé d’histoire au Lycée Aragon de Givors dans le Rhône).

Ce premier portrait évoque d’abord, et en toute logique, Édouard Herriot et Lyon. En effet, il arrive dans la cité du Primat des Gaules comme professeur de lettres, en 1896, à l’âge de 24 ans. Ce lyonnais d’adoption reste le maire de la ville pendant plus de 52 ans, de 1905 à 1957.

Dans Herriot et l’herriotisme, rencontre entre un homme et une ville (p. 33-40), Édouard Herriot arrive à Lyon comme professeur en 1896 à l’âge de 24 ans et reste maire de la ville pendant plus de 52 ans, de 1905 à 1957. Ses relations avec Lyon relèvent d’une rencontre amoureuse entre un homme et une ville. Tel est le propos introspectif de Bruno Benoit qui cherche à comprendre comment ce professeur de lettres, qui n’est pas de Lyon, noue avec Lyon et sa population une liaison forte, durable et réciproque. Désigné maire, en 1905, par Augagneur qui quitte la ville en plein mandat municipal pour devenir gouverneur de Madagascar, Herriot, dès 1908, se fait élire maire de Lyon sur son propre nom. L’union entre Herriot et Lyon dure plus de 50 ans, soit la durée de véritables noces d’or !

Avec Édouard Herriot et le Cardinal Gerlier : une entente cordiale au service de la cité et de la France (p. 41-56), Olivier Georges montre qu’Herriot est le premier édile post-révolutionnaire à comprendre ce qu’est cette ville de Lyon, à la fois traumatisée par son passé révo­lutionnaire et héritière du martyrologe de 177. À Lyon, quand les Terreaux, c’est-à-dire l’hôtel de ville, s’entendent avec Fourvière, c’est-à-dire l’Église catholique, la ville se porte bien. C’est la raison pour laquelle l’auteur nous montre le laïc Herriot n’hésitant pas à s’entendre avec le cardinal Gerlier, grande figure de l’épiscopat français, pour bâtir une entente cordiale afin de promouvoir la cité de Lyon, mais aussi pour défendre la République.

Avec Herriot et la cité moderne : un édile hygiéniste ? (p. 57-70), Stéphane Frioux démontre que, dès avant la guerre de 1914, Herriot comprend que Lyon est resté au stade provincial. Cette ville doit changer d’échelle, elle en a le potentiel, mais elle ne sait pas se mettre en valeur. Pour cette raison, il organise l’exposition internationale de 1914 qui satisfait l’ego des Lyonnais et en profite pour développer, ce que l’analyse renouvelée de l’universitaire apporte, une vision moderniste dans la gestion de la cité en faisant appel à un médecin hygiéniste, le docteur Jules Courmont.

Enfin, dans Herriot et les droites lyonnaises (p. 71-82) de Yann Sambuis, Herriot, le radical-socialiste, est, à Lyon, un homme de consensus et non un partisan, pratiquant une politique d’apaisement entre les différentes familles politiques lyonnaises. Il se positionne, en quelque sorte, dans la centralité politique, loin des extrêmes, ce qui lui permet, comme nous le démontre l’historien, de pouvoir s’entendre avec les modérés face aux gaullistes et aux communistes.

Deuxième portrait : l’humaniste

La deuxième partie du livre Édouard Herriot, l’humaniste, d’à peine 60 pages (p. 83-142), se compose de 5 articles : Édouard Herriot et le Lycée du Parc (p. 87-100) de Roland Saussac (Agrégé d’histoire et docteur d’État), Du cinématographe au « cinéma ordinaire », Édouard Herriot face au développement du spectacle cinématographique (1895-1928) (p. 101-110) de Renaud Chaplain (Maître de conférences à l’Université catholique de Lyon), Édouard Herriot et Tony Garnier, retour sur un mythe fondateur (p. 111-124) de Philippe Dufieux (Professeur à l’École nationale d’architecture de Lyon), Herriot, historien de la révolution à Lyon (p. 125-134) de Jean-Philippe Rey (Professeur agrégé en classes préparatoires et docteur en histoire), Herriot et Gadagne (p. 135-142) de Xavier De La Selle (Directeur du musée de Gadagne).

Ce deuxième portrait traitre de la dimension humaniste d’Herriot. Maire de Lyon, Herriot est avant tout un pédagogue. Le littéraire, qu’il est, œuvre, durant tout son mandat local, pour la jeunesse et la modernisation de la cité, sans oublier d’apporter sa pierre à la valorisation de l’histoire et du patrimoine lyonnais.

Dans Édouard Herriot et le Lycée du Parc (p. 87-100) de Roland Saussac, la préoccupation première d’Herriot est de construire des écoles, mais aussi des lycées. L’historien évoque, avec une riche érudition, le lourd dossier qu’a dû défendre Herriot pour la construction du lycée du Parc entre le début de son mandat et la guerre de 1914. Si le pédagogue Herriot est à l’aise dans les montages financiers, ses relations ainsi que son insertion dans la ville – qui fait dire aux autorités qu’il est là pour longtemps – lui permettent d’arriver à ses fins.

Comme nous le révèle Renaud Chaplain dans une approche originale, avec Du cinématographe au « cinéma ordinaire », Édouard Herriot face au développement du spectacle cinématographique (1895-1928) (p. 101-110), le maire de Lyon se révèle encore un pédagogue, dans ses relations avec le cinéma. Il n’est pas un adepte du cinéma grand public qu’il trouve médiocre, mais voit dans ce média un outil pédagogique pour les enfants et, pour cela, se fait initiateur du cinéma scolaire. Parallèlement, il évolue, par patriotisme économique, vers une défense de l’industrie cinématographique française fortement concurrencée par le cinéma américain.

Dans Édouard Herriot et Tony Garnier, retour sur un mythe fondateur (p. 111-124), si la pédagogie coule dans ses veines, Herriot est aussi un homme qui valorise le talent. Sa rencontre avec Tony Garnier, l’architecte talentueux et visionnaire, est au cœur du projet bâtisseur et modernisateur d’Herriot. Philippe Dufieux nous fait part de sa fascination pour cette rencontre – thème récurrent de ses rapports avec Lyon – entre Herriot et Garnier durant les trente premières années de son mandat municipal. De ce dialogue sont sortis de terre des bâtiments qui font partie du patrimoine architectural lyonnais.

Avec Herriot, historien de la révolution à Lyon (p. 125-134) que met en scène, avec pertinence, Jean-Philippe Rey, Herriot devient lyonnais par l’histoire. Sa démarche d’historien de Lyon associe pédagogie et rencontre dans son analyse historique de la Révolution à Lyon. En effet, se faire historien de la tragédie de 1793, moment fondateur de l’identité politique lyonnaise, c’est expliquer aux Lyonnais que, de cette rencontre entre traumatisme et prise de conscience, date leur centralité politique.

Enfin, dans Herriot et Gadagne (p. 135-142), lui le pédagogue et l’amoureux de Lyon comprend que cette ville a besoin de mettre en valeur son passé, dans lequel elle puise ses racines. Il dote Lyon la bimillénaire d’un musée historique, le musée de Gadagne. Xavier de la Selle fait part de l’inauguration de ce dernier par Herriot, sans que celui-ci n’y consacre, par la suite, une part importante de son action au point que celui-ci n’y occupe aujourd’hui qu’une seule vitrine !

Troisième portrait : le politique

La troisième partie du livre Édouard Herriot, le politique, de 63 pages (p. 143-206), est constitué de 4 apports : Édouard Herriot ministre pendant la Grande Guerre : rupture et amnésie (p. 147-158) de Christian Chevandier (Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université du Havre), Méditations sur l’image négative d’Herriot, responsable financier et économique (p. 159-180) de Hubert Bonin (Professeur émérite en histoire contemporaine de l’IEP de Bordeaux et membre de l’UMR GRETHA-Université de Bordeaux), Édouard Herriot et le Front Populaire : rendez-vous manqué, déplacement d’intérêt et bienveillance (p. 181-192) de Gilles Vergnon (Maître de conférences en Histoire contemporaine à l’IEP de Lyon et membre du LARHRA), Les socialistes et Édouard Herriot, chronique et relecture d’une mésentente fraternelle (p. 193-206) de Gilles Morin (Docteur en Histoire).

Ce troisième portrait éclaire un Herriot politique, c’est-à-dire qu’il s’intéresse à la place qu’a tenue le maire de Lyon dans la vie politique nationale. Celle-ci ayant été la dimension la plus étudiée par ses biographes, ce sont donc des aspects moins connus que traitent ici les auteurs.

Avec Édouard Herriot ministre pendant la Grande Guerre : rupture et amnésie (p. 147-158), Christian Chevandier ouvre le dossier de l’expérience ministérielle trimestrielle d’Herriot, en tant que ministre des Travaux publics, des Transports et du Ravitaillement, voire de la Marine marchande. Cette courte expérience lui laisse cependant un goût amer, car l’environnement climatique, économique et militaire est peu propice à valoriser son action ministérielle. Si les critiques sont nombreuses (ce qu’Herriot a du mal à accepter), cette nomination le fait passer de l’échelon local à l’échelon national.

Dans Méditations sur l’image négative d’Herriot, responsable financier et économique (p. 159-180), Hubert Bonin constate que, quand on évoque le Herriot homme politique, on pense toujours au Cartel des Gauches de 1924. Là encore, l’expérience se termine mal et l’universitaire nous en donne les clés. Il met en avant la responsabilité d’Herriot dans l’échec financier du premier Cartel en décortiquant finement les quelques mois de cette première expérience de gouvernement par la Gauche.

Avec Édouard Herriot et le Front Populaire : rendez-vous manqué, déplacement d’intérêt et bienveillance (p. 181-192), Gilles Vergnon traite des rapports difficiles d’Herriot avec le Front populaire en livrant une analyse pertinente à deux niveaux de lecture, le niveau national et le niveau lyonnais. Il est évident que ses tensions avec la S.F.I.O. lyonnaise déteignent sur ses rapports avec Blum, avec en arrière-plan l’échec du Cartel qu’il impute aux socialistes.

Enfin, dans Les socialistes et Édouard Herriot, chronique et relecture d’une mésentente fraternelle (p. 193-206), la question des relations entre socialisme et radicalisme est essentielle pour comprendre que les années 1930 sont une rupture dans la trajec­toire politique du radical Herriot, qui ayant atteint la soixantaine, a une lecture politique qui date. De ce fait, il laisse la première place à Léon Blum pour incarner la Gauche. Ce passage de témoin, au-delà des différences de programme entre ces deux formations, est éclairée de façon remarquable avec une approche historiographique par Gilles Morin.

Quatrième portrait : Édouard Herriot l’européen

La quatrième et dernière partie du livre Édouard Herriot, l’européen, de 51 pages (p. 207-258), est faite de 3 communications : Édouard Herriot et l’Union soviétique (p. 209-226) de Marie-Pierre Rey (Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris I Sorbonne), Herriot et l’Espagne ou l’embarquement pour S’y Taire (p. 227-246) de Jean-Marc Delaunay (Professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’Université Paris III), Édouard Herriot et l’Allemagne : la continuité dans la méfiance (p. 247-260) de Georges-Henri Soutou (Professeur émérite d’Histoire contemporaine à l’Université Paris III).

Ce quatrième portrait nous amène à évoquer Herriot, l’européen. Témoin actif de la Grande Guerre et acteur politique majeur des relations internationales dans l’après-guerre en tant que ministre des Affaires étrangères ou président du Conseil, voire président de la Chambre, Herriot s’intéresse aux alliances que la France peut établir. Partisan de traités bilatéraux, il goûte peu à la sécurité collective, hanté qu’il est par l’Allemagne. Une fois encore, il révèle une vision tradition­nelle, mais cependant pertinente, des relations internationales, dans une Europe marquée par la montée des totalitarismes.

Avec Édouard Herriot et l’Union soviétique (p. 209-226), l’universitaire Marie-Pierre Rey évoque ses voyages en Union soviétique, lui qui est le premier à avoir reconnu ce pays, en 1924. De ce fait, les deux voyages qu’il fait en 1922 et 1933 sont l’occa­sion de livrer la vision du maire de Lyon, à la fois claire du régime de l’URSS, mais aussi aveugle quant aux réalités socio-économiques. Les Soviétiques sont sensibles à la démarche d’Herriot de rechercher une alliance, mais se méfient d’une France portée à la procrastination.

Dans Herriot et l’Espagne ou l’embarquement pour S’y Taire (p. 227-246), l’historien Jean-Marc Delaunay revient, de façon originale et nouvelle, sur la dimension méditerranéenne de la France qui cherche à assurer ses arrières avec l’Espagne avec laquelle l’Hexagone a, pourtant, quelques différends au Maroc. Le voyage d’Herriot en Espagne, après la mise en place de la République espagnole, relève plus du tourisme que du voyage officiel, sans pour autant négliger les rencontres avec les responsables républicains. Avec la guerre d’Espagne, cette approche intel­lectuelle bute sur un engagement clair de la France aux côtés des républicains face aux forces anti-démocratiques.

Comme le montre Henri-Georges Soutou, avec Édouard Herriot et l’Allemagne : la continuité dans la méfiance (p. 247-260), il est évident que l’Allemagne est au cœur de la réflexion d’Herriot quant à la place de la France en Europe. Cette Allemagne, dont il admire la culture, il s’en méfie et s’en méfiera encore en 1954 lors du vote sur le Communauté européenne de défense (CED). Dans l’optique d’éviter une nouvelle guerre, Édouard Herriot hésite entre intégrer l’Allemagne dans la CED (dans cette sécurité collective que les accords de Locarno de 1925 avait laissé entrevoir) ou isoler l’Allemagne.

Bruno Benoit et le colloque « Le demi-siècle d’Édouard Herriot », Lyon, 19-20 octobre 2017

Pour conclure, après une attente de plus de deux ans, l’ouvrage Édouard Herriot en quatre portraits (le Lyonnais, l’humaniste, le politique, l’européen), édité en janvier 2020 sous la direction de Bruno Benoit, est le résultat de la publication des actes du colloque « Le demi-siècle d’Édouard Herriot » qui s’est déroulé à Lyon, les 19 et 20 octobre 2017. Une fois n’est pas coutume, après une longue conclusion écrite par Bruno Benoit, l’ouvrage se termine par la communication de Nicolas Beaupré. En effet, commentant les deux ouvrages d’Her­riot, Agir et Créer, dont les titres sont le portrait parfait de ce que fut ce personnage, Nicolas Beaupré montre qu’Édouard Herriot était bien un homme politique qui pensait l’avenir au travers des expériences du passé, en particulier de celle de la Grande Guerre qui a accouché pleine­ment de l’homme public qu’il fut, à la fois lyonnais, humaniste, politique et européen.

Selon Bruno Benoit, Herriot est avant tout un pédagogue, parfois un visionnaire, un défenseur de l’échelon communal, un patriote qui se méfie de l’Allemagne, un chaud partisan de la République parle­mentaire, un écrivain à la plume généreuse, un constructeur d’identité politique pour Lyon, mais aussi un homme confronté à l’échec face aux réalités financières, un acteur politique qui, dès les années 1930, est dépassé, appartenant en quelque sorte à « l’ancien monde » poli­tique d’avant 1914 et, enfin, son abstention, en tant que président de la Chambre des députés lors du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940 à Vichy, interroge encore l’historien, surtout que sa position dénote face au département du Rhône qui est celui qui a vu le plus grand nombre de députés et de sénateurs voter contre ces pleins pouvoirs. Son long itinéraire politique est donc fait de cassures et de sutures.

Les cassures viennent des temps nouveaux qui s’imposent et qui vous renvoient dans le passé. Herriot, qui a commencé sa carrière avant la Grande Guerre, a du mal à voir la Gauche française s’enrichir d’un nouveau parti, le parti communiste, et de voir la S.F.I.O. devenir la réfé­rence à Gauche. La question de la sécurité collective, nouvelle venue des relations internationales après 1918, est pour lui une cassure dans son approche diplomatique, fondée bien davantage sur le bilatéralisme.

Son attitude en juillet 1940 est aussi une cassure dans son engagement répu­blicain exemplaire. Sa gestion municipale lyonnaise peut être lue comme une cassure dans la lecture Gauche / Droite de la vie politique nationale. En effet, il développe, dans son bastion politique qu’est Lyon, un posi­tionnement qui efface, en partie, les clivages de Gauche et de Droite au profit d’une centralité politique, véritable construction voulue et réussie par Herriot, même si à son retour d’Allemagne en mai 1945, une certaine rupture est notable dans l’accueil qui lui est fait par la population.

Les sutures, ces éléments qui donnent du lien, ponctuent sa vie publique et lui permettent, depuis son arrivée à Lyon en 1896, de traverser un demi-siècle toujours aux commandes municipales, même quand il n’a plus de majorité, d’être un parlementaire régulièrement élu, voire de rester un chef influent du parti radical jusque sous la IVe République. Ces sutures sont, depuis 1905-1908 et ce jusqu’à 1956, date de sa dernière élection un an avant sa mort, ses succès électoraux régulièrement renou­velés comme maire, sénateur ou député qui témoignent de ce lien fort avec la population lyonnaise. Il y a entre Herriot et Lyon une dimension fusionnelle, ce qui permet d’avancer qu’Herriot a marqué durablement l’identité politique de Lyon.

Ce colloque, sans renouveler fondamentalement la connaissance du personnage, a permis de mettre en lumière des zones laissées dans l’ombre au cours de sa longue carrière politique. Il y a encore beaucoup de travaux à faire pour bien connaître les 52 ans de la vie municipale lyonnaise sous Herriot. Ensuite, Herriot président de la Chambre, puis de l’Assemblée nationale reste un sujet d’étude qui permettrait d’affiner le personnage et la vie parlementaire, à trois moments forts de la vie politique fran­çaise : 1925, 1936 et 1946.

© Les Clionautes (Jean-François Bérel pour La Cliothèque)